Mark Waid, Kwanza Osajyefo et Phil Briones, Ignited Vol.2 : Insoumis

Ados au bord de la crise de nerfs

Un groupe d’adolescents que tout oppose s’est découvert des aptitudes hors du commun après une fusillade dans l’enceinte de leur établissement. Dans le tome 2 d’Ignited, ils vont devoir rivaliser d’ingéniosité pour empêcher un maître chanteur de divulguer leur véritable identité.

À l’heure des réseaux sociaux, des médias tentaculaires et de la vie privée étalée sur la place publique offerte à des yeux avides, il semble compromis de goûter à l’anonymat, même lorsqu’on veut sauver le monde.

Partagés entre le désir de préserver leurs familles et l’envie d’éveiller les consciences, nos jeunes héros vont devoir prendre des décisions qui les marqueront durablement.

Néo-comics de situation

Ce comics s’inscrit dans la pure tradition des franchises américaines avec des ados mal dans leur peau, qui se découvrent des pouvoirs cools après un événement traumatique. Elle est la digne héritière des X-Men, Avengers, Justice League et consorts. Elle embrasse les codes du genre, tout en bousculant les stéréotypes avec des sujets terriblement actuels.

Elle traite en effet sans ambiguïté de thèmes sociétaux modernes, tels que la jeunesse en perte de repères, le racisme ordinaire, les tueries de masse ou la fracture générationnelle. Toutes ces problématiques du monde contemporain sont distillées avec brio et approfondies sans langue de bois ou caricature.

Le ton est juste et profond. Vous serez percutés en plein cœur par ces adultes en devenir qui se cherchent et se débattent avec leurs contradictions. Les auteurs de cette œuvre prennent parti et assument leurs prises de position. Ils questionnent la société américaine, mais plus largement nos sociétés modernes qui courent après la gloire éphémère, l’argent facile, la quête illusoire d’une célébrité sclérosée.

3, 2, 1… ignition !

Telle une fusée d’émotions, de couleurs et de rythme endiablé, Ignited 2 nous divertit par sa débauche de pouvoirs pour le moins originaux (nous pensons notamment au jeune qui manipule les pires maladies pour les inoculer à ses adversaires, comme un écho funeste à la pandémie qui nous touche en ce moment), mais cette BD nous instruit aussi et nous pousse à la réflexion.

Elle nous renvoie à nos expériences et à nos questionnements. Elle balaie les réflexions que toute génération peut se poser sur un monde qui va trop vite, comme un train à grande vitesse, dont la destination funeste nous est connue, mais dont nous ne pouvons plus arrêter la course folle et irrésolue.

Notre monde moderne, ce parangon de l’intolérance et du culte de la personnalité, n’est pas totalement bon à mettre au rebut. De telles œuvres créatives peuvent secouer nos petits esprits égotiques. Encore faut-il retirer nos œillères et ne pas se regarder le nombril ? Encore faut-il délaisser quelques instants ses écrans pour prendre conscience de notre environnement et de nos pairs avant qu’il soit trop tard ? Avant qu’ils ou elles commettent l’irréparable ?

Je voudrais avoir une petite pensée à ce stade de ma chronique pour toutes les victimes de tueries de masse. On pense bien sûr à Colombine (je vous renvoie au superbe film Elephant de Gus Van Sant ou au documentaire de Moore), mais on pourrait songer à Christ Church, Orlando, Oslo et bien trop d’autres villes.

Pour conclure

L’humain, être complexe et perfectible, capable de tant de beautés comme de tant de monstruosités fascine depuis toujours les créatifs du monde entier. Les artistes passent parfois par le surhumain pour divertir et instruire leurs pairs, et pour allumer l’ampoule de la vigilance dans la caboche polluée par les ondes narcissiques de nos corps alanguis.

Cette BD trace son sillon dans cette veine et asperge de sel nos plaies les plus profondes pour nous alerter, nous agiter les neurones et nous empêcher de sombrer corps et biens dans les méandres de schémas débilitants. Comme dirait un grand penseur amateur de prises de karaté : « Be aware ! » Soyez conscients ! Si vous ne voulez pas que des gourous, des extrémistes, des prédateurs étatiques ou des complotistes vous dévorent le cerveau à la petite cuillère, comme dans un film de zombies de Romero.

Ignited Vol.2 : Insoumis, de Mark Waid, Kwanza Osajyefo et Phil Briones, Humanoïdes Associés, février 2021

Chronique par Florent Lucéa

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Florent vous donne rendez-vous à la rentrée avec des nouvelles chroniques BD. En attendant, vous pouvez relire sa dernière en date, Le voyage de Marcel Grob
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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