JD ROBERTS, In search of dead knowledge

jd roberts in search of dead knowledgeNouvel album déjà disponible.

Depuis quelques années, JD Roberts propose une musique contemplative et introspective dont la nature est la source principale d’inspiration. Si son dernier album en date laissait percevoir une orientation plus sombre, le multi-instrumentiste du Yorkshire, en cette fin d’année 2022, nous revient en capitaine de vaisseau fantôme avec une nouvelle livraison très nettement orientée dark ambient.

un album gothique

Un examen rapide de quelques-uns des titres de l’album plante instantanément le décor : « Dead Knowledge« ; « A City Without Light« , « The Face Of Night » ou encore « An Orchestra of Chaos » ; JD Roberts est d’humeur ténébreuse. Bien sûr, l’érudit de Leeds cultive depuis toujours une certaine mélancolie et n’a jamais été du genre à trousser des morceaux de ska festif aux titres truffés de calembours grotesques. Non, JD Roberts navigue sur des mers bien plus calmes, entre élégance et sobriété.

Quoique marquant une évolution dans son processus créatif, « In Search Of Dead Knowledge » reste toutefois dans la ligne de l’artiste. Cependant, il a ici purgé son travail de toute la dimension élégiaque qui pouvait apparaître sur « Sun On The Leaves » ou « Noon At Eldharow Farm« , par exemple. Ces huit titres explorent au contraire l’aspect nocturne de sa musique, privilégiant les fréquences graves et les textures marmoréennes.

Aspect noturne.

« There Is No Way But Homeward » s’ouvre par exemple sur une lancinante pulsation de basse synthétique tandis qu’en arrière- plan soufflent les plaintes tempétueuses sorties des claviers de l’artiste. Sentiment renforcé par l’utilisation récurrente de l’EWI (« Embodied Knowledge ») dont Roberts, tel un fantôme hantant la lande brumeuse, tire de déchirantes lamentations.

La pièce d’ouverture, « Cyclopean« , par son seul titre, semble placer l’album sous l’égide de Lovecraft tant cet adjectif est étroitement lié à l’œuvre du reclus de Providence (pour les traductions françaises, tout du moins). « An Orchestra of Chaos » s’affranchit de toute dimension mélodique, attendant le dernier cinquième du morceau pour laisser émerger des brumes une bribe de motif musical.

Lorsque la mélodie s’invite sur les titres les plus accessibles (le premier, par exemple), celle-ci embrasse volontiers des inflexions mélancoliques. Album hivernal, « In Search Of Dead Knowledge » semble entouré d’une épaisse couche de brouillard, protégé des vents violents que l’auditeur ou l’auditrice devront braver pour accéder aux beautés qu’il recèle.

C’est l’Angleterre d’Emily Brontë ou de Mary Shelley que nous présente là JD Roberts ; l’Angleterre des chapelles en ruine que l’on contemple à minuit sous une lune blafarde, le visage fouetté par une bruine glacée, les oreilles emplies du cri lugubre des engoulevents. Ainsi retrouve-t-on les fameux bird drones qui sont la signature de Roberts et qui revêtent ici une dimension foncièrement inquiétante (« A City Without Light« , « And Would It Be Better To Forget ?« ). Ce dernier morceau, d’ailleurs, avec son titre en forme d’interrogation rhétorique, semble révéler une forme de noirceur inédite chez le musicien du Yorkshire : quel événement terrible nous suggère-t-il de mettre sous le tapis ? A nouveau, comment ne pas voir ici une allusion aux nouvelles de Lovecraft qui s’achèvent souvent sur d’indicibles révélations.

un album néo classique

Comme un contrepoint à ce parti-pris résolument abstrait, JD Roberts a toutefois construit son album en s’inspirant des codes de la musique classique. Comme dans les grandes partitions d’un Grieg, par exemple, le multi-instrumentiste anglais distille tout au long de ces huit titres des variations sur un même thème musical, une phrase que l’on retrouve dans presque chaque morceau, jouée par différents instruments. Annoncée dès « Cyclopean » dans une version que l’on pourrait presque qualifier d’orchestrale, on la retrouve interprétée au piano -instrument que l’on n’avait plus entendu chez Roberts depuis un certain temps- et la basse sur « There Is No Way But Onwards« , jouée au synthétiseur sur « A City Without Light » et « And Would It Be Better To Forget ? » et à l’EWI sur « An Orchestra of Chaos » et « Embodied Knowledge« .

Agissant comme une sorte de fil d’Ariane dans le labyrinthe opaque de cet album, cette ritournelle lancinante rappelle que chaque morceau est conçu comme une partie d’un plus vaste ensemble. En cela, on retrouve la conception naturaliste de la musique de Roberts : chaque élément est étroitement lié, imbriqué, aux autres. Il y a là quelque chose de l’ordre de la métaphore naturelle. Voire même d’un plan divin, cosmique. L’arbre aux multiples ramifications qui orne le visuel de l’album ne suggère pas autre chose. Cet arbre, pourtant, est dépouillé de ses feuilles. Est-il simplement endormi le temps d’un hiver ou est-il mort comme le suggère le titre de l’album ? Il y a là matière à de multiples interprétations.

archéologie, histoire et philosophie, connaissance

Car au regard du choix de titre et de la formation scientifique de l’artiste, d’autres théories surgissent. Cette phrase musicale, fil rouge de ce nouvel effort, est peut-être celui de cette connaissance perdue annoncée dans toute sa luxuriance dans le morceau inaugural et qui subit une suite d’interprétations, de mutations jusqu’à sa relecture finale, si différente de l’ouverture (nous y reviendrons).

Transformée, malmenée, perdue (on ne l’entend plus que sous forme de lointains échos sur « An Orchestra Of Chaos » et  » And Would It Be Better To Forget ? » et pas du tout sur « Ancient Machines, Awakening« ) cette mélodie est peut-être la métaphore de cette « connaissance morte » (pour traduire littéralement), cette sagesse -ou cette technologie comme le suggère « Ancient Machines, Awakening« – oubliée dans le brouillard épais des âges barbares et que des archéologues du futur cherchent à retrouver. Au péril de leur propre santé mentale ? C’est ce que suggère la septième pièce. Celle-ci précède d’ailleurs le morceau intitulé « The Face Of Night » et sur lequel « In Search Of Dead Knowledge » s’achève.

un final dungeon synth

Celui-ci mérite qu’on s’y attarde. Son titre, ambigu, peut suggérer bien des interprétations. La nuit, dont Roberts se propose de nous montrer le visage, peut être celle de l’obscurantisme, à l’opposé des Lumières, des ténèbres qui recouvrent les esprits, qui font disparaître la raison. Comment ne pas y avoir un écho à la période troublée que nous traversons et qui voit fleurir le plus sérieusement du monde les théories complotistes les plus délirantes ?

A l’aune du contexte dans lequel il sort (huit jours avant la démission de Liz Truss -rappelons que JD Roberts est britannique, entre une pandémie qui semble enfin sur le point de s’éteindre et le défi inédit que représente la lutte contre le réchauffement climatique, le tout sur fond de tensions géopolitiques mondiales), l’intitulé de ce morceau laisse peu de doutes aux formes que revêt ce visage. Les plus optimistes pourront arguer que la nuit est le refuge des poètes et des romantiques (nous avons plus haut évoqué Brontë et Shelley).

L’analyse musicale de ce morceau donne toutefois quelques indices. Totalement unique dans l’œuvre de JD Roberts, « The Face Of Night » le voit s’avancer en territoire inconnu. S’il reprend le thème de « Cyclopean » et brode de nouvelles variations autour de celui-ci, le multi-instrumentiste utilise aussi des synthétiseurs au drive puissant comme des guitares électriques pour mieux marteler des accords massifs. JD Roberts propose ni plus ni moins ici un final dungeon synth. Ambiance sombre, beat minimaliste flirtant avec la trap (oui !), omniprésence des claviers et des sonorités synthétiques, ce titre est un véritable modèle du genre.

Ce morceau de bravoure -le plus long de l’album- est aussi la seule pièce de l’album à laisser entendre quelques notes de clarinette, le temps d’une accalmie, avant un final en apothéose, grandiose et sombre, comme une ombre venue de l’espace qui s’étend, menaçante, au-dessus de quelques cités de Nouvelle-Angleterre. On ne peut que saluer cette prise de risque -qui divisera assurément chez les fidèles de l’artiste.

S’il est entendu que chaque album doit s’écouter dans son intégralité, le lieu commun prend ici davantage de sens. Avec « In Search Of Dead Knowledge« , JD Roberts nous livre ici un ensemble à la cohérence extrême dans lequel chaque morceau résonne d’une manière unique non seulement avec les autres, mais également avec le tout. Maîtrisé de bout en bout, cet album spectral est assurément le chef-d’œuvre de Roberts et une pièce maîtresse du genre. Assurément un des grands disques de cette année 2022.

Album disponible en version digitale et CD sur la page Bandcamp de JD Roberts : https://jdrobertsmusic.bandcamp.com/album/in-search-of-dead-knowledge

BenBEN

Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.

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