JAKUB ZULCZYK Éblouis par la nuit (Rivages Noir)

jakub zulczyk éblouis par la nuit

Noir, c’est noir.

Éblouis par la nuit, c’est l’histoire de Jacek, vendeur de cocaïne et autres substances prohibées. Devenu gangster un peu par hasard, il a acquis sa renommée par la qualité de sa poudre, mais aussi par le mystère relatif qui l’entoure. Loin d’être un idiot, il a tout planifié dans sa vie, pour tout contrôler, pour être sûr que personne ne devine un jour qui il est véritablement. Sa vie, c’est la nuit, les rues de Varsovie, les fêtes, les clubs, les rendez-vous avec ses clients, des fidèles qu’il choisit avec soin. Mais un jour, sa machine s’enraye. Et la chute commence.

Ce nouveau roman de Jakub Zulczyk, qui a notamment signé la série Blinded by the light produite par HBO Europe est un romancier à succès, journaliste et donc scénariste. Pas étonnant de retrouver dans ce roman, publié chez Rivages Noir, un caractère cinématographique fort, mais également une forme littéraire qui en fait tout le sel. Car, ne nous le cachons pas, l’univers des dealers de drogue n’est plus forcément original. Pourtant, Éblouis par la nuit s’avère être un très grand roman noir, au suspense insoutenable.

L’originalité.

La principale force d’Éblouis par la nuit réside dans son écriture. Il ne nous est pas très difficile de mettre un visage sur Jacek. Il pourrait être celui de Ryan Gosling, période Drive (film tiré du roman de James Sallis), tant ces deux personnages se ressemblent par leurs aspects énigmatiques, mystérieux. Nous ne connaissons pas grand-chose de cet antihéros au début du roman. Nous savons juste qu’il conduit une Audi RS4, et qu’il ne devrait pas s’afficher dans une telle voiture, dans laquelle il transporte sa came, qu’il a une connaissance en qui il a confiance (Pazina), qu’il a eu une relation avec Beata (sa seule drogue peut-être). Mais petit à petit, au fur et à mesure des 525 pages que nous dévorons, nous entrons petit à petit dans la tête de Jacek.

Et alors que nous commençons à l’apprécier, Jakub Zulczyk commence à dessiner la chute de son héros. Nous n’avons plus nulle part où nous rattacher. On s’explique. Dans toute la première partie du roman, celle qui place le décor et la psyché du héros, nous découvrons une ville, un système, sous un prisme presque contemplatif. Les longues considérations pratiques et techniques de Jacek, ses pensées intimes, tout nous place en voyeur d’une histoire qui pourrait se développer ad vitam æternam. Mais…

Un monstre dans un corps d’homme.

Mais, en se frottant au monde de la délinquance e du grand banditisme, il arrive qu’on fasse de mauvaises rencontres, ou qu’un concurrent s’installe sur la place, commençant à faire foirer tous vos plans de carrière. Et si on ajoute à cela un client qui pète les plombs sous l’effet de la came, alors le petit cercle commence à se voiler, pour finir par tourner carré et à se heurter à des angles de plus en plus saillants. La deuxième partie du roman explore cette facette de la chute de Jacek. Et là où nous n’étions pas forcément en empathie avec lui (qui, ne l’oublions pas, est quand même un vendeur de mort), nous le prenons d’affection face à la déliquescence de son monde.

Commence alors une étrange course contre la montre, dictée par la nécessité de partir pour l’Argentine. C’est son rêve, à Jacek, de quitter la Pologne pour rejoindre l’Amérique du Sud, pour y dormir et y prendre des vacances (du moins c’est ce qu’il nous avoue en début de livre, tout comme de son souhait de voir la ville de Varsovie engloutie sous un déluge qui la laverait de tous ses péchés). Mais il se pourrait que Dario, ce genre d’homme dénué de toute morale, un homme au yeux morts, un homme aux tentacules multiple et aux yeux derrière la tête, se fait chef d’orchestre de tout ce qui se passe à Varsovie (et même ailleurs).

Une plume trempé dans le sang.

À l’image de son héros, la plume de Jakub Zulczyk n’est pas forcément démonstrative. Plus exactement, elle n’use pas de gros effets, reste assez terne sur les émotions ressenties par le personnage central (il a cette chance, un atout dans le métier, de ne pas ressentir grand-chose quand un type se fait couper un doigt par exemple). En revanche, elle esquisse des images et éveille notre imaginaire comme peu d’auteurs ont su le faire chez nous ces dernières années. En effet, sa plume pose des lieux, des personnages avec une redoutable précision, qui évite justement le trop plein de mots (à l’image de son héros donc), mais avec un rendu très fort, très présent. C’est-à-dire qu’il parvient à rendre le quotidien de Jacek tangible, palpable. Nous voyons littéralement par ses yeux, sentons ce qu’il hume, et surtout comprenons là où le fil de ses pensées le conduit.

Son intelligence à couvrir ses arrières et son code d’éthique (ne pas sniffer la came que l’on vend, ne pas vendre à qui n’a pas les moyens d’acheter, restreindre son cercle de connaissances, ne faire confiance à personne) sont parfaitement décrits, rendant ce personnage on ne peut plus réel. Comme si nous pouvions être nous-même celui ci. L’identification, quand bien même nous n’avons jamais vendu de came, ni jamais causé le moindre tort à quiconque, fonctionne à plein régime. Ce plein régime est d’ailleurs très contradictoire puisque le rythme est relativement lent. Éblouis par la nuit se déroule dans une sorte de faux rythme, lent d’un côté mais oppressant de suspense de l’autre. Cette dichotomie nous tient en éveil, sur les nerfs, pendant toute la durée du roman.

Une horreur magistrale.

Certaines scènes nous glacent le sang, par leur horreur. Sans doute parce qu’elle est décrite de façon très simple, avec des mots de tous les jours pour paradoxalement décrire des événements qui n’existent pas dans la vie de tous les jours. Les scènes sont violentes, peut-être pas celles au premier plan (on pense à la scène avec le gérant d’une boite, récurrente des histoire de gangsters) mais aux arrière-plans (quand Jacek « surprend » un de ses clients matant un porno avec une jeune fille de peut-être 14 ans). Cette tension est électrisante, nous séduit autant qu’elle nous révulse, et surtout nous parle, une fois encore, de ce monde de la nuit qui fait tant fantasmer les auteurs de polar.

Parce que, cette nuit, qu’elle soit européenne, nipponne ou américaine véhicule les mêmes déviances. Que les personnages y soient des privilégiés ou des laissés-pour-compte, le rendu est le même : la drogue, récréative ou moyen d’évasion d’un quotidien pourri, produit les mêmes effets, les mêmes conséquences. Elle détruit tout et tout le monde. Et est sans espoir de rédemption. Il en est de même pour le fric (les comparaisons entre la dope et l’argent sont à ce titre particulièrement pertinentes).

Éblouis par la nuit est assurément un très grand roman noir, porté par une écriture subtile, pleine de force, de poésie, de contraste. Elle est…éblouissante. Cet auteur possède un tact incroyable pour nous raconter des histoires dévastatrices et, si 525 pages vous semblent un obstacle insurmontable à franchir, nous dirons simplement qu’une fois la première ligne sniffée, vous êtes sous son emprise. Et alors,vous n’avez d’autre choix que de terminer ce petit chef-d’oeuvre du genre.

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