JAKE LAMAR, Viper’s dream (éditions Rivages/Noir)

jake lamar viper's dream

New York made in France.

Viper’s dream de Jake Lamar inaugure une série intitulée New York Made In France portée par les éditions Rivages. Ce roman, ode à Harlem, à la Big Apple, et aussi au jazz, et un livre de gangster, de truands, se déroulant sur 25 ans. Avec une plume pleine de sensualité, de groove, l’auteur nous propulse dans ce quartier populaire où les noirs américains se prenaient à rêver d’une vie moins sordide que dans les états du sud des États-Unis.

C’est d’ailleurs cette quête d’un rêve à réaliser (celui de devenir trompettiste de jazz) qui pousse Clyde Morton à quitter l’Alabama et sa compagne de l’époque (d’une manière plutôt indigne), pour tenter sa chance à New York. Manque de pot, à la première audition, le couperet tombe : il n’a aucun talent pour l’instrument. Pas grave puisque Pork Chop, qui l’a auditionné, lui faire faire la connaissance de Mary Warner. Non, ce n’est pas une jolie noire du coin, mais l’autre nom de la marijuana. À partir de cette initiation à la fumette, Clyde Morton devient Viper (les fumeurs d’herbes sont ainsi surnommés par comparaison avec le sifflement d’inspiration caractéristique sur le joint).

soutenir litzic

Pour faire en sorte que litzic reste gratuit et puisse continuer à soutenir la culture

Initiation au banditisme.

Peu à peu, trajectoire classique du péquenaud devenant roi des dealers, Clyde « Viper » Morton grimpe les échelons. Formé par Mr O. qui dirige le club où Viper découvre la fumette, mais bien d’autres encore, il devient peu à peu son bras droit, jusqu’à gérer en bon patron « craint et aimé » le trafic d’herbe dans tout Harlem. Couvert par la police et par les avocats de Mr O. (qui approvisionnent le trafiquant), tout aurait pu continuer tranquillement si ce n’est l’assassinat de ce dernier par Yolanda Devray, sa favorite et chanteuse de jazz talentueuse (mais mineure).

Viper, fou d’amour pour Yoyo, comme l’appellent ses amis, fait disparaître le corps avec Peewee, le chauffeur de Mr O. et de Pork Chop. La police leur conseille de mettre les bouts, pourquoi pas dans l’armée qui recrute suite au bombardement de Pearl Harbor par les japonais. Quelques années plus tard, Viper retrouve Harlem qui a bien changé. Mais il reprend vite ses bonnes vieilles habitudes.

Des histoires dans l’histoire.

Le point fort de ce roman plein de swing et de groove, hormis ses personnages plutôt hauts en couleur, c’est l’entrecroisement de la croissance de Clyde Morton avec une liste de trois vœux qu’il doit formuler. En effet, Nica, personnage ambigu du livre, lui demande, un soir de 1961, de lui dire quels seraient les trois vœux qu’il ferait si ceux-ci pouvaient se réaliser. Or, ce même soir, Viper a commis son troisième assassinat, le premier qu’il regrette (comme mentionné en 4e de couverture).

Ainsi, nous suivons à la fois sa trajectoire de bandit mais aussi ses fameux trois vœux articulés autour des trois meurtres. C’est astucieux, malin, car cela donne à voir un Viper plus humain. En effet, plein de rêves, mais déjà un peu limite en matière de compassion, il avait tout pour être le parfait criminel antipathique auquel on ne peut pas s’identifier. Mais en creusant cette histoire de vœux, il n’en devient que plus humain.

En creux aussi, cette histoire de trafic de drogue, d’abord « anodin » puisqu’il est principalement question de cannabis, ensuite plus violent avec l’apparition de l’héroïne, et de la corruption (police, avocats, tous pourris). Si la première inspire les jazzmen qui y puisent leur cool attitude, et un peu de leur inspiration, la seconde les détruit (Charlie Parker en fera les frais, Miles Davis n’étant pas bien loin de lui succéder, tout comme John Coltrane). On y voit aussi, de loin, la place qu’occupent les noirs dans ce quartier qui était le leur, baigné de musique et d’un art de vivre autre que celui des blancs.

Descriptif et immersif.

Jake Lamar, en excellent conteur, nous immerge dans son univers par la force de descriptions presque cinématographiques. Nous avons véritablement l’impression de voir un film se dérouler devant nos yeux, avec une intrigue brisant la linéarité avec ses flashbacks et ses retours au présent. La narration ne souffre aucun défaut, aucune incohérence, maintient un rythme à la coule tout au long du livre, mais avec des accélérations bienvenues à des moments charnières de l’histoire.

Dans nos oreilles se dispersent la musique des Coltrane, David, Thelonious Monk, Charlie Parker et de bien d’autres. Devant nos yeux, un film qu’aurait pu réaliser un Sergio Leone (Il était une fois en Amérique). Le plaisir de lecture est intense, le livre se dévore et Jake Lamar, le plus français des auteurs américains puisque né dans le Bronx mais vivant désormais à Paris, nous démontre que quand on a une ville dans la peau, c’est pour toujours.

soutenir litzic

Nous retrouver sur FB, instagram, twitter</a

Ajoutez un commentaire