MIKAEL OLLIVIER, NICOLAS PITZ, Hantée
Esprit, es-tu LAS ?
L’histoire de Hantée : Tilda est une jeune fille frappée en plein vol par la pire épreuve que le destin pouvait lui envoyer. Elle a un accident de scooter avec sa sœur jumelle, Manon. Hélas, cette dernière décède. Tilda perd pied. Elle s’en veut, car elle est « celle qui a survécu ». Sa sœur, c’était toute sa vie. Elle sombre et échoue au Refuge, un centre qui tente de donner un nouveau souffle aux adolescents malmenés par la vie.
Noyée dans sa peine, Tilda se lie avec une bande de jeunes écorchés, dont Camille, un garçon en perdition depuis la disparition tragique de sa mère durant son enfance.
Le petit groupe se livre à une séance de spiritisme, et là, c’est le drame ! Tilda voit dès lors des fantômes partout ! Pas idéal pour se reconstruire, n’est-ce pas ?
Une femme mystérieuse, soi-disant chasseuse de fantômes, se propose de l’aider. À aller mieux ? Rien n’est moins sûr, et il faudra tout l’amour de ses proches pour permettre à Tilda d’échapper au gouffre qui la menace !
Retrouvera-t-elle la lumière et le chemin vers l’apaisement ? Découvrez-le en vous procurant Hantée, une BD époustouflante par bien des aspects.
L’élégance d’1 verre 2 l’âme
Je voudrais commencer par exprimer toute mon admiration pour la coloriste de ce projet, j’ai nommé 1Ver2Anes (pseudo d’une poésie mystérieuse), si les deux auteurs me le permettent (je l’ajoute en bas de ma chronique, car sa présence sur ce projet est tout sauf anecdotique).
Honneur donc à une grande dame de la couleur, de la subtile alchimie des teintes et des effets chromatiques facilitateurs d’atmosphères sublimes. La couleur est un personnage à part entière qui épouse les enveloppes charnelles, transfigure le paysage, l’ombre ou la lumière, donne corps et chair lasse aux spectrales apparitions de cet univers de bulles.
La couleur vient en soutien indispensable au dessin puissant de Nicolas Pitz. Ses personnages se développent en lignes épurées. Ses esprits frappeurs sont inquiétants et nous mettent mal à l’aise avec leurs yeux vides. Ils nous renvoient à notre propre fin, une angoisse pour certains, un point final inéluctable pour d’autres, une nécessaire étape dans notre parcours pour certains sages.
Mais sans les couleurs d’1Ver2Anes, l’ambiance d’inquiétante étrangeté, de spleen baudelairien et de tension fantastique à la Tim Burton, saupoudrée de plasma à la Ghostbusters, n’aurait pas la même saveur enivrante. Notre cœur-pomme ne serait pas touché de la même manière avec cette flèche graphique tirée par une Guillaume Tell « me a ghost story », avec son carquois de phylactères philosophiques dans le dos.
Certaines aventures graphiques se passent très bien de la couleur. Les péripéties d’un Batman sont encore plus sensationnelles avec leurs aplats de noirs profonds et l’obsession pour les contrastes binaires. Les déclinaisons des mangas privilégient avec le noir et blanc, le mouvement, les gestes stylisés et les personnages distordus. La BD qui nous occupe aujourd’hui ne peut pas se priver de la couleur. Elle lui insuffle la vitalité nécessaire à son explosion visuelle.
D’ailleurs, sa couverture donne immédiatement le ton à l’ouvrage. Elle nous promet des tremblements et des émotions exacerbées. Nous en revenons toujours à cette bonne vieille catharsis…
Quand l’étrange côtoie la métaphysique
En effet, les deux auteurs, Mikaël Ollivier et Nicolas Pitz, livrent avec Hantée une réflexion d’une profondeur abyssale (rien de péjoratif dans ce terme, vous savez que j’aime l’emphase), car elle touche à des notions qui turlupinent les humains depuis la nuit des temps.
Y a-t-il une vie après la mort ? À quoi sert la vie, si la Destination Finale est le tombeau froid dans lequel le Mort Joyeux apprécie sa dévoration par des vers rimeurs sans yeux, mais pas sans style ? Comment continuer à vivre, lorsque l’on a perdu un être cher, qui nous semble essentiel à notre pérennité ? Comment faire son deuil ? Comment trouver un sens à son existence, quand la voie semble sans issue ?
Oui, Hantée est d’une beauté à couper le souffle. L’esthétique soignée, le trait maîtrisé, les couleurs et les trouvailles techniques pour donner vie aux scènes dans la pénombre et aux fantômes aux yeux vides constituent des débauches d’inventivité réjouissante.
Mais la beauté ne fait pas tout. Une œuvre magnifique est bien creuse si son intention n’est pas clairement identifiée ou mal énoncée.
Ce n’est pas le cas ici. Les jeunes lectrices et lecteurs trembleront et s’émerveilleront en même temps, et les adultes y trouveront aussi leur compte, car cette BD traite d’un sujet inspirant souvent les œuvres de fiction. Elle emprunte à nos histoires de fantômes préférés leurs impondérables (spiritisme et chasse aux fantômes), mais elle ne tombe pas dans l’écueil de redire ce qui a déjà été dit. Bien au contraire, elle offre un éclairage inédit, audacieux et bienvenu en cette période trouble qui agite notre monde.
La planète neuvième art est toujours au rendez-vous pour se saisir avec originalité de thèmes titillant l’esprit humain, et elle permet ainsi à son lectorat éclectique de dépasser les freins qui pourraient ralentir son évolution.
Pour conclure
Hantée est donc une pierre de plus à ajouter à la diversité de la forteresse créative du neuvième art. C’est une BD qui vous laisse un souvenir impérissable, comme un bon film d’ectoplasmes un peu flippant, avec une héroïne qui nous ressemble, avec ses failles et ses doutes.
Un peu superhéroïne (à la Phantom Boy d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli), mais tellement émouvante, tellement proche de nous et tellement humaine.
Tilda ne pourra pas laisser votre cœur-pomme de marbre. Il fondra de frisson et de bonheur, comme lorsque vous dégustez votre glace préférée, même par un temps de pluie mélancolique.
Préparez-vous à passer un moment suspendu dans le temps, entre deux mondes, entre deux eaux, en marge de notre perception et à la Frontière du réel, mais un moment pourtant décisif dans votre vie de BD addict.
Hantée de Mikaël Ollivier, Nicolas Pitz et 1Ver2Anes, Éditions Jungle, 128 pages, juin 2021
Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo
Florent
Florent Lucéa a rejoint l'équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l'oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l'on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019. Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo