[ROMAN] JEROME CHARYN, Avis de grand froid

Avis de grand froid, nouveau roman de Jerome Charyn (disponible chez Rivages/noir)

Imaginez un peu : le président des États-Unis, fraîchement élu, est destitué pour des malversations. Il est remplacé par son vice-président, Isaac Sidel, ancien commissaire et maire de New-York. Son plan : redistribuer les richesses du pays aux plus démunis. Ce qui ne va pas sans heurter certaines multinationales. Sa tête se retrouve mise à prix et un pactole ira à celui qui trouvera la date de sa mort. Avis de grand froid, roman noir/policier de Jerome Charyn (aux Éditions Rivages) nous entraîne dans une succession de manigances visant à faire taire un président hors de contrôle car incorruptible.

Chute de l’URSS.

Tout se passe à la fin des années 80. Le bloc soviétique est sur le point de s’effondrer. Le rouble ne vaut plus rien, la domination du dollar est écrasante. Pour sauver les meubles, il faut inonder le marché américain de faux-billets, faux billets réalisés par le génie du tatouage, Viktor « Rembrandt » Danzig, ex-détenu d’un goulag sibérien et chef des Loups-Garous, faussaires émérites et armée de l’ombre du faussaire.

Mais pour se faire, il faut éliminer le résident de la Maison Blanche, un président débarqué là par hasard, suite à la destitution du président élu. Isaac Sidel se retrouve donc à ce poste, pantin sans pouvoir se baladant avec son Glock dans le pantalon. Cet ex-commissaire et maire de New York ne plaît pas. Incorruptible, il se heurte non seulement à son administration, à ses collaborateurs proches mais également à tous ceux dont il devrait justement faire confiance. Il se retrouve vite embarqué dans une chasse à l’homme, chasse dont il est la proie.

Trahisons et magouilles en cascade.

Des crapules en col blanc ont décidé de l’éliminer. Un pari est lancé quant à la date de sa mort. En jeu : de jolis et faux billets de 50 dollars prêts à se rendre dans la poche du vainqueur. Une somme telle qu’elle pourrait mettre en banqueroute le pays de l’Oncle Sam. Mais petit à petit, le lion Sidel sort de sa léthargie. Puisqu’il ne peut faire confiance à personne, il se lance, ancien flic qu’il est, dans la bataille contre un ennemi invisible et protéiforme.

Une succession de rencontres, de rebondissements, d’attaques diverses et variées, y compris à Camp David ou au sein même de la Maison Blanche, ont lieu. Petit à petit, Isaac Sidel sort de sa léthargie, retrouve son aura de flic et rompt tout protocole pour mener à bien (enfin surtout pour sauver sa peau) son enquête. Pour se faire, il s’entoure de quelques personnes de confiance et de quelques relations diplomatiques, personnages tout aussi cabossés que lui, et tout aussi enclin à remettre les pendules à l’heure.

Écriture vive pour intrigue tortueuse.

Dans Avis de grand froid, Jerome Charyn nous entraîne petit à petit dans l’univers d’Isaac Sidel, dans une Maison Blanche de conspirateurs, de manipulateurs, tous acquis à une cause égoïste plutôt qu’à épauler un président de substitution (qui forcément n’avait rien demandé à personne). Le portrait est cynique, brûlant, reflétant les petites manigances de chacun pour parvenir à grappiller un peu de pouvoir, au lieu de se préoccuper des affaires courantes de l’État. Il nous montre aussi un président aux pâquerettes, sans charisme ni autorité, complètement hors-cadre et hors champ.

Le trait est féroce, mais ne sombre pas dans la gaudriole pour autant. Nous y voyons un monde de carriéristes de tous poils, celui d’une administration laissée à vau-l’eau, où, mais est-ce véritablement une surprise, le président ne jouit d’aucun réel pouvoir. Tiré à droite à gauche par ses conseillers, vice-président et autres larbins des services de protection en tête, il doit déjà combattre son propre camp avant de tenter de percer à jour la machination qui se referme autour de lui.

Tout est question de moyens, de double jeu, de jeu de tiroir aussi. Des espions doubles qui bouffent à tous les râteliers, travaillant à la fois pour la présidence et pour ceux qui veulent sa tête, des amis ennemis (et des ennemis amis, prouvant une fois de plus que les ennemis de mes ennemis sont mes amis), confèrent à ce roman policier une aura toute particulière, non sans rappeler celle de la Guerre Froide et de ses intimidations permanentes.

Portrait de l’Amérique (et du monde) d’aujourd’hui ?

Forcément, nous ne pouvons pas ne pas nous poser la question d’éventuelles ressemblances avec des personnages existants, si vous voyez ce que nous voulons dire. Nous lisons dans Avis de grand froid pas mal des interrogations quant aux arcanes du pouvoir. Qui tire les ficelles ? Sont-ce les financiers ou les dirigeants politiques ? Ou bien tous ces cabinets obscurs et autres lobbyistes qui, à leur façon, infléchissent les décisions à gros coup de billets (vert ou de toute autre couleur) ? Nous lisons en outre un président mélancolique, trimballant sa carcasse de péripéties en révélations, comme un pantin répondant aux ordres d’une sommité supérieure (mais inconnues), un être sans force, ayant bien une ou deux marottes en tête mais étant dans l’incapacité totale de les faire aboutir.

Là où Jerome Charyn est fort, en sus de son talent pour nous égarer dans un dédale de personnages et de situations protocolaires plus ou moins respectées, c’est pour tirer le portrait d’un citoyen se retrouvant là où il n’aurait jamais dû se trouver (de son aveu même). Ce roman, à prendre avec un minimum de second degré, est autant une satire politique qu’un livre noir. L’auteur y entremêle deux styles forts, sans les dissocier, ce qui laisse un goût douceâtre, amer en bouche. Le spleen du président nous colle comme une seconde peau, son « inutilité » aussi (ne parlons même pas d’incompétence). Enfin, inutilité, nous disons cela mais il est tout de même utile à une chose : à la parade, aux apparences.

Nous ressentons néanmoins de la sympathie pour ce président looser. Parce que ces combats sont loyaux. Mais l’environnement cynique l’entourant nous force à une certaine distance, nous met quelque peu mal à l’aise, effet obtenu par l’habileté d’un auteur qui, finalement, nous manipule aussi. Mais ça, nous en sommes bien conscient, et pour dire vrai, nous en raffolons.

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