THOMAS MULLEN, Minuit à Atlanta, en quête de vérité

minuit à atlanta thomas mullenPolar paru chez Rivages/noir

Minuit à Atlanta de Thomas Mullen nous replace directement dans la ville du même nom, en 1956, à une période où l’émancipation des noirs se fait pressante. Entre enquête policière et roman social, Thomas Mullen nous fait ressentir avec talent toute l’énergie de cette ville à travers une série de personnages forts.

Mr Bishop, le directeur de l’Atlanta daily news, seul journal noir de la ville, est assassiné dans ses locaux. Un de ses journalistes, présent sur place, Tommy Smith, ex-flic de l’unité noire de la police de la ville, a vu un homme s’enfuir. Il appelle son ancien boss, le Capitaine Mcinnis, flic blanc en charge de cette fameuse unité, pour venir constater le crime et entendre son témoignage avant que l’équipe de police blanche ne se charge de l’interroger officiellement. Une fois entendu et innocenté, après une garde à vue puante durant laquelle sa culpabilité ne fait aucun doute aux flics blancs, il se met au travail de son côté et découvre vite que son patron travaillait sur des dossiers sensibles.

De son côté, Mcinnis mène l’enquête, mais se trouve très vite confronté à sa hiérarchie, en particulier avec le FBI qui semble s’intéresser de près aux travaux de Bishop. Les deux hommes, en parallèle, tentent d’éclaircir cette histoire de meurtre sur fond de tensions raciales et politiques.

Une ville, une ambiance.

Thomas Mullen s’est renseigné, et bien, pour restituer avec finesse l’atmosphère qui régnait dans la ville pendant cette époque charnière pour les mouvements contestataires noirs. Ainsi, nous plongeons dans les entrailles de cette ville, mais aussi de l’histoire des USA, sans pour autant voir le côté historique écraser et annihiler l’aspect polar. L’immersion est totale, nous sommes en prise directe avec l’âme de la ville, mais aussi avec celle de ce peuple considéré comme quantité négligeable.

Les chapitres alternent d’un côté l’enquête menée par la police, notamment celle de cette unité noire, de l’autre l’enquête menée par Smith. Ce roulement permet de voir la progression des recherches de deux points de vue. La police suit ses pistes, se heurtant à l’écrasante présence muette du FBI, mais également à celle de détectives privés de l’agence Pinkerton, tandis que celle du journaliste, directement en prise avec le deuil et les secrets que camouflaient son boss, montre une facette plus sociale. On découvre que l’homme assassiné, respecté et influent, déchainait les passions, à juste titre, notamment parce qu’il osait remettre les crimes des blancs en question (toutes proportions gardées évidemment, l’époque ne permettait pas qu’un noir, aussi influent soit-il, incrimine des blancs de façon directe).

Cette histoire nous replonge dans une époque dingue. D’un côté, les mouvements sociaux des noirs, avec le boycott de Rosa Sparks dans la ville voisine de Montgomery, l’émergence de Martin Luther King Jr, mais également la chasse aux sorcières communistes. Le sud des États-Unis, dont Atlanta est l’une des capitales, est assis sur une poudrière qui conduit les différents protagonistes à mettre leur vie en danger pour tenter de découvrir la vérité.

Un vrai roman policier.

Nous ne sommes pas dans l’atmosphère d’un thriller, mais d’un vrai bon livre policier, celui qui tisse une trame solide, documentée, un peu à la James Ellroy. Nous y sentons l’odeur des villes, les regards suspicieux si vous vous adressez à une personne noire. Le racisme « ordinaire » y est insupportable, suffocant, même si quelques blancs, dont le Capitaine Mcinnis, nous redonnent un peu foi en l’humanité. Son personnage, seul blanc à côtoyer quotidiennement, pour le travail, des agents de police noirs (ceux-ci ont le droit de patrouiller uniquement dans les quartiers noirs de la ville pour y endiguer la délinquance qui devenait préoccupante) n’est pas non plus une caricature d’homme hyper tolérant. Au contraire, ces états d’âme parfaitement décryptés en font un personnage des plus vrais lus ces derniers temps.

En effet, il est tiraillé par la rage d’avoir été mis au placard en s’occupant de cette unité. Paradoxalement, il découvre chez ses hommes, des qualités similaires à celles des blancs. Cette dualité, parfaitement restituée par Thomas Mullen en fait un personnage fort, humain, dont la seule préoccupation est de faire son travail correctement, en essayant de faire fi des ragots circulant en douce dans son dos et en repoussant tout aspect racial hors de sa brigade.

Le personnage de Smith, lui, est du genre tête brulée. Idéaliste, il ne veut pas que le nom de son patron soit trainé dans la boue, ni celui de sa veuve. Cette quête d’idéalisme le place à plusieurs reprises dans des situations dangereuses. Il pourrait être un héros à l’ancienne, pétrie d’idéaux, un peu fracassé par un événement de vie qui l’a fait quitter la police pour le journalisme. Sa conscience et son flair lui délivrent donc deux instincts lui permettant de progresser vers une vérité habilement dissimulée.

L’écriture.

Ce roman est écrit d’une façon absolument imparable, représentant comme un vortex. Nous partons du bord externe de sa circonférence, là où il est plus évasé, pour être conduit, par une force magnétique, en son centre. Au fur et à mesure que les psychologies des personnages nous sont dévoilées et que les éléments de l’enquête se dessinent devant nous, nous nous trouvons dans l’impossibilité de nous détacher de cette histoire dont le dénouement arrive en toute fin de livre.

Les aspects historiques et sociétaux, bien que disséminés au pourtour de l’enquête, nous rappellent néanmoins qu’il y a encore très peu de temps les noirs américains étaient (et l’histoire récente nous montre que le problème n’est toujours pas réglé) une partie de la société américaine jugée secondaire, pour ne pas dire carrément indésirable. Il s’avère, à travers le prisme du divertissement, de qualité, un excellent moyen de se familiariser avec ce fléau qu’est le racisme aux États-Unis, sans pour autant émettre d’avis critique ou moralisateur.

La finesse des personnages étant une force de ce roman haletant, celle de l’écriture en étant une seconde. Sans temps mort, avec un œil d’observateur, Mullen poursuit le chemin initié à travers ses précédents romans, ce qui ne nous donne qu’une seule envie, celle de découvrir ce qui a précédé ce Minuit à Atlanta particulièrement réussi.

NDLR :

nous apprécions les remerciements que l’auteur délivre en toute fin de roman. Son honnêteté quant à son travail d’écriture l’honore totalement, même s’il lui a valu des soucis. Les éditions Rivages les a restitués, et nous ne pouvons que les en remercier à notre tour. Ils sont loin d’être anecdotiques et nous vous conseillons donc de les lire eux aussi.

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Comments (2)

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    ROUSSEL

    Bonjour et merci pour ce joli résumé qui me donne très envie de lire le livre; par contre, si l’orthographe avait été respectée*, ç’aurait été 10 fois plus plaisant!
    * à fortiori ds une chronique « livres »….sans aucune rancune; c’est simplement dommage

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      Patrick Beguinel

      Argh comme je vous comprends. J’ai beau essayer d’être irréprochable, il m’arrive encore d’en laisser trop passer. Je vais jeter un oeil une fois encore pour en supprimer quelques unes. Merci pour votre retour. Ce livre vaut le détour quoi qu’il en soit. Très bonne journée. Patrick

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