JACQ, Les péripéties homologuées de Paul et Tom
C’est l’histoire d’un couple… (paru chez La boite à bulles)
Paul et Tom s’aiment, se chamaillent, s’enguirlandent, se re-aiment, rient, pleurent, vivent des situations plus cocasses les unes que les autres. Paul et Tom forment un couple avec ses hauts et ses bas, ses questionnements, ses coups de blues et ses coups de sang, mais avec en fond sonore, bien plus que de la cacophonie : de l’amour sans fioritures, sans tricheries, sans fard, imprégné du parfum âpre et vif de la routine quotidienne.
Ces deux-là n’ont pas leur pareille pour nous faire sourire et rire. Ils nous entraînent dans leur vie tourbillonnante en enchaînant les scénettes hilarantes. Paul et Tom diffèrent de nous, mais ils ne nous lèsent pas, bien au contraire, ils nous enrichissent.
Un dessin sensible qui va droit au but
Jacq nous entraîne dans un tsunami d’émotions, de moments drôles avec un traitement des personnages presque schématiques, un peu comme des brouillons d’humains, sans que ces mots ne soient péjoratifs dans ma bouche. Ce que j’entends par brouillons, c’est que nos héros sont esquissés, simplifiés, renvoyés à la plus pure expression de leur humanité vraie et dénuée de filtres et d’effets esthétisants, ce qui desservirait le propos.
En effet, les personnages sont loin des détails documentaires de dessinateurs qui utilisent un réalisme quasi photographique pour croquer leurs protagonistes (je pense par exemple à Fred Beltran pour Megalex). Créer est une question de choix, l’auteur(e) joue à l’entité divine. Le trait de Beltran rend les chairs et les textures avec force, ce qui ravit les lectrices et les lecteurs. La puissance du neuvième art est de faire coexister des illustrations très détaillées avec des dessins qui simplifient la forme pour aller à l’essentiel, sans pour autant qu’ils soient simplistes !
Entendons-nous bien, Jacq réussit un tour de force : rendre Paul et Tom vivants et crédibles, faire transparaître leurs mimiques et leurs attitudes, avec une économie du trait, tout comme une économie des teintes. Une BD qui n’en fait pas des tonnes !
Une réflexion au-delà des clichés
Paul et Tom ou l’amour à tous les tons nous plongent dans le quotidien d’un couple. Coluche aurait pu dire : « c’est l’histoire de deux mecs qui s’aiment, que tout le monde trouve hors norme et qui en fin de compte prouvent aux étroits du bulbe que l’amour n’a pas de genre et qu’un couple est un couple. Tout simplement ». Son mariage avec Thierry Le Luron aura prouvé au monde que l’humour désarme tout.
S’il faut à certains des années pour comprendre que l’amour est l’amour et le couple, le couple, peu importe l’orientation sexuelle, le genre, la couleur de peau, les opinions politiques, les obédiences, les obsessions des membres du couple, j’ose espérer que d’autres sensitifs aux écoutilles plus alertes le savaient déjà.
Jacq ne fait pas dans l’angélisme. Un couple d’hommes n’est pas plus vertueux ou plus malsain qu’un couple de femmes, d’intersexes, d’asexuels, de pansexuels, d’hétéros, de transgenres, mixtes, avec une différence d’âge importante, atypique, excentrique, queer, hippie, néourbain, métrosexuel, has-been, bobo chic, et je pourrais continuer la liste encore longtemps. Un couple d’hommes est un couple comme les autres avec des conflits, des guerres de tranchées, des incompréhensions, des réconciliations et des atermoiements inutiles. Paul et Tom sont attachiants. On les aime, on déteste leurs défauts, tout en se rendant compte que l’on a les mêmes ! Comme un miroir de nos propres paradoxes, nos deux héros nous mettent une bonne claque et nous poussent à nous demander pourquoi nous sommes hantés de clichés sur les uns ou les autres.
Pour conclure
Ne sommes-nous pas toutes et tous susceptibles de tomber dans des clichés, d’en illustrer certains sans même le vouloir ou de juger un peu facilement autrui, car il/elle ne correspond pas à l’idée que l’on se fait d’elle/lui ou de notre façon d’envisager l’existence ?
L’amour n’a pas de genre. L’intolérance non plus. La cruauté non plus. La maladresse non plus. Oui, il y a des gens intolérants et obtus dans toutes les strates de nos communautés nombrilistes et consuméristes. The world is still beautiful, parce qu’il est imbibé de diversité.
Accepter les autres dans toutes leurs différences, leurs aspérités et leurs contradictions, c’est accepter aussi les siennes, c’est sans aucun doute jeter ses œillères aux oubliettes, c’est multiplier le champ de ses possibles, et des BD comme celle de Jacq permettent de remettre un peu les choses en perspective !
Une petite piqûre de rappel, ça ne peut pas nous faire de mal !
Les péripéties homologuées de Paul et Tom, La Boîte à bulles, de Jacq, 128 pages, juillet 2021
Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo