[ ESSAI ] ADRIEN DURAND, Kanye West ou la créativité dévorante.

Kanye West ou la créativité dévorante par Adrien Durant ( Playlist society, disponible le 11 juin en librairie).

Ah ! Kanye West ! Voilà un personnage intrigant, dont les excès, les frasques et les provocations ont fait de lui un habitué du cirque médiatique. Ses moindres faits et gestes sont scrutés à la loupe par le monde entier, relayant parfois sa musique au second plan. Que nous aimions ou pas le rap, Kanye West fait partie des icônes de la pop culture du XXIe siècle. Dans Kanye west ou la créativité dévorante, Adrien Durant décrypte et analyse la personnalité de la (rap) star et nous livre un essai passionnant sur l’une des personnalités les plus controversées de ces dernières années.

Impartiale.

Nous n’allons pas vous cacher que Kanye West est un peu l’archétype du gars qu’on adore détester (ou qu’on déteste adorer). Si nous sommes plus au fait de ses déclarations parfois surréalistes, sa musique ne nous est pourtant pas étrangère. En signant cet essai, Adrien Durant nous permet de faire une « vraie » rencontre avec « le plus grand artiste en vie ». Tout se côtoie dans Kanye West ou la créativité dévorante : la mégalomanie, le génie musical, la fragilité. Et tout cela est admirablement développé par un auteur d’une impartialité totale.

Il faut dire qu’Adrien Durant n’est pas le premier venu. Journaliste/critique musical pour les inrocks, il a remporté en 2019 le prix du meilleur journaliste musical français au International Music Journalism Award. Inutile de dire que cela met en confiance d’emblée. Et cette confiance ne se trouve, à aucun moment, trompée. La plume d’Adrien Durand, n’hésitant jamais à inclure l’histoire de l’artiste dans celle de son pays par le biais d’aller et retour chronologiques notamment, et son analyse nous amènent à réviser notre vision, forcément tronquée, sur le rappeur.

Des débuts difficiles.

Attention, n’allez pas pleurer dans les chaumières avec ce sous-titre racoleur. Kanye West est issu d’une classe plutôt bourgeoise, de mère enseignante d’anglais et de père photojournaliste. Après le divorce de ceux-ci, alors qu’il n’a qu’à peine un an, sa mère et lui partent vivre à Chicago. Il verra son père durant les vacances scolaires, à Atlanta. Bref, le nord et le sud. Le visage de ces deux Amériques s’inscrit quelque part dans son ADN (et cela ressortira lors de polémiques très vives, lors de ses prises de positions quant à l’esclavagisme par exemple, ou lorsqu’il montre sa « passion » pour Donald Trump).

La vie avec sa mère est plutôt enrichissante pour le jeune garçon qu’il est alors puisque sa mère, Donda West, « envisage l’éducation donnée à son fils comme un espace de liberté et d’expérimentation » (p.19).

Si cela a un effet positif sur ladite création (kanye West pulvérisera les normes hip-hop dès ses premiers albums,dont 808’s &heartbreak), le côté mégalo de l’artiste ne trouvera aucune limite. Ce manque de modestie, étrangement, ne jouera pas forcément contre lui. Il s’en servira même à divers paliers de sa carrière pour faire le buzz et gagner en sympathie (ou antipathie, ce qui n’a pas que des effets négatifs sur les ventes de disque).

Néanmoins, les coups durs pleuvent (pour l’ego du musicien), notamment lors de sa collaboration avec un autre rappeur mondialement connu, Jay-Z, qui ne voit en West qu’un (très bon) producteur. West a dès lors du mal à démontrer ses talents de MC et se retrouve frustré dans l’écurie de Jay-z de laquelle il ne tardera pas à s’échapper. Et les débuts difficiles laisseront place à une carrière d’une efficacité redoutable et des ventes massives d’album !

Musique.

Musicalement, Kanye West propose autre chose que ce que propose alors le rap, comme le mouvement Gangsta par exemple (il n’a de toute façon pas la crédibilité pour). Et puis il est un mélomane averti, passionné de soul Motown. Ses samples empruntent d’ailleurs souvent à la soul et lui donne une identité particulière. Mais bref, il déjoue les codes rap pour proposer une musique à la fois crédible pour les amateurs du style, tout en lui permettant de conquérir le grand public.

Plus sa carrière avance, plus il se lance dans des expérimentations qui touchent, et ce n’est pas anodin, très souvent son public, ou qui l’accroît de façon continue. Les brassages de genres et d’idées s’agencent de façon novatrices, ce qui fait bientôt de lui un personnage incontournable sur la scène musicale internationale. Pas seulement rap car il est capable de séduire rockeurs comme amateurs d’électro, les milieux mainstream comme le milieu indé. Il démontre une maitrise réelle de ses talents de producteur, tout comme une envie d’aller toujours plus loin dans ses concepts.

Les frasques.

Outre son mariage avec Kim Kardashian, star elle aussi des nouveaux médias, et provocatrice à ses heures, Kanye West n’en est pas à une provocation près. Ses propos tenus sur l’esclavagisme ont fait bondir plus d’un Afro-américain. Pourtant, dans ce livre, Adrien Durand remet les choses dans leur contexte, et celui-ci s’avère bien plus complexe que ce que nous voulons bien croire. L’intelligence d’Adrien Durand est de ne jamais prendre parti, comme nous l’évoquions plus haut, ce qui nous laisse nous faire notre propre opinion, avec les outils qu’il nous a laissé à disposition (et ils sont plutôt fournis).

En revanche, il démontre que Kanye West ne dit pas forcément les choses par hasard, ou du moins pas de façon totalement insensée. Car West est complexe, diablement complexe. Il a révélé sa bipolarité au grand jour (ce qui explique peut-être certains propos), néanmoins, en replaçant ceux-ci dans l’histoire américaine contemporaine, Adrien Durant montre que tout n’est pas infondé dans les propos de la star (même si, nous le répétons, l’auteur ne prend jamais parti, Dieu merci !).

Cela n’a que pour effet de nous amener à réviser notre position sur le personnage. Et sur l’artiste aussi. Car, si nous connaissons un peu sa musique, l’envie d’en découvrir plus nous saisit de façon incoercible. Kanye West ou la créativité dévorante s’avère donc un livre indispensable pour tenter de percer le mystère West qui, qu’on le veuille ou non, est peut-être bien le plus grand artiste vivant, tout compte fait.

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Également chez Playslist Society, Lizzy Mercier Descloux, une éclipse.

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