[BD] JULIE ROCHELEAU & SOPHIE BIENVENU, Traverser l’autoroute
La platitude de l’existence ?
Florent Lucéa nous parle ce mardi de la bande dessinée Traverser l’autoroute, de Sophie Bienvenu et Julie Rocheleau (disponible aux Éditions La pastèque), qui nous conte, à travers un road movie, toute la complexité qui unit les hommes. Plus que jamais, la route qui défile nous met-elle face à nous-même ? Florent Lucéa vous donne ses éléments de réponses.
L’histoire.
Une autoroute sur laquelle des bolides désincarnés se lancent à vive allure pour rallier une destination inconnue, un couple vivotant dans une vie réglée comme du papier à musique, traversé par un train-train quotidien sans intérêt, teinté par la nostalgie d’un amour passionné et moribond, désespéré de ses relations filiales avec un rejeton prisonnier des écrans et à l’avenir incertain, un voyage père-fils dans une voiture aux essieux fatigués et un fossé générationnel qui se creuse durant le court road-trip comme un abysse sans fond où toute la famille est sur le point de s’engouffrer, voilà le capharnaüm que nous propose Traverser l’autoroute.
Un espoir au bout du tunnel ? Peut-être bien que oui. Et cet espoir a du poil aux pattes.
L’élégance des hérissons.
Les deux autrices, nos deux anthropologues créatives, traitent des vicissitudes de l’existence avec hardiesse et adresse. Les mots sonnent juste, la variation de points de vue nous enchante, les personnages sont attachants et si proches de nos propres interrogations. Quant aux traits et aux couleurs, elles témoignent d’un certain goût pour l’économie, l’harmonie des teintes, la maîtrise du geste, et elles se marient au texte pour décrypter les comportements humain.
Les réactions des personnages sont tantôt hilarantes, tantôt émouvantes. Ils ne sont pas sans rappeler Renée, la concierge de L’élégance du hérisson de Muriel Barbery, une femme oubliée sur le bord de la route de la vie, une ombre parmi les ombres, à qui l’on ne fait attention. Les êtres qui paraissent insignifiants à certains pédants rétrogrades sont souvent des personnages littéraires idéaux.
Nouvelle Comédie humaine.
Les transports humains sont étudiés avec une justesse évidente. Ces gens pourraient être nos amis, nos parents, nous-mêmes en fait, et c’est cela qui suscite immédiatement notre intérêt et notre curiosité. Nous brûlons de savoir comment tout cela va finir. Aurons-nous droit à une fin dramatique ou à un happy end ? Est-ce que ce père et ce fils trouveront le chemin qui les mènera l’un à l’autre ou est-ce qu’ils s’abandonneront au bord de l’autoroute de la vie ?
N’en déplaise aux êtres froids qui pensent que le monde n’est que cases, normes et chemin tout tracé, le neuvième art emprunte à tous les genres, à la peinture, au cinéma, au théâtre, il étudie les mouvements, les psychés, les genres et suscitent des émotions saines et nécessaires dans un monde bien trop normatif.
Traverser l’autoroute est une pépite qui joue avec nos émotions et nous ravit l’âme et le cœur. On nous joue ici une comédie qui n’a rien à envier aux sagas littéraires de Balzac ou Zola. Les autrices nous parlent « vrai », et gageons qu’elles réitèreront leur exploit dans d’autres « pièces à planches » à l’avenir.
Pour conclure.
Traverser l’autoroute est un petit concentré de passage à la loupe de la complexité des liens qui nous unissent et nous désunissent, des frustrations, des non-dits, des griefs ridicules qui nous éloignent les uns des autres, mais aussi une formidable ode à la vie, à la possibilité d’un renouveau, d’un ravivement de notre feu intérieur s’étiolant souvent dans les méandres d’un quotidien désespérément monotone.
Traversez donc le pont qui vous sépare de cette BD haute en couleur, véritable bulle de plaisir indispensable dans la morosité ambiante. Réenchantez vos lectures en diversifiant vos pérégrinations dans le dédale littéraire qui vous tend les bras.
Vous passerez un moment intense et éphémère comme un bonbon acidulé du nom d’un célèbre personnage de la Commedia dell’arte, dont on se délecte, qui finit par disparaître, mais qui laisse un souvenir impérissable dans votre mémoire résiliente.
Une autre chronique BD par Florent Lucéa : Chinese Queer
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Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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