[ ESSAI ] ERWAN BARGAIN, Zombies, des visages des figures.

Zombies, des visages des figures, dimension sociale et politique des morts-vivants au cinéma, par Erwan Bargain (Éditions Ocrée).

Ah, les zombies ! Ces petite bêtes par très sympathiques qui peuplent à la fois nos imaginaires fertiles en monstres cauchemardesques et nos grands écrans en mal de sensations fortes et d’hémoglobine à l’hectolitre. C’est un fait, on en bouffe un peu à toutes les sauces, sanguines il va sans dire, pour le pire et pour le meilleur. Car, bien que propice aux massacres en tout genre, les zombies portent bien souvent un regard sur nos sociétés et sur certains maux de leur époque. Dans Zombies, des visages des figures, Erwan Bargain revient de façon pointilleuse et éclairée sur les aspects sociaux et politiques de ces créatures parfois (et/ou souvent) moins horribles que nous le pensons.

Le livre, ou plutôt devrions-nous dire l’essai, s’ouvre sur un chapitre complet dédié au Maître du genre, celui qui a donné ses premières lettres de noblesse aux zombies, à savoir Georges A.Romero. En effet, ce n’est un secret pour personne, les films de ce génie du septième art, tous styles confondus, mettaient et mettent encore en relief les travers de la société américaine sous un déluge d’hémoglobine. Il évoquait à la fois les dérives de la société de consommation ou, par exemple, le traumatisme généré par la guerre du Vietnam. Les zombies, en ce sens, symbolisaient un pays en proie à des doutes, des errances, mais aussi à une prise de conscience quant à des choix politiques ou à une économie prédatrice.

Thèmes sociétaux violents.

Ainsi, Georges A.Romero dénonçait tout en distrayant un public en mal de sensations fortes. Si ces propos donnaient un aspect fortement conscient à son cinéma, en en faisant dès lors des œuvres engagées et militantes, il révolutionna aussi le genre par une inventivité explosive. Il inspira pas mal de ses contemporains qui se saisirent du zombie pour crier à la face du monde à quel point tout ne tourne pas rond dans le monde qui est le nôtre (et notre confinement actuel n’est pas là pour contredire la chose).

À chaque époque, son combat ; séquelles de la guerre du Vietnam, dérive de la société de consommation, dérives des images, impact de la surinformation en quête de scoop, difficulté à vivre sa sexualité de façon normale, stigmatisation d’une partie de la société, enjeux environnementaux, mise à l’écart des malades, les coups de griffe des réalisateurs sont nombreux. Mais ils ont tous pour point commun une infection qui ramène les morts à la vie (même si ces infections n’ont pas toutes le même postulat de départ). Forcément, la première idée qui nous vient à l’esprit c’est que nous sommes nous-mêmes des zombies face, par exemple, à la culture des réseaux sociaux, ou par notre incapacité à remettre certains systèmes en place, à accepter l’omniprésence de l’argent (pour n’en citer que trois).

Mais les réalisateurs de ces films vont, pour les meilleurs (et ils figurent dans ce livre), creuser bien plus loin que la surface à laquelle affleurent les thèmes. En effet, ils n’hésitent pas, par la violence qu’ils filment, à montrer la violence ressentie par leurs personnages, imposer le malaise et la réflexion.

Un cinéma virulent.

Sous couvert d’une esthétique particulière, ce genre fait ici partie des plus critiques du cinéma. On pourrait lui trouver des similitudes avec celle des films traitant de la guerre (qui en montre ou démontre les rouages). Mais surtout, il parle de ces sujets d’une façon certes crue néanmoins chargée de symboliques ou de poésie (oui oui!).

Erwan Bargain propose son tour d’horizon des films ayant quelque chose à dire. Ne figure pas, par exemple, le navet World war Z. En revanche, nous découvrons des films dont nous ne soupçonnions pas l’existence et qu’il nous tarde de découvrir ! Par exemple Contracted qui place l’infection d’une femme, lesbienne, ayant eu un rapport plus ou moins consenti avec un homme. Elle deviendra zombie évoquant, entre autres choses, la place de la femme dans la société, l’enfermement dans la solitude suite à la transformation de son corps suite la contamination masculine etc. Ou alors Pontypool, film canadien, qui place l’infection au niveau du langage (la contamination se fait par l’usage de l’anglais,  les héros y échappent en parlant Français) démontrant le pouvoir des mots et leur potentiel destructeur.

Il est aussi question, parfois, de parentalité, de prise de conscience personnelle, du pouvoir des mots, de celui de l’image, de la maladie,de la pauvreté. Les thèmes sont multiples et poussent à la réflexion.

Une écriture entraînante.

Enfin, dernier, point, et non des moindres, concernant cette fois-ci l’auteur de cet essai. La plume d’Erwan Bargain est absolument parfaite pour faire de Zombies, des visages des figures un essai à la fois captivant et enrichissant intellectuellement, mais aussi un essai divertissant. L’écriture de l’auteur est en effet dynamique, jamais lourde, extrêmement précise, jamais condescendante, critique mais toujours dans le bon sens du terme, ce qui, foncièrement, nous donne sacrément envie de découvrir tous ces cinémas, qu’ils soient américains, australiens, coréens, français (oui des bons films de zombies made in France existent), canadien etc.

Le tour du genre nous paraît le plus exhaustif possible, faisant volontairement l’impasse sur The walking dead (ce qui n’est pas un mal). Il nous révèle des trésors de ce style cinématographique pouvant être clivants, avec malice et intelligence. Bref, c’est un ouvrage qui rend les zombies sexys et attrayants, ce dont nous étions loin de douter.

erwan bargain zombies, des visages des figures

Un autre essai ? Kanye West ou la créativité débordante

Playlist society parle aussi de Zombies, sous un prisme plus ou moins similaire dans Géographie zombie, les ruuines du capitalisme que nous n’avons pas lu mais dont nous sommes sûrs de la qualité.

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