[ROMAN] BENOÎT PATRIS & BRUNO TOFFANO, Hôtel Silencio

Hôtel silencio, aux éditions de L’abat-jour

Vous venez de poser vos valises à l’Hôtel Silencio. Le réceptionniste vous fait les recommandations d’usage, lorsque l’on pénètre dans un lieu séculaire à l’âme joueuse qui ne fera de vous qu’une bouchée et vous mènera aux frontières de votre inconscient. Vous explorerez des chambres et des pièces étranges, tapissées d’inquiétante étrangeté, desservies par un couloir à faire pâlir Stephen King, peuplées de créatures plus ou moins fréquentables qui vous feront oublier les Carrie, les Pennywise et autres Christine qui logent déjà dans votre mémoire avide de mystères et de fariboles terrifiantes.

Entrez dans l’Hôtel Silencio, laissez-vous bercer par sa magie noire, par ses messes cabalistiques, par ses chants vaudous et son ambiance transylvanienne. De toute façon, vous n’avez pas le choix, non, j’exagère, vous choisirez à chaque fin de chapitre, ou du moins, on vous fera croire que vous choisissez. Une fois que nous mettons le doigt dans l’engrenage, nous n’avons plus la main. Et la direction se dédouane si vous n’en ressortez pas indemne.

Les clés du mystère

Nous avons eu droit à trois volets de l’Hôtel Transylvania, joyeuse gaudriole fantasque et animée avec des monstres à tous les étages et un message universel sur la tolérance. Nos enfants ont pu rire des aventures rocambolesques de Papy Drac et sa joyeuse famille déjantée. Nos ados ont eu droit à Zombillénium, BD faisant elle aussi la part belle aux monstres et démons en tout genre. Elle a été portée à l’écran d’ailleurs et a enchanté les spectateurs en mal de bestioles peu ragoutantes.

Avec Hôtel Silencio, nous sommes rassasiés de situations étranges, de monstres aussi, souvent à visage humain, de pertes de repères. Benoît Patris nous malmène, joue avec notre perception de la réalité, parsème son texte de références tous azimuts et nous emporte dans un périple, dont nous ne pouvons pas sortir en un seul morceau. L’originalité de ce roman à tiroirs est de nous proposer en fin de chapitre un choix entre deux pages, entre deux voies, si bien que nous pourrons lire ce roman plusieurs fois sans jamais vivre la même expérience. L’hôtel nous offre les clés de différents lieux, mais certainement pas les clés du mystère. Nous ne parvenons pas à rassembler nos idées, nous sommes des pantins désarticulés qui n’arrivent pas à couper leurs fils, nous n’avons pas les rênes ! C’est déstabilisant et en même temps si jouissif qu’une fois arrivés à la fin, nous n’arrivons pas à lâcher l’ouvrage aussi mystérieux que le grimoire des trois Grées.

Inquiétante étrangeté

Comme les Grées, ce roman préside à notre destinée de lecteurs. Tous les éléments de suspens, d’intrigues imbriquées, toute la galerie de personnages plus farfelus les uns que les autres et toutes ces portes qui ouvrent sur des chambres et des boudoirs dignes du manoir de la Famille Addams, du laboratoire du Docteur Frankenstein ou de celui du Docteur Jekyll.

Tim Burton, Cronenberg, Hoffmann, Gauthier ou Allan Poe auraient un plaisir fou à se repaître de ces pages flirtant avec une ambiance à la X Files, biberonnée avec la liqueur de l’émission Mystère, saupoudrée de 4ème dimension, infusée de Poltergeist, diluée dans Black Mirror, le tout À la frontière du réel.

Tous les ingrédients de l’étrange, du lugubre et de la bizarrerie se distillent dans cet ouvrage lourd, aux pages épaisses et légèrement en relief pour une expérience tactile entêtante, aux créations graphiques soignées qui participent à l’atmosphère noire de l’ensemble. La qualité du texte, qui baigne dans un vocabulaire riche et soutenu, est incontestable. Quelle plume ! Chaque mot est choisi avec soin. Les histoires sont documentées et agrémentées de références à la pop culture, à la science, à la philosophie, à l’art, au processus de création et d’écriture. C’est comme si l’ouvrage s’écrivait sous nos yeux au fur et à mesure de nos choix, ce qui donne une impression de vertige et de glissement vers la perdition la plus totale. Nous nous perdons corps et âme dans cet univers complexe et labyrinthique qui vous dévorera le cœur et qui imprègnera vos esprits curieux.

Pour conclure

Hôtel Silencio est une expérience multi-sensorielle qui propose de pousser des portes et de saisir des clés pour essayer de démêler les écheveaux de ce dédale littéraire. Si vous croyez que vous êtes les maîtres à bord, vous vous leurrez. Un chat aux yeux verts luminescents s’amuse avec vous, petites souris sans défense, et ne vous laissera aucun répit.

Il vous faudra laisser vos certitudes dans vos bagages, car rien n’est sûr ou acquis entre les murs d’ombres irréelles de cet hôtel à la Crimson Peak ou à la Shining. Tremblez, pauvres hères pris entre les mâchoires de Cerbère de ce lieu en marge qui navigue entre les mondes et les réalités. Tremblez, mais ne reculez pas ! Entrez, poussez ces portes, ouvrez ces dimensions qui s’offrent à vos yeux, vous ne serez pas déçus du voyage.

Chronique par Florent Lucéa 

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Florent vous donne rendez-vous à la rentrée avec des nouvelles chroniques BD. En attendant, vous pouvez relire sa dernière en date, Le voyage de Marcel Grob
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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