Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
ERWAN BARGAIN, JULIA WAUTERS, Marin, Félix et l’île aux oiseaux.
Livre jeunesse paru chez Hélium.
Imaginez un peu : vous êtes seul sur une île déserte, l’île aux oiseaux. Vous êtes là depuis longtemps, c’est ce que vous croyez parce que vous n’avez plus vraiment de souvenirs. Enfin bref, vous vous croyez seul, vous avez votre petite routine et, un jour, en la cassant cette routine, vous découvrez qu’un autre homme habite VOTRE île. C’est le constat que fait Marin en découvrant Félix. Et ça ne va pas bien se passer…
Avec le talent que nous lui connaissions déjà, Erwan Bargain nous raconte une histoire d’amitié, de tolérance, qui part pourtant sur de très mauvais rails. Mis en lumière (car ses illustrations sont des rayons d’arc-en-ciel) par Julia Wauters, cette histoire nous enchante et nous régale les sens.
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Il fait bon être seul (?).
Soit ! Marin s’acclimate aisément aux conditions météorologiques, mais il s’ennuie quand même un peu, tout seul, entre ses balades et son potager. Quand dans sa vie surgit Félix, nous nous attendons à des effusions de joie. Deux hommes esseulés qui se trouvent doivent bien pouvoir fêter cela, non?Or, c’est l’inverse qui se produit. Là où ils auraient pu devenir amis instantanément, pour combattre la solitude, ils ne s’attachent l’un et l’autre qu’à leur propriété.
Alors, pour ne pas que l’un empiète sur le territoire de l’autre, ils n’ont qu’une envie, construire un mur pour y vivre chacun en paix, de son côté.
Forcément, on pense à Berlin. On pense aussi à ce qu’il se passe du côté de Gaza et de l’état israélien, tout comme cela nous évoque cette frontière dressée par Trump entre les États-Unis et le Mexique. S’en inspirant pour tourner ces schémas protectionnistes puants au ridicule (car deux hommes ont-ils besoin d’un mur pour se protéger l’un de l’autre?), Erwan démontre à quel point il vaut mieux se porter assistance, écoute, plutôt que d’essayer de préserver un bout de terre qui n’apporte que peu de réjouissances.
Les illustrations.
Avec ce texte qui s’allège au fur et à mesure des pages tournées, Erwan Bargain mène son histoire de façon brillante, à même de plaire aux plus jeunes. Nous l’avons testé sur des élèves de maternelle qui, même si quelques mots sont compliqués pour eux, comprennent vite le fond de l’histoire. Il faut dire qu’ils sont aidés en cela par des illustrations chatoyantes et expressives, celle de Julia Wauters.
Elles sont pleines de vie, colorées à l’extrême, mais sans sombrer dans un mauvais goût « fluo ». Les jaunes, oranges, bleus, violets sont saturés ( ce qui signifie au plus près de leur couleur originale), le trait assuré. Les personnages sont aisément identifiables, l’un brun à la peau mate, l’autre blond barbu à la peau claire, et leur environnement nous évoque les tropiques.
Il y a là de la végétation, des animaux (des oiseaux forcément, puisqu’il s’agit de l’île aux oiseaux, mais également des lapins par exemple), du sable, la mer. Dynamiques, ces illustrations représentent des actions simples mais qui imagent à merveille les travaux de construction du mur . Ce mouvement, dispersé sur les pages (les textes s’invitant dans les « trous » blancs), en rend la lecture encore plus vivante.
Ne jamais prendre les petits lecteurs pour des idiots.
Nous parlons de ce mouvement car, indépendamment l’un de l’autre, chaque entité (dessin ou texte) possède une fluidité qui lui est propre. En les associant, on aurait pu craindre que l’une ne supplante l’autre, prenne le dessus, ou simplement que l’on en vienne à nous dire que « oui le texte est bon mais le dessin est anecdotique » (ou inversement), or les deux sont parfaitement liées entre elles, s’articulent entre elles et articulent aussi l’histoire.
Dans les deux cas également, nous percevons le profond respect des deux auteurs/artistes envers leur public. Il n’y a rien de facile, de complaisant et surtout, cette histoire n’est jamais gentillette. Au contraire d’une facilité agaçante, nous sentons l’envie de suggérer tout ce qui n’est pas dit ici et qui, peut-être, pourrait ne pas être compris des plus jeunes. Ajoutons à cela un autre point fort, celui qui, une fois l’histoire terminée (avec une image qui pourrait donner l’idée au tandem d’écrire une suite conjointement), nous pousse à imaginer ce que les deux compagnons pourraient devenir.
Le thème ayant déjà été traité, il fallait un axe fort autour duquel écrire cette relation humaine sans tomber dans les clichés. Le piège est évité haut la main et l’ensemble fait sens. Au final, Erwan Bargain et Julia Wauters font de Marin et Félix deux sympathiques héros qui combattent la bêtise à leur manière et de leur île aux oiseaux un havre de paix où il fait bon vivre. Un happy end comme on les aime.