[ALBUM] NERO KANE, Tales of faith and lunacy
Sombre piété.
Pas d’échappatoire possible. Tales of faith and lunacy (album déjà disponible chez Nasoni Records / BloodRock Records / Anacortes Records)ne laisse aucune porte ouverte à la lumière, à l’espoir. Tout est au contraire maintenu dans un sarcophage rigide, oppressant, presque étouffant. Pourtant, un feu incroyable émane du corps de Nero Kane, un brasier infernal qui nous porte au bord du précipice, celui où s’engouffrent parfois les âmes en quête de rédemption.
Nero Kane produit un album obsédant, un album de psych folk/rock, noir comme l’enfer. La comparaison n’est pas malvenue puisque l’histoire derrière cet album se trouve quelque part au confluent de la religion et des espaces arides, des Etats-Unis et de l’Europe. La musique, cinématographique, nous propose un voyage sensoriel déstabilisant et hypnotique. Il ne nous en fallait pas plus pour nous perdre dans Tales of faith and lunacy.
Une entame poignante.
Le premier morceau d’un album est important. C’est lui qui nous indique la direction artistique prise par le groupe ou le musicien. Il nous indique aussi très rapidement un état d’esprit, une couleur, une force. La couleur, sur cet album de 7 titres, est le noir. Aucun doute possible. Noir tension, noir fusion, noir brûlant, noir impénétrable, noir que l’on fuit comme on le recherche. Noir où nous nous perdons, nous nous oublions, où l’esprit vagabonde, où la raison s’égare, définitivement. Possession démoniaque, religion fanatique, l’impression sur Tales of faith and lunacy est que nous n’avons pas le choix de faire autrement que d’accepter, sur nos épaules, le poids du corps christique, ou celui de nos propres errances. Culpabilité.
Pour ce faire, Nero Kane, de son vrai nom Marco Mezzadri, nous impose la force de sa musique, force monolithique, dense. Mais elle l’est tellement qu’aucune fulgurance ne vient la traverser. Un peu comme si nous nous retrouvions engoncés dans un vêtement certes confortable mais qui nous interdirait toute liberté de mouvement. Cela se traduit par une musique exempte de beat, de rythmiques martelées par une batterie. En résulte de longues nappes ésotériques, reposant sur l’apport d’arpèges de guitares, de bourdons de clavier, d’un lamento de violon (celui de Nicola Manzan) et de voix à la fois lumineuses et caverneuses (Nero Kane et Samantha Stella).
Parler à l’âme.
La musique de Nero Kane parle à notre âme. Elle s’infiltre dans nos oreilles, traverse nos récepteurs sensitifs pour venir s’imbriquer dans notre cortex cérébral et y rester indéfiniment. Cela nous nourrit de l’intérieur nourrit aussi notre imaginaire, mis à l’épreuve tout au long des 7 titres. Pourquoi ? Parce qu’il éveille notre inconscient, nous parle de western halluciné, d’incantations divinatoires portées par la voix blanche (et exceptionnelle) de Samantha Stella. Elle égrène des paroles venues d’ailleurs, d’autres temps et contrées (ceux du XIIIé siècle, du côté de l’Allemagne et d’un chrétien mystique, Mechthild Von Magdeburg dont les écrits parsèment Tales of faith and lunacy).
L ‘effet est saisissant et nous plonge dans un espace hypnotique, qui nous berce, nous endort, comme pour mieux venir nous irriter par des sentiments contradictoires (foi, doute), des états paradoxaux (somnolence et pleine conscience). L’album s’avère en ce sens une mise en pratique des limites de notre conscience, de notre capacité à nous relâcher, à accepter ce qui nous est étranger.
Les mélodies.
Véritable point fort de l’album, elles nous parcourent l’échine en nous propulsant au-delà de tout caractère physique, de toute enveloppe charnelle. C’est un voyage, lancinant, introspectif que nous offre Nero Kane. On pense parfois à Nick Cave, d’autres fois nous pensons à un groupe comme A silver mt zion (ou dans une moindre mesure à Godspeed you ! Black emperor), avec cette capacité à pénétrer de force dans notre corps. Parce qu’il faut l’avouer, nous avons du mal, par moments, à accepter l’intrusion de la musique de Tales of faith and lunacy dans notre corps. Nous résistons, et plus nous le faisons, plus elle force. Au final, nous cédons et la magie opère.
Dramatique, théâtral, cinématographique, pieuse, brûlant comme une fièvre, l’univers de Nero Kane nous laisse démunis, parfaitement hagards sur le bord du chemin. Comme si une apparition divine s’était faite connaître, s’était manifestée à nous, pour nous indiquer que, peut-être, la réponse était là. Le dernier titre de l’opus, longue plage de plus de dix minutes, Angelen’s desert, nous plonge dans un état de confusion aride et extatique. Jouant les antagonismes, porté par une voix angélique (Nero Kane est ce genre de chanteur capable de faire fondre la banquise tout comme de glacer un volcan en éruption), Tales of faith and lunacy est une incroyable expérience auditive. Et en ce sens il est fondamental d’y glisser une oreille, quitte à y perdre son âme.
LE titre de Tales of faith and lunacy.
On aime particulièrement les morceaux où Samantha s’exprime. Sa voix nous pétrifie, comme si elle débitait des paroles sataniques et/ou mystiques/christiques. Angelen’s desert est sublime, ondule comme une vague, flux reflux flux reflux flux reflux flux reflux et ainsi de suite, où les paroles sont débités d’une voix quasiment déshumanisée. Dans le même ordre d’idée, Mechthild, quoi que légèrement moins atone, plus sexy, possède une ligne de chant se glissant dans notre moelle et nous rétamant, littéralement. Alors la mention titre de l’album lui sied parfaitement, même si tous les titres sont très soudés les uns aux autres, ce qui fait de l’album un disque ultra cohérent, un boucle dense, monolithique. Amen.
On pense à La battue