FABIEN FERNANDEZ-NICOLETTA MIGALDI, Jedda

Jedda t1 T.1 : L’esprit de l’eau, chaque goutte compte

Jedda, une adolescente intrépide et persuadée qu’elle peut servir les intérêts de son peuple sans pour autant être cantonnée à des tâches insignifiantes, décide de contrevenir aux mises en garde de tous et part seule dans le bush australien à la recherche d’une denrée rare qui manque à toutes les espèces vivantes : l’eau.

L’eau, ce liquide plus précieux que l’or, le pétrole, les diamants. L’élément primordial à toute vie. Sans lui, inutile de poursuivre notre route.
Jedda affrontera mille et un dangers. Elle est en quête d’eau, mais en réalité, elle se trouvera elle-même et ne reviendra pas intacte de son périple mystique et initiatique.

Suivez les premières aventures de Jedda, une femme en devenir, qui a tout à apprendre des arcanes des rêves et de la magie dormant dans ses cellules et dans chaque créature du vaste royaume brûlant de sa terre natale.

Le défi d’une vie

Graphiquement, cette BD explose de couleurs vives et de formes douces, quasi maternelles, alors qu’elle décrit le long et rude chemin de Jedda. Notre héroïne ne se contente pas de ce qu’on lui dit, des règles établies par d’autres et qui lui sont imposées et de la place qui est la sienne au sein de son village. Elle pourrait accepter son sort, se conformer à la norme, mais Jedda est une fille aussi libre que le vent, aussi impétueuse qu’un torrent, aussi incandescente qu’un brasier et aussi stable et inflexible que la terre mère.

Jedda est une œuvre qui porte un éclairage subtil sur plusieurs thèmes. L’enfant qui pour devenir adulte questionne l’éducation et le monde bâti par les siens. La tradition qui impose un rôle à chacun chacune, sans doute pour que tout soit réglé comme du papier à musique.

Or, le changement est-il une si mauvaise chose ? Ne peut-on pas sortir du cadre pour sauver ce qui peut encore l’être et apporter un regard nouveau sur une situation périlleuse ? Les traditions aussi ancrées qu’elles soient dans un groupe sociétal sont-elles impossibles à déraciner, alors qu’elles ont été édictées par des gens ne vivant pas les mêmes choses que ceux qui les suivent ? N’est-ce pas le propre de l’humain de nourrir son esprit critique et d’exprimer son libre arbitre en remettant en cause l’ordre établi ?

Fable écologique

Jedda véhicule aussi le thème du manque d’eau grâce au prisme du merveilleux, un peu comme les contes d’antan ou beaucoup de projets jeunesse. Un message, aussi sérieux soit-il, passe d’autant plus aisément qu’il se distille sous des atours magiques. Les rituels, les rêves, le respect de la nature sont les fondations immuables des Aborigènes, un peuple brimé, dépossédé de sa terre, maltraité durant des siècles, dont la richesse culturelle avec ses peintures rayon X, la place qu’il donne depuis toujours aux artistes féminines et tous les sacrifices qu’il a dû endurer comme en témoignent des œuvres cinématographiques comme Australia ou la statue de Yagan, figure emblématique de la résistance contre les Colons britanniques, qui se trouve sur Heirisson Island à Perth.

Oui, l’eau manque en Australie comme dans beaucoup trop de zones du globe. Elle fait cruellement défaut, surtout l’eau potable, car il faut souligner le paradoxe des humains, soi-disant seule espèce évoluée et douée de raison, d’après des siècles de théories narcissiques.
Le combat de Jedda est légitime, comme celui de chacun chacune des militants écologistes qui luttent de par le monde pour l’eau, contre la déforestation, contre l’expropriation de peuples autochtones. Ils risquent leur vie et sont souvent assassinés, à l’instar de tant d’autres défenseurs de l’environnement ou du monde animal. Nous pensons à Dian Fossey évidemment. J’ai déjà parlé d’elle, et tous ces combats devraient être désormais tous nous préoccuper.

Pour conclure

Jedda délivre un message aux jeunes générations comme aux autres en les divertissant comme La Fontaine interpelait son temps en faisant parler des bêtes et même des pots de fer et des pots de terre.

C’est une BD positive qui donne de l’énergie et l’envie de découvrir la suite des péripéties de la jeune Jedda.
Je terminerais par un proverbe amérindien qui résume le paradoxe de notre espèce et qui a été notamment relayé par Alanis Obomsawin (artiste pluridisciplinaire abénaquise) : « Lorsque le dernier arbre aura été coupé, le dernier poisson pêché et la dernière rivière polluée ; quand respirer l’air sera écœurant, vous vous rendrez compte, trop tard, que la richesse n’est pas dans les comptes bancaires et que vous ne pouvez pas manger de l’argent. »

Jedda, T.1 : L’esprit de l’eau, de Fabien Fernandez et de Nicoletta Migaldi, Éditions Jungle, Collection Miss Jungle, 64 pages, juin 2021

Florent Lucéa

florent lucéa 2021

Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Depuis 2021, il dirige également la collection encre sèche des éditions Ex Aequo

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