CARRÉ D’AS 5, Marrow, InHuM’AwZ…
Caprice Glaireux, Ancien Spirirt
Avec ce Carré d’AS 5 voyageant du Canada à la Grèce en passant par le Portugal, la France et la Belgique, Ben nous propose un tour du monde du (vrai) underground.
Marrow – Hail Telemetry (Milled Pavement Recordings)
Quelques mois à peine après la sortie de son brûlot « Fission Two« , Marrow nous revient (presque entièrement) en solo avec la beat tape « Hail Telemetry« . Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le passage au format instrumental n’a pas altéré la force de frappe du MC et producteur de Toronto.
Après un « Catalyst » introductif plutôt apaisé, Marrow durcit le ton avec un « Ghost Suit » sombre et prenant, porté par l’énergie d’un univers dystopique. Mêmes ambiances sur « Arclite« , « Bishop Bird« , « Satellite Drive » ou sur le morceau éponyme : Marrow nous entraîne en milieu hostile, urbain et futuriste à forte tendance nocturne. Parfois, la délicatesse s’invite par la grâce d’un piano satiesque (« Dawn’s Cast ft. Lu Blue« ) ou d’un violon mélancolique (l’excellent « Experience« ).
Parsemé d’extraits de films, de scratchs, bruitages autres grésillements, « Hail Telemetry » avance au gré des croisements et embranchements des autoroutes de l’information. On y retrouve l’essence des productions de Marrow : synthétiseurs distordus, ambiance noise, batteries saturées et, surtout, sa signature, ces redoublements de kicks qui tapent en rafale directement dans le plexus.
Deux titres viennent rompre le parti pris instrumental de l’ensemble : le rageur « Scanner Charlie » et le choral « Auto Dial » sur lequel se lâche une horde de MC déchaînés. Court, resserré, l’album s’écoute d’une traite (ne surtout pas manquer le dernier titre !). Entre Philip K. Dick et Ghost In The Shell, « Hail Telemetry » transforme l’essai inscrit par « Aviation Of Pontus Pilates » et nous rappelle qu’en plus d’être un excellent MC, Marrow est aussi un sacré producteur.
https://marrowraps.bandcamp.com/album/hail-telemetry-2
InHuM’AwZ – Figure of Speech (Diffuse Reality Records)
Depuis plusieurs années, le duo hyperactif InHuM’AwZ propose une électro sans frontière trouvant sa source aussi bien dans la techno que le trip-hop ou le dub. En ce mois de février 2023, Benjamin Lopez et Stéphanie Gautier reviennent sur l’étiquette lusitanienne Diffuse Reality Records avec un nouvel album qui confirme leur singularité dans le paysage électronique hexagonal. « Figure of Speech » propose en sept titres une croisière intersidérale sans escale à travers les gouffres cosmiques des espaces infinis -qui, ici, ne nous effraient pas, bien guidés que nous sommes par le duo lyonnais.
Centrées autour du thème du langage, ces 58 minutes de musiques s’articulent autour de beats saccadés, de basses amniotiques et de synthétiseurs planants. Sur « Casuel« , Ben et Stef flirtent même avec l’abstraction bruitiste tandis que le bien nommé « Funambulus » titube au gré de leurs explorations des basses fréquences. InHuM’AwZ, en grande forme, s’exprime dans cette grammaire musicale qui lui est propre à travers les ambiances hallucinées d' »Oiseau de Nuit » et « Partita« .
De l’inaugural « Somnus » au final précité, tout participe ici à l’invention d’un langage musical régi par les règles d’un psychédélisme moderne. Et la doublette « Assonance » / « Strophe« , toute en expérimentations serpentines et en répétitions hypnotiques, réussit le tour de force de réconcilier celles et ceux qui restent fâchés avec leurs cours de Français de Première. C’est dire la portée de l’objet. Un peu comme si, au lieu de l’écrire, Jack Vance avait mis en musique ses « Langages de Pao ».
https://soundcloud.com/inhumawz
https://diffusereality.bandcamp.com/album/ben-stef-aka-inhumawz-figure-of-speech-te0101?fbclid=IwAR1QaOLCd4VORy32KYcfd8RRLNccdAtHB9-j0O2TywEWsYMQ5ouNH1zQdjg
Caprice Glaireux – Full Santi Mental (Coeur Sur Toi Records)
On peut aimer le metal et le saxophone. Hurler et pleurer. C’est en substance ce que nous rappelle Jerôme Jeuhmeuh, chantre des chelou.e.s et des étranges, à travers ce premier véritable album de son projet Caprice Glaireux. Ici, le transfuge des excellents Krötale (dont la moitié s’invite sur le dernier morceau) et du collectif Chocs Et Ennui (dont les activités vont de la publication d’excellents fanzines sérigraphiés à l’exposition de broderies trash), s’occupe de (presque) tout.
Guitares, basse, saxophone : le Ménestrel du Chaos se mue en homme-orchestre, se démultipliant au long des huit morceaux de l’album. Il signe même le sublime artwork de l’album. Surtout, il feule, crie, hurle les textes de Laurent Santi, écrits pour son recueil « Je cache tout ce que je tousse« . Le patron du label Coeur Sur Toi se voit même crédité aux batteries, claviers et « cigarettes ».
Concrètement, Caprice Glaireux ordonne le télescopage du metal et du jazz, de l’easy listening et de la double grosse caisse. « Les tables rases » commence comme du Steely Dan avant de se fracasser sur un accord d’outre-tombe. Un peu comme si Charly Oleg se faisait dérouiller à la sortie d’un bar par Shagrath et Silenoz des suédois Dimmu Borgir. Le tout, sous les yeux d’un saxophoniste blasé.
Si le projet n’est pas dénué d’humour, on aurait pourtant tort de le croire parodique. Car ce mélange fonctionne ! En témoignent l’excellent « Idiot du visage » ou le sépulcrale « J’irai pas travailler« . Plus singulier, il se dégage de « Full Santi Mental » une mélancolie profonde, cousine de celle qui hante la musique de Krötale et qui colle bien aux textes de Laurent Santi. Idéal pour pleurer dans sa bière ou se battre dans un pub. Ou les deux.
https://capriceglaireux.bandcamp.com/album/full-santi-mental
https://coeursurtoi.bandcamp.com/album/full-santi-mental
Ancient Spirit – Uther Pendragon (autoproduit)
« Grèce » et « dungeon synth » ne sont pas des termes que l’on associe spontanément. C’est en passe de changer tant Ancient Spirit s’évertue à placer son pays sur la carte de cette subdivision des musiques électroniques. Régulièrement, le musicien hellène publie d’excellents albums parmi lesquels on recommandera chaudement « Beowulf » ou « Tales Of Forsaken Realm« , sorti en cassette chez le très pointu label uruguayen Veinte 33.
Avec « Uther Pendragon« , Ancient Spirit témoigne d’un goût prononcé pour les récits médiévaux et autres légendes fondatrices et donne une suite à « Arthur Pendragon » paru il y a un petit peu moins d’un an. Ce nouvel opus respecte les canons du genre mais se distingue par la qualité de ses ambiances et des ses compositions.
Et si l’inaugural « One Dragon-Shaped Comet » a déjà tout pour plaire, l’EP décolle vraiment dans sa seconde partie. Tour à tour épiques et intimistes, les trois derniers morceaux semblent tout droit sortis de la bande originale d’un péplum fantastique des années 70. « The Assassination Of Aurelius » navigue entre dark ambient et musique sacrée et « Merlin’s Assistance » donne à entendre l’Excalibur de John Boorman revisité par les synthés de Carpenter. « The Half-Dead King« , à notre humble avis le sommet de l’album, se distingue par une partition lugubre réhaussée de craquements de vinyles du meilleur effet.
Plutôt courts, toujours mélodieux, jamais bavards, les cinq morceaux de cet EP raviveront les souvenirs de celles et ceux qui ont passé leur enfance à s’endormir devant des films à l’héroïsme manichéen, aux couleurs baveuses et où les créatures mythologiques étaient animées image par image. Inestimable.
https://ancientspirit1.bandcamp.com/album/uther-pendragon
BEN
Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.