[POESIES] LAURENT THINÈS, La garde de nuit.

La garde de nuit (réparer les soignants) de Laurent Thinès (paru chez Z4 éditions)

La poésie s’invite partout, même dans les endroits les plus, à priori, saugrenus. C’est le cas dans ce troisième recueil de Laurent Thinès, La garde de nuit (réparer les soignants) qui nous propulse dans l’univers hospitalier.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que de traiter le métier de soignant par la poésie relève de la maestria. En tout cas dans le cas présent. En effet, usant d’un langage évoquant par certains aspects le moyen-âge, utilisant moult vocabulaire de la chevalerie, Laurent Thinès nous introduit de force dans un univers de sang, de contusions, autant de celles du corps que de l’âme.

Dur.

Ce recueil est dur. Il nous plonge dans l’enfer des soignants. Oui, c’est bien joli de les applaudir pendant un confinement, mais cela ne change rien au problème fondamental des hôpitaux, dont le premier est la réduction drastique des moyens (tant humains que matériels).

Dans La garde de nuit (réparer les soignants), il est plus question d’humain que de matériel. De ces soignants qui embrassent ce métier par vocation et qui petit à petit sombrent dans la désillusion la plus totale, où la rentabilité de l’établissement prime sur le bien-être de ceux qui le peuple (patient comme personnel hospitalier).

Nous sentons, dans chaque poème, la perte de sens, la perte vertigineuse, abyssale de sens. Car, dans un corps de métier comme celui-ci (comme d’autres également), la vocation qui pousse les êtres à embrasser cette carrière se heurte à la réalité du quotidien, réalité à laquelle ils ne sont évidemment pas formés.

Exigence.

Cette réalité, c’est les heures enchaînées à la table d’opération, à tenter de réparer le corps des autres quand bien même la vie du soignant peut elle aussi avoir besoin d’être réparée (autant que sa psyché, meurtrie par la le stress d’opérations délicates voire périlleuses). Vigilance, précision, concentration, oublie (ou négation, presque) de soi au service de l’autre, les sacrifices sont nombreux et enflés par des heures de gardes interminables, faute de remplaçant.

Le langage guerrier est dès lors adapté. Il s’agit d’un combat contre le temps, contre le sommeil, contre soi-même, contre la mort, toujours tourné vers l’autre (et régit aussi par un souci de rentabilité). Le sacerdoce s’en trouve ébranlé tant tout devient « automatique » : ouvrir, manipuler, réparer, refermer, ouvrir, manipuler, réparer, refermer etc.

Nous sentons l’épuisement, nerveux, psychique, moral du soignant. Et qu’importe qu’il soit neurochirurgien ou infirmier, ce manque de tout épuise chaque fantassin, chaque chevalier de La garde de nuit. Alors on a beau applaudir pendant un confinement, ça ne change rien au problème véritable.

Un bilan noir.

Ce troisième recueil de Laurent Thinès est un recueil empli de tristesse. De celle de ceux qui ont voulu vivre leur vocation et qui se trouve face à l’incompréhension d’un système. Envie d’en finir, de suicide, épuisement moral, perte de sens profonde, tous ses éléments détruisent et rongent, en profondeur.

Cet ouvrage est dur, comme la désillusion qui pointe sous la prose de Laurent Thinès. Pour ce métier qui devrait être beau, car les soignants sauvent des vies, nous ressentons pourtant un goût de fer sur nos papilles. Celui du sang des âmes pourfendues.

Extrait.

Sur le fil Encore une journée qui s‘achève, dans le bonheur masochiste de ne pas avoir encore touché un seul instant le sol.

Imprudent funambule que je suis, en équilibre,toujours instable, sur le fil à couper le bord de ma vie tendue au travers du gouffre hospitalier.

Encore une journée qui m‘achève.

laurent thinès, la garde de nuit réparer les soignants

Egalement paru chez Z4 éditions, Le bruit qu’on entend dans les caves (nouvelles)

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Comments (2)

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    Thines

    Bonjour
    Merci beaucoup pour cette fine analyse de mon « ouvrage » …je suis très touché que vous ayez si bien perçu le sens de tout cela…

    Laurent Thines

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      Patrick Beguinel

      Bonjour Laurent.
      Ce recueil dégage un sentiment très fort, d’urgence, d’abandon (autant de soi que d’une hiérarchie ou d’un état défaillant). Le monde des soignants est déjà rude avec tous les moyens nécessaires, mais quand ils viennent à manquer, qu’ils soient simplement matériels ou plus terriblement humains, il est dur de rester debout. J’espère que ces écrits vous permette, ne serait-ce qu’un peut, de vous réparer. Merci pour votre commentaire. Patrick

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