[ BD ] TIMOTHÉE LEMAN, Après Le Monde, Après nous le déluge

Après Le Monde de Timothée Leman, Éditions Sarbacane, 158 pages, août 2020

L’histoire d’Après le monde : le jeune Héli est désespérément seul dans un monde où d’étranges tours de lumière ont fait disparaître toutes traces de la population mondiale. Longtemps figé dans la maison familiale, témoin d’une vie de famille attentionnée, Héli se décide à mettre son baluchon sur l’épaule et à prendre la route afin de découvrir ce qui se cache derrière la plus grande tour qui surplombe une ville dépossédée de ses habitants.

Ne subsistent que des ombres, des bâtiments vides inquiétants, une flore anarchique et une faune hostile. Héli rencontrera sur sa route une compagne de route en la personne de Selen, aussi démunie que lui face à la cruauté d’un « après-monde » où tous leurs repères, les piliers stables de leur vie et leurs espoirs de retour à la normale se sont envolés.

Onirisme à tous les étages

Le monde dans lequel évoluent les personnages nage entre rêve et réalité. Nous reconnaissons des indices de nos sociétés modernes, mais des événements et des situations incongrues et étranges gomment les frontières entre onirisme, rêverie, monde dystopique et cauchemars faustiens. Les animaux les plus anodins en temps normal s’avèrent être les pires démons de cet univers halluciné.

L’auteur nous fait osciller entre inquiétude, suspens et terreur comme si nous étions entre ses mains des pantins incapables de discerner le vrai du factice, le rêve du réel. La prouesse graphique avec ce trait et ses teintes de brouillard, de flou et d’évanescence sert parfaitement le propos de l’auteur omniscient qui est le seul à savoir vers quel abîme il nous entraîne. Ses personnages aux grands yeux délavés et si expressifs nous rappellent les tableaux des « Big Eyes » de l’artiste américaine Margaret Keane. Les créatures, elles, tendent vers la série la Quatrième dimension ou vers l’univers lugubre de Tim Burton. Le plus déstabilisant, c’est que nous ne savons pas la raison de l’apparition des tours, ni même si tout rentrera un jour dans l’ordre.

Voyage initiatique en terrain hostile

Les deux enfants que nous suivons apparaissent comme des Adam et Ève post-apocalyptiques. Ils jouent une partition à deux voix comme le film La route où un père et un fils tentent de subsister dans un monde déchu où la loi du plus fort est la seule à perdurer.

Nos deux héros n’ont qu’un seul but : rejoindre cette maudite tour immaculée et énigmatique. Ils sont en quête de vérité, mais ils comprennent qu’ils se rapprochent du danger au lieu de s’en éloigner, comme leur instinct de conservation devrait le leur dicter. Ils constituent peut-être le seul espoir de ce monde désincarné et gothique, et leur besoin de tout tenter pour rétablir l’ordre pourrait très bien causer leur perte. Pourtant, inlassablement, nos intrépides minots cheminent vers la tour, se serrent les coudes et se révèlent être bien plus forts qu’ils ne le croyaient eux-mêmes.

Leur innocence s’est envolée. Ils ont dû grandir et mûrir à cause des circonstances. En ce sens, Après Le Monde nous semble comme une métaphore du chant du cygne de l’enfance et du dur parcours vers l’âge adulte, un âge où nous perdons nos illusions, où nous sortons de nos zones de confort pour affronter l’âpreté de la société hiérarchisée. C’est comme si ces deux gamins refusaient de céder à la fatalité, de baisser les bras et décidaient de relever le défi coûte que coûte, même si cela implique leur sacrifice. Plutôt que de subir une situation, ne vaut-il pas mieux se battre pour les valeurs auxquelles nous croyons ?

Pour conclure

Après le monde est un plaisir pour les yeux avec une esthétique soignée et une atmosphère en clair-obscur, tels une toile de Caravage ou un roman de Mary Shelley. Ouvrez la porte de ces landes familières et en même temps étrangères, peuplées de présences fantomatiques, de créatures cataclysmiques. Tremblez pour ces deux enfants de la lumière, deux lucioles esseulées dans les ténèbres qui tentent de maintenir la pureté de leur lueur intérieure intacte.

Sauront-ils se préserver des dangers qui les assaillent de toute part ? Saurez-vous démêler les écheveaux de ce rêve entêtant et terrifiant ou vous laisserez-vous happer par la tour de lumière ? Mais à bien y réfléchir, où commence le rêve et où finit la réalité ? Sommes-nous vraiment éveillés dans ce monde moderne en perte de vitesse qui sombre dans les eaux ternes de la surconsommation et des extrémismes ?

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Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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