JEANNE MALYSA, Dans tous les sens (éditions Ex aequo).
Recueil de nouvelles (ou roman?)
C’est un livre bien particulier que ce Dans tous les sens de notre autrice du mois de décembre. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit tout autant d’un roman que d’un recueil de nouvelles. En effet, ce livre est rédigé à la manière d’un défi. Gaspard, écrivain, est mis au défi par son éditeur, de rédiger chaque jour de novembre une nouvelle. À la manière du défi Inktober (réaliser une illustration à partir d’un mot différent proposé chaque jour d’octobre), Gaspard devra créer, chaque jour, un texte et rendre copie à la fin de novembre.
Dans tous les sens est donc un recueil de nouvelles, mais il est, du fait du postulat de départ et de conclusion à chaque nouvelle, un roman travesti en recueil. L’idée est originale et s’avère payante puisque nous prenons un grand plaisir à nous prendre à ce jeu d’écriture , mais aussi au jeu des sens puisqu’il s’agit de textes érotiques.
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Le défi.
Gaspard regarde sa muse, Marianne, qui essaye désespérément de se débarrasser d’une mouche qu’elle finit par écraser sur la vitre. Emoustillé par la vue indécente de sa compagne, il la prend tout contre lui. C’est à ce moment que son éditeur l’appelle. Repoussant cette discussion de longue date, il n’a d’autre choix que d’y répondre cette fois-ci. À son grand étonnement, son éditeur lui propose un défi original: à partir d’un mot donné, il devra écrire chaque jour de novembre un texte en rapport avec celui-ci. Piqué par ce challenge, Gaspard se prend au jeu et déroule au fil du mois une grande partie de son imaginaire. Et le moins que nous puissions dire, c’est que celui-ci est pas mal épicé.
L’idée de ce livre est on ne peut plus originale et lui confère d’entrée de jeu une dimension particulière. Nous allons plonger dans la tête à la fois de Gaspard, personnage masculin comme il ne vous aura pas échappé, et dans celle de Jeanne Malysa, femme comme il ne vous aura pas échappé non plus. Gaspard écrit aussi bien en se plaçant d’un point de vue masculin que féminin, ce qui brouille encore un peu plus les pistes, mais se révèle parfaitement payant par la variété des regards proposés. Certes, tout cela a dû s’avérer un peu schizophrénique pour l’autrice, mais pour le lecteur, tout coule avec une fluidité rare.
Les mots.
Hormis les mots, qui sont également les titres de chaque nouvelle, encadrant ce défi (jour 1 : amour, jour 30 ; désir) les thèmes ne dégagent pas forcément cette image propice à l’érotisme ou au sexe. Petit florilège : balle, farce, Lame, question guêpe ou bien encore savon. Pourtant, tous conduisent au plaisir de la chair, au plaisir de l’amour aussi. Car s’il est évidemment question de sexe, il est aussi question d’amour, dans le sens le plus noble qui soit. Aussi, une certaine idée de romantisme surgit fréquemment des textes pour s’accoupler au plaisir des corps (et à celui des mots).
Les personnages sont aléatoirement des hommes ou des femmes, mais tous ressentent une attirance irrépressible pour une autre personne, ce qui les conduit à réaliser une part de leur fantasme. Bon point, il est peu question de pratiques BDSM qui fleurissent dans nombre de livres érotiques, et nous vous avouons que cela n’a rien pour nous déplaire. L’autre bon point, c’est le rapport de fidélité qui lie les couples existants, même si ceux-ci flirtent très souvent avec le monde de l’échangisme. Mais la dimension de respect qui unit les uns aux autres est infaillible, et on aime cette idée très forte, peut-être old school, qu’un couple doit durer dans le temps dans un parfait équilibre entre respect de ses envies intimes et respect de sa moitié.
Alors que notre société ne s’attache plus à respecter le couple, ou tout simplement autrui, cette dimension a de quoi séduire et proposer une vision à long terme plutôt qu’une vision zapping aujourd’hui devenue la norme (même si les célibataires du livres s’en donnent à cœur joie, et ils ont bien raison).
Imagination débordante.
Les nouvelles sont un florilège de situations prêtant à l’embrasement des sens. Si le cliché du plombier surgit en début de livre, mais il faut bien remettre certains clichés au goût du jour, les autres textes se déroulent de façon totalement banale finalement. Partant d’une rencontre fortuite, ils nous conduisent à l’expression d’une passion ardente. Pourtant, cette passion jamais ne dérape vers quelque chose de malsain, mais plutôt dans ce même esprit de jeu. Il y a de la taquinerie, de l’attirance qui se heurte à la peur, une danse dont les deux (ou plus) protagonistes hésitent parfois à esquisser les pas.
Néanmoins, presque toujours, l’aboutissement se déroule de façon plus que charnelle, ce qui ne manque d’émoustiller nos sens. D’ailleurs, le premier organe sexuel étant le cerveau, Jeanne Malysa nous comble par les facéties de son écrivain. Si la grande majorité des textes correspond à un « one shot », nous retrouvons quelques personnages à plusieurs reprises au cours du livre, ce qui nous laisse présager, peut-être, que Jeanne Malysa leur réserve un destin futur ?
Ce livre est à la fois drôle (par son postulat de départ, par certaines situations), touchant, excitant, et est porté par une idée d’innocence presque fleur bleue malgré des scènes plus qu’explicites. Mais le talent de l’autrice réside justement dans cette capacité à ne jamais virer dans le démonstratif mais plus dans la suggestion, ce qui confère à son livre un parfum de noblesse des plus alléchants. Enfin, sa conclusion, loin d’être un point final, nous laisse plutôt suggérer des points de suspension. L’avenir nous dira si nous nous sommes mépris, mais nous y verrions bien une suite, à ce Dans tous les sens qui nous régale. À bonne entendeuse…
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Relire l’interview de Jeanne Malysa, directrice de collection et relire la première partie de son interview autrice.
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