Sensations album 1 : KG, Imparfait, Shirley Davis, Marie Mathématique
Sélection de 4 longs formats tous azimuts à ne pas manquer.
Petite sélection de LP simplement appelées Sensation album. Elle revient sur des albums sortis ou qui vont prochainement sortir et qui ont, par leur différence et leur parti pris artistique, su nous séduire par leur personnalité. Pour cette première sensation album, on vous parle de KG, Imparfait, Shirley Davis & The Silverbacks et Marie Mathématique. Il y en aura pour tous les goûts !
KG, Ein mann ohne feind (october tone)
Nous avions dévoilé sa vidéo Ruf mich an il y a quelque temps de cela, et nous vous avions promis de nous pencher sur son album. C’est chose faite, pour notre plus grand plaisir. En effet, cet album, derrière une pochette légèrement flippante (ce visage gommé de ses caractéristiques physiques comme le nez et les yeux, ne dévoilant qu’une bouche qui semble en partie cousue de cicatrices) nous dévoile une électro d’inspiration années 90 plutôt surprenante.
Contrairement à la pochette du disque, cette musique n’est pas angoissante (enfin si un peu des fois, mais subrepticement). Elle est au contraire solaire, ou du moins déclenche chez nous ce petit frisson d’excitation, celui qui nous redonne envie de combattre, de nous lever chaque matin pour fighter le monde. Étrange car ses teintes sont plutôt mélancoliques, voire parfois totalement dramatiques et/ou tragiques ( écouter b14715 en donne un très bel aperçu), effets contrebalancés par des claviers lumineux et des rythmiques enlevées. En effet, très souvent implacables, même si forcément métronomiques, elles déclenchent malgré tout un groove insatiable. Ainsi, KG nous entraîne sur la piste de danse sans oublier d’éveiller nos sensibilités et nos émotions.
Musique sensuelle.
Certains titres sont vraiment poignants, nous plongent dans un état de tristesse infinie, mais au bout de laquelle pointe toujours une nuance d’espoir, plus ou moins marquée. Loin des clichés techno, alors qu’il s’en approche souvent de très près (Ruf Mich an en est un bel exemple), KG nous provoque en duel sur le terrain de l’émotion organique provoquée par des instruments électroniques (donc a priori dénués d’âme). Le résultat est saisissant, parfois bouleversant, parfois tribal (l’intro du premier titre, Seite eins ayna youjadou al mirhad), parfois onirique (Spectre 11 qui a tout de même en son sein quelques lueurs cauchemardesques), mais ne déviant jamais du mauvais côté de l’ostentatoire. En ce sens, Ein mann ohne feind est une œuvre hypersensible aux couleurs vives mais à l’âme parfois tourmentée.
Cet album est une nouvelle preuve que la musique électronique n’a pas que pour vocation à faire danser de façon décérébrée, mais qu’elle peut, tout en vous amenant à vous trémousser, vous obliger à plonger en vous-même pour être à l’écoute de vos ressentis. Riche et varié, ce disque contourne les poncifs de l’électro pure et dure, à savoir ce principe parfois lassant de répétition, pour dessiner des contours sinusoïdaux en forme de montagnes russes sensorielles. Et nous laisser ébahis, et finalement heureux, après son écoute.
IMPARFAIT, Telema
Imparfait, ça rime avec énervé. Mais ça ne se conjugue pas forcément pareil. Le groupe, dont on a déjà pu vous laisser entrevoir le potentiel à travers les clips de A l’américaine et Thérapie nous propose un album explosif, mêlant musique percussive, à forte teneur en riffs cinglants et vociférations hargneuses à des textes lucides et cinglants.
Nous naviguons donc dans une musique métissée, de celle que l’on nommait fusion dans les années 90 (dont les influences sont claires sur l’album). Elle mêle aspect rock, fortement tendance metal, et chant souvent rappé (mais ce n’est pas une constante), tout en restant étonnamment accessible et à même de plaire aux profanes qu’aux habitués du genre. Ainsi, le groupe ratisse large, sans jamais perdre en pertinence ni en conscience. Sa personnalité, explosive, met en avance l’incroyable chanteuse Prisca dont la voix fait des merveilles (et fait surtout la nique aux chevelus barbus metallos en montrant qu’une nana est aussi capable qu’eux de screams dévastateurs),mais également les instrumentistes sacrément inspirés.
Metal pas bas du front.
Violent mais n’oubliant jamais d’être mélodique, Telema s’impose avec fracas, mais également avec plus de tact qu’il n’en paraît. Les titres sont loin d’être linéaires ou cousus de fil blanc. Les surprises pleuvent et les arrangements lui apportent une réelle richesse. Évitant le 100% bourrin, les compositions jouent avec nos nerfs en proposant des structures mouvantes, qui toujours filent à près de 200 km/h sur l’autoroute rock. Et surtout, quand les accalmies s’imposent, le groupe montre toute la finesse nécessaire pour nous convaincre que l’on peut être virulent et sensible (ce qui n’est pas toujours le cas). Clique, le morceau le plus « pop » de l’album est un bon exemple de cette capacité qu’a le groupe à imposer sa sensibilité sans perdre en crédibilité rock.
Indépendant, Imparfait se démarque des productions metal signées sur des labels ou majors, c’est-à-dire que nous sentons que son originalité de ton trouve, dans sa musique, un écrin à sa dimension. Pas de niaiseries formatées ici, pas de son dégoulinant sous une production sirupeuse et toute en rondeurs, ici, c’est sec , à l’os, ça esquinte le tympan et revigore la peau. Forte et bien faite, cette musique nous tire de notre somnolence, nous électrocute et nous fait sortir de notre zone de confort. Que demander de plus ? Pas grand-chose, sinon de la découvrir sur scène où elle doit trouver une dimension folle.
SHIRLEY DAVIS & THE SILVERBACK, Keep on keepin’on (Lovemonk records)
Voyage en terre funk avec Shirley Davis & the Silverbacks. Basse sensuelle, batterie inspirée, cuivres rutilants et voix chaude, puissante, accueillante, tous les éléments sont réunis pour un excellent moment de musique,oscillant, au gré des humeurs, d’un funk flamboyant à une soul plus posée. L’entame du disque donne la teinte car les deux premiers titres, relativement différents sur le fond (l’un ultra dynamique, l’autre plus intimiste et au tempo plus lent), montrent en revanche des éléments similaires sur la forme.
Les compositions déroulent leurs tentacules au gré des oscillations du courant. Nous y retrouvons une notion de modernité, qui se retrouve dans les choix de productions qui ne joue pas la touche vintage éhontée et parfois fausse de certains groupes un peu faibles au niveau de leur écriture, mais aussi un respect profond pour ce qui a été fait avant. Ainsi, le morceau titre ne dépareillerait pas d’une bande originale de Quentin Tarantino avec son groove tout en nuances et cette chaleur moite qu’il dégage. C’est sexy en diable, nous empêche littéralement de rester assis. Le couplet est redoutable, jouant sur une base répétitive obsédante qui évolue en une forme de transe avant que la rupture à la guitare légèrement surf rock nous laisse respirer. Il ne nous aura donc pas fallu attendre le premier tour de force de l’album (le titre arrive en 3é position).
Enfoncer le clou.
Comme la tracklist est bien balancée, Love insane enfonce le clou de manière plus que convaincante, sur un registre plus cool, dévoilant une élégance racée, de celle des plus belles compositions soul. A l’image de ce début d’album (le 3é de Shirley Davis), c’est toujours ce juste équilibre entre une rythmique expressive et la sensualité de la voix qui en impose. Love insane, avec ses accents blues, nous propulse en plein cœur d’une Amérique épicée sucrée, celle que l’on aime, loin des tueries de masse, là où l’amour coule à flots.
Ces deux titres placent l’album sur orbite. Suivi d’un superbe instrumental, It’s all right (pas forcément le titre de chanson le plus original qui soit) nous prouve que tout ne repose pas sur la magnifique présence de Shirley Davis. Dès lors, la crainte que toute cette belle énergie ne retombe comme un soufflé nous saisit un instant. Fort heureusement, cette peur est vite balayée par la suite, tant la ferveur de la formation permet de gommer quelques petits défauts, dont une petite perte de régime vers la fin d’album, fortement corrigée par un sublime Take out the trash, lumineux.
En un mot comme en mille, cet album tient ces promesses, nous offre une presque ¾ d’heure de bonne humeur, d’amour, de soleil, d’âme. Que demander de plus, si ce n’est avoir plus souvent des disques de ce calibre dans les oreilles.
MARIE MATHÉMATIQUE, Nos jours étranges (Lunadélia records)
Disque qui ne paye pas de mine, à côté duquel n’importe qui pourrait aisément passer, Nos jours étranges possède pourtant un charme dingue. Habile mélange de pop, de psychédélisme, de lofi, il nous transporte dans un univers fait de bricoles savamment dispersées tout au long des 12 titres qui le façonnent.
Tout commence par un son étrangement étouffé. Marie Mathématique, duo composé d’Emmanuelle et Nicolas, la joue ambiance intime, presque refermée sur elle-même (ou donnant l’impression de). Mais ce serait lourdement se tromper car cet album ouvre sur tout un univers, aussi vaste que l’imagination du duo. Ici, se télescopent un esprit lofi et la pop, les yéyés à la française et un je-ne-sais-quoi de punk. Car, assurément il faut être punk pour ainsi créer un son totalement hors des courants, hors des modes, comme un majeur bien tendu face à toute velléité commerciale.
Psyché dérangée ?
Nous retrouvons des éléments psychédéliques surprenants, expérimentaux, là où nous avions auparavant entendu une presque France Gall qui aurait fusionné dans une sorte de Françoise Hardy, lesquelles n’auraient jamais quitté les années 60 et une certaine naïveté. Comment mêler les deux sans pour autant que naisse la sensation d’une supercherie ? Simplement en écrivant des textes diablement bien foutus, simplement en rappelant le Take Up Thy Stethoscope and Walk du premier Pink Floyd dans I’ve been away, simplement en ponctuant des imprécations lysergiques d’une sublime touche d’orgue. Ou simplement en ayant une classe folle !
Car ici, tout repose sur une alchimie (pour ne pas dire une formule…mathématique). Celle des deux voix pour commencer, douce et mélodieuse pour Emmanuelle, un brin nonchalante également, plus impérative, imposante pour Nicolas, mais bizarrement rassurante également. Ensuite, sur des rythmiques basiques, faites à la boîte à rythme, au tambourin (on pense à une filiation avec The Liminanas), ou aux percussions, quand il ne s’agit pas d’une simple rythmique acoustique à la guitare, se posent des motifs mélodiques forts, presque toxiques tant ils agissent sur nous comme de puissants acides, à même de nous fracasser la tête sur les portes de la perception (non ça ne fait pas mal).
Ceci est fréquemment rehaussé par ces instruments accouplés aux lignes de chants, ce qui nous plonge dans un puits d’apparence sans fond dont on ressort toujours au final. Enfin, par des compositions qui mêlent avec dextérité évidence pop et expérimentations parfois chelou. Les grands écarts sont ramenés à quantité négligeable, comme si les antagonismes s’aimantaient à la perfection sur ce disque.
Ce deuxième album est donc une pure merveille de ce que nous n’espérons jamais entendre un jour et qui, quand c’est le cas, nous émerveille à chaque écoute. Nous ne saurions que trop vous le conseiller tant il pourrait procurer chez vous des sensations inattendues !
Revoir le clip de Me and Mark Hamill