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FLORINE DELCOURT, Tricky, antistar superstar
Essai déjà disponible chez Playlist Society
Tout le monde connait Tricky, mais il reste un mystère pour tous. Si la renommé acquise dès ses débuts avait tout pour lui ouvrir grands les portes du succès mondial, sa trajectoire artistique en dehors des sentiers battus à fait de lui une antistar par nature. Ce statut, pourtant, n’a rien ôté de son statut d’icône, de superstar. Florine Delcourt rédactrice en chef de Ground control) nous décrypte le parcours de Tricky et nous amène à voir sa carrière sous un autre éclairage.
Le monde entier a connu Tricky en même temps que la très célèbre formation de Bristol, à savoir Massive Attack. Ce groupe ayant popularisé une musique nouvelle, hybride entre l’électro, le hip-hop et une certaine forme de pop qui fut nommée Trip Hop, couvait en son sein le trublion Tricky (de son vrai nom Adrian Thaws), poète et chanteur au flow imparable. La carrière du musicien est lancée. On aurait pu croire que Tricky aurait poursuivi sa carrière dans la foulée avec le groupe, mais son choix fut de se lancer en solo.
Ce choix fut immédiatement couronné de succès grâce à son premier album Maxinquaye. Si l’homme travaille dessus, y rappe, il laisse les parties chant à MartinaTopley-Bird, une jeune femme rencontrée dans la rue et qui a estomaqué la « star » par sa voix « naturellement dangereuse » comme il le dit lui-même. Grand bien lui en a pris puisque le disque, un hommage à sa mère nommée Maxine Quaye, cartonne et entérine la vision artistique de Tricky.
Intransigeance et main tendue.
Nous découvrons alors un artiste complexe. Cette complexité est d’une part façonnée par la ville qui l’a vu grandir, Bristol. Il y vit, enfant, dans un quartier populaire, où une grande mixité sociale règne. Beaucoup d’habitants, provenant de colonies britanniques s’y côtoient, dans un joyeux foutoir qui n’entend pas rester muet sur les questions des droits des minorités par exemple. D’autre part, abreuvé par cette diversité, il se nie avec délice dans des genres musicaux divers et variés, allant du reggae à la musique électronique, en passant par le rock et le rap.
Tout cela le nourrit, lui qui, dès l’enfance, voue un amour sans frontières aux mots. Mais là où il aurait pu parler de gangster et de violence pour enrichir ses textes, son contexte à la fois social et familial s’y prêtant à merveille, il se tourne vers l’expression de ses sentiments intimes. La musique sera pour lui un catalyseur, un point de fuite qui lui permettra d’exprimer tout ce qui lui passe par la tête et lui pèse sur le cœur. Pour mettre cela en forme, il n’hésite pas à faire chanter, sur ses disques, des inconnu.e.s qu’il a entendus chanter dans la rue.
Il veut aussi creuser sa musique, proposer quelque chose de nouveau à chaque fois, ne jamais se répéter, quitte à perdre ses fans. Qu’importe, il suit ses envies, ses désirs, ce qui ne s’avère pas sans risque. Parfois à la limite de la ruine, il persiste, se rattrape in extremis par de bonnes ventes et continu son périple.
Le livre.
Cette chronique n’ouvre que sur une partie de ce que raconte le livre. Florine Delcourt creuse son sujet et nous amène à suivre le parcours de l’artiste dans un environnement (Bristol) puis dans différentes époques (jeune adulte sans responsabilité, puis adulte). Toujours agrémenté de références, avec une écriture fluide et digne d’un bon roman, l’autrice nous entraine toujours plus avant dans la compréhension de cet homme qui a toujours refusé les diktats d’une industrie carnassière (et au sens plus large d’une certaine vision d’une société).
Loin d’être une superstar inaccessible, elle nous montre un homme curieux, à l’écoute (en témoigne le fait qu’il a su dénicher des talents chez d’illustres inconnus), farouchement indépendant. C’est aussi un homme blessé qu’elle nous décrit, sans entrer dans un racolage putassier. Cet essai permet surtout de mieux comprendre un parcours qui, s’il semblait tracé d’avance, aura déjoué les pronostics de tous les bookmakers. Ce qui ne nous rend Tricky que plus humain.
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Patrick Béguinel