Carré d’as 6

Ben nous propose une nouvelle sélection de disque issus de l’underground. Carré d’as 6, c’est parti !

kavernos
carré d'as 6Kavernös – kavernös II (Veinte 33 Records)

« No instruments involved » préviennent d’entrée les notes de l’album. Diantre ! Mais de quoi émanent donc les sonorités qui composent les quarante-huit minutes de cette unique piste ? Précisément, on ne le saura pas. Tout juste apprend-on que des « objets atypiques » et autres « environnements sonores » ont été utilisés pour sa confection. Tout cela, bien sûr, intrigue et invite au questionnement. D’autant plus que l’homme qui se cache derrière le pseudonyme de kavernös n’est autre que Phalioo, artiste phare aux multiples alias et éminence grise de Veinte 33. Le 13 mars dernier, il publiait le second volume d’une série qui compte, pour l’heure, cinq volumes.

On retrouve donc le talent de l’artiste uruguayen à installer des ambiances obscures où la constance de l’ensemble est régulièrement mise à mal par l’irruption brutale de craquements, de bruissements ou de stridences qui viennent à tour de rôle piquer les tympans de l’auditeur et s’assurer de sa concentration. A travers les drones atonaux qui forment l’architecture de cette pièce monolithique, kavernös explore des contrées sombres, sises aux frontières du silence. Cette quête de l’abstraction fascine. Dans sa démarche, l’artiste atteint une forme d’essence minérale qui le rapproche d’un Rothko ou d’un Soulages. Passionnant voyage dans les entrailles du globe terrestre, ce deuxième opus se présente comme le cousin latino-américain du « Cave Crawlers » de Julien Ash & Pete Swinton. C’est dire si c’est bon.

https://veinte33records.bandcamp.com/album/kavern-s-ii-2

Hangwire – This Fun Machine (autoproduit)hangwire

Cela fait des mois, des années même, qu’on attend la sortie de l’album de Hangwire, le secret le mieux gardé de Montevideo. Il faut dire que le line-up du groupe a de quoi faire saliver avec, outre Federico Teixeira aux guitares, le phénoménal Andrés De Souza au micro. Pour celles et ceux qui ont la chance de ne pas le connaître (comme on envie l’épiphanie auditive qui les attend), on parle ici de l’un des plus grands songwriters de notre temps. Si ce n’est le. Du psychédélisme sartrien de Velvet Hallucinations & The Furry Animals au grunge incendiaire de Skintaker, cet homme est derrière ce que le rock à guitares a fait de mieux au cours de ces dernières années. Il est un peu le roi Midas de l’underground uruguayen : tout ce qu’il touche se transforme en or.

C’est dire si l’on attendait « This Fun Machine », premier single de son dernier projet. Basse métallique, caisse claire clinquante, cavalcade de cymbales : la section rythmique déroule avec brio les figures imposées du post punk. Elle est bientôt rejointe par des arpèges de guitares carillonnantes, des claviers cold wave et une voix sépulcrale noyée dans la reverb. Qualité de la composition, de l’interprétation et de la production : tout y est. Portée par une mélodie splendide et une ambiance mélancolique, « This Fun Machine » a tout d’un hit et n’a rien à envier au meilleur d’Echo & The Bunnymen ou, bien sûr, de Joy Division.

Dans un monde idéal, ce morceau passerait en rotation lourde à la radio et Hangwire remplirait les stades. On peut encore rêver. Un titre, un seul ; oui mais lequel !

https://hangwire1.bandcamp.com/track/this-fun-machine

innocent but guiltyInnocent But Guilty & Wilfried Hanrath – Adrenaline (Foolish Records)

A force d’écrire tout le bien qu’on pense d’Arnaud Chatelard et de son projet Innocent But Guilty, on va finir par susciter la suspicion de certains lecteurs. Il n’y a pourtant qu’à jeter une oreille (grande ouverte) sur cette collaboration avec le bassiste et multi-instrumentiste allemand Wilfried Hanrath pour se rendre compte que le duo vient de signer le genre d’EP qui nous fait rêver à de plus longs formats. Passé un « Vocation » à la tonalité très fortement marquée ambient, le duo lâche les chevaux sur le morceau éponyme de plus de dix minutes qui puise autant chez Areski que dans le jazz et dans le krautrock.

La basse agile de Wilfried Hanrath virevolte des percussions minimalistes qui ouvrent le morceau à la rythmique syncopée qui prend le relais au tiers du chemin. Derrière, les textures d’Innocent But Guilty créent un écrin idéal aux envolées de la quatre cordes du mage de Wuppertale. Jouant sur la répétition des schémas en apportant les subtiles variations nécessaires à la captation de l’auditeur, le duo franco-allemand propose une composition rétrofuturiste à l’intense musicalité. Un peu comme si, à la faveur d’une faille temporelle, Brian Eno se retrouvait à jouer dans une cave de Saint-Germain des Prés.

Et quant au kaléidoscopique morceau de bravoure d’un quart d’heure qui clôt ce généreux EP (une demi-heure tout de même !), c’est du côté de la kosmische Musik qu’il faut chercher les références, s’appropriant des sonorités lysergiques que n’auraient reniées ni Klaus Schulze, ni Popol Vuh. A la fois complexe et accessible, « Adrenaline » est une réussite sur toute la ligne. Et signe, on l’espère, le début d’une longue et fructueuse collaboration.

https://apocalypsesounds.bandcamp.com/album/adrenaline

My Own Cubic Stone – Les Archives Fictives Vol 1 (Kalamine Records)my own cubic

Que celui ou celle qui n’a jamais connu les affres d’un plantage de disque dur lève la main. C’est la mésaventure qu’a connue My Own Cubic Stone. Certains se seraient réfugiés dans la destruction vengeresse du traître appareil. Le musicien bourguignon, lui, en a tiré un album. Fouillant dans les vestiges de ses propres archives sonores, My Own Cubic Stones retrouve divers enregistrements de trains, d’avions, de fragments de conversations et autres field recordings. Et y puise là le matériel pour un album aussi sombre que captivant.

Pendant urbain et fantasmagorique du kavernös précité, ce premier volume des « Archives Fictives » jette un pont musical entre les bandes dessinées de Schuiten et Peeters et le bureau des affaires non classés de Fox Mulder. Nappes lugubres, drones inquiétants, souffles synthétiques, jaillissements bruitistes : la matière sonore est travaillée, malaxée, concassée, étirée, fracassée, désossée… pour mieux être recomposée. Passionnant travail de destruction et de reconstruction, ces neufs « Archives » dessinent en filigrane les contours d’un monde perdu que d’intrépides archéologues du futur se seraient mis en tête d’explorer.

Et comme dans toute bonne salle des archives, plusieurs « dossiers » sont manquants (aucune archive au nombre pair, tiens tiens…). Quelque part entre une séance d’urbex et le « Stalker » des frères Strougatski, cet album porte en lui une ambiance unique. On attend les volumes suivants avec la plus grande impatience. En espérant secrètement que le disque dur de My Own Cubic Stone le lâche une nouvelle fois.

https://kalaminerecords.bandcamp.com/album/les-archives-fictives-vol-1

BenBEN

Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.

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