SVETLANA CHMAKOVA, Grimoires et Sorcières

grimoires et sorcières1 : Prends Garde aux Bois Silencieux.

Grimoires et sorcières nous place en compagnie d’Ailis, une jeune fille un peu différente des autres qui vit avec sa grand-mère dans une ville peuplée d’humains et de créatures du crépuscule. De plus, elle est une Weirn, une sorcière liée dès la naissance à un démon, un Astral, sorte d’ombre indécise, qui se comporte un peu comme un animal de compagnie et qui possède une force herculéenne.

Il vaut mieux le dresser si l’on veut éviter les déconvenues. Ailis peut compter sur ses deux cousins, ainsi que ses deux voisins, dont le ténébreux Russ, un loup-garou, pour qui elle nourrit des sentiments ambigus.

Hélas, une menace plane sur notre sorcière en herbe qui maîtrise une magie puissante connectée avec son aura bienfaitrice. Une mystérieuse école délabrée, une directrice-savante folle et présumée morte, des élèves disparus voilà des années, dont le jumeau de la grand-mère acariâtre d’Ailis, une créature
au masque blanc (un peu théâtre de Nô japonais) qui erre sans que l’on sache pourquoi.

Ne vous promenez pas dans les bois mutiques !

Empruntez les pas magiques d’un groupe d’enfants féériques aux prises avec une force maléfique avide de pouvoirs et de domination. Découvrez un monde avec des codes qui oscillent entre les aventures des sœurs Halliwell de Charmed, celles de Sabrina, l’apprentie sorcière, de Kiki, la petite sorcière ou de la jeune Sophie (dans Le Château ambulant d’Hayo Miyazaki, « votre magie graphique nous manque d’ailleurs, vénérable artisan de l’émotion quotidienne »).

Vous plongerez alors dans un univers d’une richesse exponentielle, aussi intuitive et aussi construite que celui d’un gamin à cicatrice-éclair sur le front et lunettes rondes. La seule différence, c’est que Grimoires et Sorcières est une œuvre graphique et qu’elle vous fera donc vivre une immersion encore plus percutante grâce à sa dimension illustrative.

Un dessin d’un dynamisme à toute épreuve

L’autrice-illustratrice, Svetlana Chmakova, semble avoir mûrement réfléchi son projet. Quand nous découvrons les premières planches, nous sommes happés, subjugués et fascinés par la densité de cette histoire. Nous ne sommes pas étonnés d’apprendre que ce n’est que le premier opus.

Une fois l’ouvrage clos, nous restons hébétés, et nous en voulons encore. Nous brûlons d’apprendre ce qu’il adviendra de tous ces personnages hauts en couleur, attachants et bien plus complexes que le laissent deviner leurs teintes délicates.

Il y a de la profondeur dans cet univers magique, de la réflexion sur la famille (notamment avec ces petits-enfants rebelles et leur mamie un peu Baba Yaga), les relations d’amours naissantes (l’adolescence et ses bouleversements cataclysmiques), la magie et ses lourdes conséquences (cette notion se retrouve dans Game of Thrones, The Witcher ou encore la saga Eragon de Christopher Paolini), l’abus de pouvoir ou encore la recherche scientifique au mépris de toute éthique (la figure du savant fou compte nombre de représentants tels Doc Jekyll ou Doc Frankenstein).

Tout un monde de magies et de dangers

Grimoires et Sorcières apparaît comme une œuvre à la richesse incommensurable qui augure de belles choses pour les tomes suivants. Gageons que le talent de l’autrice lui permettra de nous surprendre, de nous émouvoir et de nous malmener aussi un peu comme toute créatrice qui se respecte.

Ce qui détonne aussi, ce sont les textes, l’humour, les onomatopées de bruits en tout genre ou la façon dont les personnages s’expriment. Nous pensons aux mangas avec la déformation des visages et les expressions exagérées pour nous faire sourire. C’est une BD au carrefour de plusieurs influences qui ménage le suspense, l’humour et les situations ubuesques avec une aisance décomplexée, et ça fait du bien !

Les personnages habitent l’autrice depuis des années, et ça se voit, elle prend le temps de nous donner à voir leurs liens, leurs amours, leurs caractères antagonistes.

Elle tisse la toile de cette ville merveilleuse recelant mille et un dangers. Les créatures dépeintes sont d’une originalité folle et nous avons plaisir à les découvrir au fur et à mesure que l’histoire se déroule.

Créatures inédites

Ces Weirns liés à des Astraux bizarroïdes, pas tout à fait animaux légendaires, ni plantes magiques pour potions ou filtres, ni champignons merveilleux pouvant servir de maisons à des lutins ou à des petits gnomes bleutés à bonnets immaculés. Des blobs alors peut-être ? Non plus. N’en déplaise à Audrey Dussutour qui a envoyé son blobby adoré à Thomas Pesquet voilà peu. Par fusée bien sûr, sinon ce n’est pas fun.

Non, les Astraux sont unis étroitement aux Weirns, ces sorcières et sorciers à la magie puissante, mais exigeante, qui peut leur donner beaucoup et leur prendre tout autant. Leur vie, leur libre arbitre ou leur santé mentale.

Ces Astraux et leur lien étroit avec leur comparse me font penser aux dæmons (animal lié à un humain, représentant son âme) dans la saga de Philip Pullman, À la Croisée des Mondes, avec son héroïne Lyra Bellacqua, qui pourrait être une alliée d’Ailis sans problème, même si elles sont de deux mondes différents. Y aurait-il de la Poussière dans le monde d’Ailis ? On ne peut jamais savoir…

Je vous recommande d’ailleurs l’excellente série tirée de cette croisée des mondes : His Dark Materials. J’ai eu le plaisir de me délecter d’une intégrale de la trilogie littéraire de Pullman. Plus de mille pages de voyage imaginatif. Une expérience hors-cadre comme je les aime.

Je suis sûr que Grimoires et Sorcières nous offrira aussi une belle épopée graphique et colorée, regorgeant de nouvelles perspectives et de développements inattendus. La suite, vite, nom d’une gargouille !

Pour conclure

Une BD divertissante, sans prise de tête de prime abord, mais dont la densité, la complexité et la richesse se devinent au fil des pages. Nous nous identifions sans mal à ses personnages mystiques et nous brûlons d’en apprendre plus sur les spécificités d’un univers littéraire en pleine expansion.

Nous ne sommes que dans l’antichambre de cette saga, et je peux vous dire que vous aurez hâte, comme moi, de visiter toutes les pièces de cette forteresse créative, née d’une imagination aussi surprenante que des Matriochkas, servie par un dessin suave comme un Zéphyr (guimauve russe).

Le monde magique de Grimoires et Sorcières saura ravir les petits comme les grands enfants, par sa façon de tisser sans effort du lien entre ses protagonistes et celles et ceux qui posent leurs yeux curieux sur cet univers intriguant.

Grimoires et Sorcières, 1 : Prends Garde aux Bois Silencieux, de Svetlana Chmakova, Éditions Jungle, janvier 2021

Florent Lucéa

florent lucéa 2021

Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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Florent

Florent Lucéa a rejoint l'équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l'oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l'on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019. Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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