chronique beaux livres disque de la semaine
SAAR/MAUDITS, Loved/Breken
Split album, 2 groupes, deux titres.
Il est des œuvres qui vont hantent durablement. Celles de Maudits et de SaaR en font indéniablement partie. Des uns, nous aimons la douceur mélancolique, des autres le caractère plus sanguin. Mais dans un cas comme dans l’autre, nous naviguons sur des terres encore trop peu explorées, celle d’un post metal mélodique et sensible. Alors, quel bonheur de retrouver ces deux formations sur un seul et même disque. Ce Split album SaaR/Maudits regroupe simplement 2 titres, Loved (par SaaR) et Breken pt1,2,3 (par Maudits).
Respectivement long de près de 9 minutes et de plus de 15 minutes, chaque univers se développe, instrumentalement, pour nous embarquer dans un monde ténébreux, tumultueux, où pointe toujours, derrière une mélancolie sourde, et un caractère épique, une lueur d’espoir. Si celle-ci peut parfois être vacillante, aucun blast ne parvient jamais à la souffler. Elle perdure, combat, finit par ressortir gagnante de ce corps à corps éreintant, mais bénéfique.
Bénéfique car l’art des deux formations, celui de nous déconnecter totalement du présent et de nous propulser dans un ailleurs où seule la narration des instruments, portée par des compositions riches, soignées et inventives, trouve ici sa pleine mesure.
SaaR.
Si le morceau proposé par la formation est le plus court des deux, Loved ne manque ni de panache ni de sensibilité. Du metal, au retient la rigueur et la rugosité des distorsions et la présence d’une double pédale qui martèle la grosse caisse comme le cœur la cage thoracique comme après une course pour échapper à nos propres terreurs. L’entame du titre s’avère haletante avant que la formation alterne moments de tension et de relâchement.
Les rythmiques sont parfois lourdes, écrasantes, appuient là où ça fait mal. On se sent captifs d’une poigne de fer, qui nous broierait inexorablement les os et nous vrillerait les tympans avec ses sonorités de guitares évoquant… Nirvana (eh oui). La tension monte crescendo, attend un zénith autour de 4 minutes, puis comme si le fait de monter haut réduisait la force d’attraction terrestre, se fait aérien quelques secondes avant les 5 minutes.
Passage contemplatif, accalmie des sens, relâche nerveuse, c’est un sentiment de piété, de reconnaissance (et de paix) qui apparaît. Mais comme rien ne dure jamais vraiment, les distorsions reviennent rapidement, appuyant une dramaturgie jamais dégoulinante mais au contraire très bien dosée. Les émotions à fleur de peau, SaaR va chercher en nous la moindre parcelle d’humanité, pour fraterniser avec. Ainsi, nous nous sentons proches du groupe, et de Loved, qui montre les tourments de ce sentiment à la fois si puissant et tragique (on parle évidemment de l’amour, dans toutes ses nuances).
Complexe dans sa composition, qui se développe en mouvements, Loved reste instinctif dans son interprétation. Et démontre tous les talents de compositeurs et de mélodistes des musiciens. Doux et sauvage, Loved nous terrasse par sa beauté.
Maudits.
Entame presque ésotérique où violon et violoncelle posent le décor, celui d’un monde potentiellement désertique, dépeuplé de toute âme. Les instruments purement metal prennent le relai, développent une atmosphère post apocalyptique. Monde en friche, brûlé, dévoré par la cupidité des hommes, l’humeur est sombre, plombée. La patte de Maudits se reconnaît entre mille, mais continue son évolution artistique, en posant toujours ses bases et en évoluant autour de ses thèmes.
Comme pour Loved, Breken s’appuie sur une construction en forme de mouvements, trois comme l’attestent les part.1, 2 et 3. La linéarité du morceau peut être discuté. Nous y voyons pour notre part un film qui dispenserait ses flashbacks comme pour mieux nous faire comprendre le pourquoi de cette terre dévasté. Forcément, les émotions sont malmenées, entre douceur, fatalité, colère, résignation et peut-être, aussi, espoir féroce de faire changer les choses.
Si les attaques metal sont bel et bien présentes, le groupe oscille pourtant entre le rock progressif et celui plus virulent du hard rock. Toujours avec maestria (relire nos chroniques à propos des précédents disques du groupe), Maudits tissent des canevas sonores aventureux, parfois expérimentaux (le passage aux alentours des neuf minutes et durant jusqu’à un peu plus de 11 minutes est simplement génial), mais servant toujours une sensibilité à vif, n’allant jamais dans la grandiloquence ou l’exubérance.
Les paysages explorés par le groupe s’avèrent une nouvelle fois très cinématographiques, mais démontrent également, par les instruments, un talent narratif que chacun est libre d’interpréter avec sa sensibilité propre.
https://mauditsofficiel.bandcamp.com/album/split-with-saar
Split.
Réunir sur ce disque deux groupes de ce calibre aurait pu s’avérer délicat, mais le résultat s’avère magistral. Au diapason, avec leurs armes créatives, les deux formations offrent un album cohérent, puissant, sensible, sans qu’aucun des deux groupes n’annihile sa personnalité pour coller au projet. Ce tour de force nous impose la question suivante : à quand un super-
groupe réunissant tous ces instrumentistes dans un projet commun qui pourrait être, à ne pas douter, une véritable déflagration sensitive ?
Quoi qu’il en soit, cet album un peu particulier s’avère une mine d’or pour tous ceux qui aiment les émotions fortes et les univers contrastés. Un must have !
Patrick Béguinel