CAÏMAN, À la lueur (chro +interview)

Caïman à la lueurPremier album à l sensibilité ardente disponible le 06 mai chez Le cri du charbon.

Un premier album, c’est toujours une part de soi qui ressort, qui explose à la face du monde, avec force mais aussi sincérité. À la lueur, de Caïman ne fait pas exception à la règle en nous proposant un univers énigmatique, profond, poétique, à mille lieues des clichés pop rock chanté en français.

Caïman, c’est le trio composé de Chloé Serme-Morin, chant/guitare, de Tommy Rizzitelli, batteur/claviériste et de Jonathan Mathis, bassiste-guitariste-accordéoniste. Ils mitonnent une pop à fort relents rock aux sonorités qui se situeraient quelque part à la fin des années 80 début 90, inspirée par le rock des années 70, mais sonnant totalement années 2020. Le mélange tape immédiatement aux oreilles, captive notre attention en un fragment de seconde et ne nous lâche plus par la suite. Magnétique ? Assurément.

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Une voix qui fait la différence.

Le premier élément qui fait mouche est la voix de Chloé. Elle est particulière, très loin de standards calibrés pop. Elle possède des couleurs folles, joue sur une ambivalence fragilité force brûlante, toujours sur un fil ténu où la sensibilité et l’émotivité de la chanteuse ressortent sans filtre, comme pour mieux nous percuter frontalement et nous laisser K.O.

Avec son léger trémolo, elle dégage une pleine sincérité sur l’ensemble des titres. Qu’elle soit grave ou plus légère, elle ne fait jamais passer l’émotion derrière les textes. Au contraire, nous sentons une fusion totale entre les mots (et les maux également) et leur expression, un équilibre parfait entre intention et réalisation. Ajoutez à cela la personnalité inédite de ce timbre de voix, vous obtenez la première pièce d’un édifice qui s’annonce déjà unique, complètement à part.

Des instrumentations soignées.

Les trois membres de Caïman sont multi-instrumentistes, ce qui leur permet de proposer une vaste palette sonore. Ici, on entend quelques notes d’accordéon (elles sont magnifiques, et même nous qui sommes un peu hermétiques à l’instrument tombons sous le charme et sous la pertinence de son propos), des claviers légers qui donnent des couleurs à la fois feutrées, douces, tendres, romantiques.

L’enregistrement joue aussi un rôle prédominant. Il restitue une énergie proche du live, un courant de vie qui bat la mesure avec une forme de sensualité discrète. Le mix est irréprochable, la production également. Quelques arrangements et/ou effets nous laissent complètement sur le cul. Par exemple, un écho+une légère distorsion viennent accompagner la voix pour lui donner plus d’impact. Les choeurs sont ultra précis, tombent à des moments qui pourraient apparaître anodins, voire totalement hors propos, redonnant un regain de caractère à des morceaux qui auraient pu, sans eux, sonner plus convenus.

Ainsi, l’originalité tombe toujours à point pour nous surprendre. Le travail de composition est de très haute volée et jamais l’ennuie ne s’empare de nous tout au long des 10 titres.

Mélodies et lignes de chant.

Enfin, les lignes de chant et les mélodies sont parfaitement senties. Si un côté cérébral peut être associé aux compositions et à ses arrangements (car il y a un niveau d’exigence poussé, jamais pédant ou hautain, fort heureusement), les mélodies restent aisément en tête, semblent évidentes,parce qu’elles le sont, mais ont le bon goût de ne jamais nous conduire vers une forme d’aliénation, celle où le morceau tourne en boucle dans notre tête jusqu’à nous rendre fous.

Ce qui nous touche particulièrement sur À la lueur, c’est cette mise à nu pleine d’humilité qui transparaît d’une musique et de textes pointus. Ceux-ci sont parfois abstraits, difficiles à saisir, mais, en contrepartie entrent en résonance en nous par le pouvoir de leur poésie. Ainsi naissent des images, des sensations qui viennent du fond de notre âme, comme si Caïman parlait à notre intime en exposant le sien.

La magie opère donc du début à la fin du disque, et celle-ci se retrouve à chaque nouvelle écoute. L’album tourne en boucle depuis plusieurs semaines, et nous ne nous en lassons pas du tout. Il s’agit donc d’un véritable coup de cœur et, sans doute aussi, d’un très grand disque de cette année 2022.

LE titre de À la lueur.

Étrangement, comme par un mécanisme de défense, nous n’avons pas fait attention à ce titre au début, mais c’est un morceau qui pourtant nous happe littéralement dans son univers dès ses premières mesures (on en oublie presque de respirer en l’écoutant). Une basse seule, très vite rejointe par la voix. Morceau lent, minimaliste dans ses premiers instants, qui gagne en intensité progressivement (par l’ajout d’un arpège fluide de guitare, et qui finit par nous terrasser par son propos. Une histoire comme, malheureusement, tant d’autres, mais racontée ici d’une façon si convaincante que nous vivons littéralement ce qu’elle évoque. Le titre s’appelle Gris, se trouve en milieu d’album, comme un sommet.

L’interview de Caïman.

Nous avons eu un tel coup de cœur pour l’album que nous avons posé quelques questions à Chloé que nous remercions d’avoir pris un peu de son temps pour y répondre.

Litzic : Bonjour Chloé. Première question, comment vas-tu ?

Chloé Serme-Morin : Bonjour Patrick, bonjour Litzic ! Je vais bien, j’ai la bougeotte parce que je sors cette semaine de deux mois d’immobilisation forcée après m’être fracturé l’astragale – l’os du pied le plus joliment nommé – à un concert d’IDLES [un groupe de rock anglais]… l’euphorie de la reprise des concerts debouts et des pogos a eu raison de moi…

L : Comment est né le projet Caïman ?

Chloé : On aime bien dire que Caïman est né d’un alignement de planètes. Avant Caïman, il y avait un oeuf, une genèse, une version beta. Une aventure musicale en solitaire, celle de Clorophyl : « Clo » pour Chloé, mon prénom. « -Phyl » pour Philippe, pour continuer de faire vivre mon père, parti un peu trop tôt ; pour faire honneur aux passions qu’il m’a transmises, celles du son, des histoires racontées-partagées et des ponts qu’on construit entre les mondes. J’ai joué mes chansons plusieurs années avec ma guitare sur le dos ; mais comme j’aime bien voir les chansons comme des potions, en solo il me manquait des ingrédients… et puis est arrivée l’année 2020, une petite pandémie mondiale des familles, tout a été mis sur pause, moi ça m’a permis d’écrire et de me consacrer à cette méta-mue-morphose. Et c’est là que les planètes s’en sont mêlées, en traçant une ligne parfaite avec les trajectoires de deux rencontres amicales et musicales de longue date.

«  On est tous les trois multi-instrumentistes, ça ouvre le champ des possibles… »

L : Qui le compose et qui y fait quoi ?

Chloé : Caïman c’est une hydre à trois têtes, composée du batteur-claviériste Tommy Rizzitelli, du bassiste-guitariste-accordéoniste Jonathan Mathis, et en ce qui me concerne je suis guitariste et chanteuse. On est tous les trois multi-instrumentistes, ça ouvre le champ des possibles, on explore les textures sonores avec une palette assez vaste d’instruments. Jusqu’à présent ce sont mes textes et mes compositions que nous avons arrangés ensemble, mais on a très envie de commencer à composer à trois. On est aussi accompagnés sur scène par notre ingénieur du son Romain da Silva, sans qui nos amplis feraient la tronche.

L : A la lueur est votre premier album. Quel en a été le postulat de départ ?

Chloé : « A la lueur » est le titre d’un des morceaux du disque, dont les paroles me paraissent bien résumer l’ensemble de notre musique jusqu’à présent : « J’ai dans les doigts quelques sorts à jeter, pour te ramener… ». J’ai toujours été sauvée par l’imaginaire et je suis une adepte de sorcellerie. Je suis de la génération qui a grandi avec Harry Potter, j’avais le même âge que lui à la sortie des livres.

Dans ce monde-là, les personnes qui ont vu quelqu’un mourir sont spéciales, ont un don que les autres n’ont pas (elles peuvent voir les « sombrals », chose plutôt inutile, mais assez classe). La situation est tellement inconcevable et irréelle, que la fiction est un refuge. La Mort nous regarde dans les yeux, nous promet qu’un jour, ce sera notre tour, et se volatilise, emportant avec elle la lumière familière d’une personne qui a toujours fait partie de notre vie. A cette lueur-là (… et à toutes les autres).

« …je crois que l’écriture me sert à apprivoiser les émotions qui sont souvent comme des puits sans fond… »

L : Comment s’est articulé le travail d’écriture du disque ? Je parle notamment des textes qui dégagent une force assez incroyable, tout en étant relativement nébuleux, très poétiques et qui osent, à l’image du morceau Gris, des propos directs, voire violents.

Chloé : Merci ! Le nébuleux, le poétique et la violence… ça n’a rien de très original mais je crois que l’écriture me sert à apprivoiser les émotions qui sont souvent comme des puits sans fond. Un de nos points communs avec mes camarades de Caïman, c’est que nous sommes touché-e-s par les propositions artistiques qui ne donnent pas toutes les clés dès le début. C’était le cinéaste Robert Bresson qui disait qu’il préférait que les gens ressentent un film avant de le comprendre. J’adore l’idée que l’interprétation d’une chanson ne soit pas la même d’une personne à l’autre.

Pour moi l’imaginaire, l’onirisme et les chimères sont de véritables bouées de sauvetage pour certaines traversées. Et puis parfois, il y a des chansons qu’on écrit d’un bloc, brutalement, comme on se cogne à un inconnu dans la rue, à force d’avoir trop regardé ses pieds… des ecchymoses intimes, anciennes, des bascules incomprises, qui ressortent d’un coup, sans filtre. C’est le cas de « Gris ». La musique pour conjurer le silence et libérer la parole, alors qu’en tant que femme, j’ai plutôt eu tendance à croire que ce qu’on attendait de moi c’était de me taire. Comme « Météores », qui est notre chanson-bûcher, celle des arrière-arrière-arrière-arrière-petites-filles et petits-fils des sorcières qu’ils n’ont pas réussi à brûler.

« …les disques que j’emmènerais sur une île déserte sont probablement « Blue » de Joni Mitchell, « 10 000 days » de Tool et « Kid A » de Radiohead …»

L : Instrumentalement, ils sont teintés de sonorités fin 80 début 90, mais dans sa globalité l’album pourrait être issu du début des années 70, tout en étant totalement ancré dans l’époque actuelle. Comment avez-vous élaboré ce son ? Était-ce totalement naturel ou avez-vous creusé pour obtenir ce mélange ?

Chloé : On est partis de ce qui nous constitue en tant que musicien-ne-s, en restant fidèles à nos univers respectifs et à nos influences, pour ensuite approfondir, avec l’aide précieuse de Stéphane Piot, des Studios de l’Hacienda, qui a mixé et co-réalisé l’album avec nous. La rencontre avec Stéphane a été très belle, son expérience, son écoute et sa bienveillance nous ont portés dans nos choix et dans notre manière d’interpréter les morceaux. Les années 70, c’est clairement nos influences premières et communes…

Pour ma part, j’ai été biberonnée à coups de Patti Smith et Jimi Hendrix. La frappe de Tommy à la batterie est directement issue du style de ces années-là. Son père, Bunny Rizzitelli, a été le batteur de Space Art, de Jean-Michel Jarre et de Christophe… Jonathan est expert en retour vers le futur, il joue du Rammstein à l’orgue de barbarie. On n’est pas très bons pour mettre les choses dans des cases, on est plutôt team melting-pot. Et puis un disque c’est toujours une photographie d’un instant T – et au moment où on a enregistré, en octobre 2021, on réécoutait en boucle certains trucs comme les Cocteau Twins ou Sonic Youth…

« … des chansons-chimères qui naissent dans les angles morts… »

L : Quelles sont d’ailleurs vos influences ? Et quels groupes d’aujourd’hui réussissent à vous toucher ?

Chloé : C’est dur de répondre de manière concise, il y a tellement de choses différentes qui nous influencent et nous touchent… pour ma part, les disques que j’emmènerais sur une île déserte sont probablement « Blue » de Joni Mitchell, « 10 000 days » de Tool et « Kid A » de Radiohead. Mais voilà il manque du français… les Alains, Bashung et Souchon. Une de mes dernières grosses claques, ça a été la captation du concert « Sadenight » de Lydia Képinski, une artiste québécoise, dans le plus vieux cinéma porno de Montréal. On écoute aussi beaucoup d’ambient et de musique électronique…

En France, il y a Rebekka Warrior (Mansfield Tya, Sexy Sushi, Kompromat), Léonie Pernet ou OKLOU qui me fascinent en ce moment. Et puis il y a nos innombrables pépites locales, dont TV Sundaze, Ugo del Rosso/Rouuge, Luje, Johnnie CarwarshClaire Days qui fait vibrer la folk et qu’on a eu la chance d’inviter sur l’album. Je crois aussi qu’on est autant inspirés par les rencontres, la littérature, le cinéma, les voyages que par la musique. Les livres d’Alain Damasio, les films de Jim Jarmusch ou un voyage en train à Saint-Etienne (où est basé notre label, le Cri du Charbon, que nous saluons !) sont autant de sources d’inspiration.

L : L’album sort le 6 mai et est pour moi un énorme coup de coeur. En quelques mots, peux-tu le résumer aux lecteurs de litzic pour leur donner envie de l’écouter/l’acheter ?

Chloé : C’est un honneur d’être un coup de cœur !
Si on croisait une Licorne, un Détraqueur et un Dragon doré, on obtiendrait à peu de choses près l’essence de notre premier disque : des chansons-chimères qui naissent dans les angles morts, dans l’obscurité, dans le point de bascule entre les eaux troubles et l’air de la forêt. Avec des paillettes pour la pop, des écailles pour le rock et des trucs qui flambent au milieu.

L : Merci d’avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions.

Chloé : Merci à toi !

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