ADONIS BRUNET, Itinérance (auto-édition)
Poésie en mouvement.
Si nous nous y référons, l’itinérance est la capacité d’un téléphone mobile à changer de zone d’émission et de réception sans perdre la faculté d’émettre ou de recevoir des appels. Plus simplement, l’itinérance est le fait de se déplacer, de suivre un itinéraire. Ce nom de recueil est donc utilisé à propos, si ce n’est qu’il s’agit juste de remplacer le mot téléphone par le mot poésie. Adonis Brunet et June Brunet-Pohu nous offre un recueil hybride, variant les formes (poésie/haïkus/successions d’images par les mots), qui parle, pêle-mêle, d’amour, de temps qui passe, de saisons, de tumultes intérieurs. Bref, de la vie.
Il est assez bref ce recueil, une cinquantaine de pages. Cette brièveté n’est pas un défaut, il faut savoir être concis, exercice que pratique à merveille le poète puisqu’il use avec talent du haïku (poème de 17 syllabes représentant de manière poétique une observation naturelle). Cette concision prend la forme, en quelque sorte, d’une année qui passe, dévoilant les saisons, autant celle de cette fameuse année qui s’écoule que les saisons intérieures des narrateurs.
L’automne.
L’automne y prend une place prépondérante, avec ses teintes, ses noisettes, les animaux se préparant à un temps de pause. Nous y retrouvons un rythme qui va en ralentissant, une nature qui se met progressivement en sommeil, tandis que les mots du poète, eux, se font plus sensuels. Car tout ici n’est que question de sensualité, avec un accent mis sur le sens de la vue et celui du goût et de l’odorat. Le sens du toucher existe aussi, une main posée sur un sein, la chaleur de ce contact, mais n’entre pas dans le cadre de la saisonnalité explorée (en ce sens, ce recueil possède un défaut. En effet, il apparaît que tout les textes liés à l’amour pourraient être positionnés dans une deuxième partie, ou un autre recueil afin de mieux centrer le propos).
Le sentiment amoureux s’accorde mal aux saisons (mais en revanche mieux aux aléas climatiques comme les orages, les tempêtes…). Alors il semble suspendu ici dans le temps. Il y a l’amour heureux et celui qui est plus malheureux, mais les deux sont dévoilés avec le même tact, même si l’amour malheureux laisse, et c’est normal, poindre une part de nostalgie mélancolique plus forte. Celle-ci contraste avec l’effervescence se saisissant de l’amant lorsque son cœur se met à battre en harmonie avec celui de l’amante. Douceur, volupté, tout irradie d’un brasier aussi doux que des lèvres qui se rencontrent.
Le temps qui passe.
Le regard du poète (et de la poétesse qui ouvre le recueil avec trois textes qui sont à la fois des constats de vie, des impressions de solitude, de nostalgie, de tempête(s) intérieure(s) que nous pourrions aisément retrouver dans un journal intime, sans pour autant que tout cela ne manque de pudeur et de cette distanciation un peu magique de la poésie) se porte sur les éléments de l’âge, des saisons, du temps qui lentement passe.
Nous sentons bien un regard qui évolue en même temps, un constat sur le fait de ne plus avoir 20 ans, mais toujours cette malice qui explore ce qui est invisible aux yeux de beaucoup. Nous parlions de saisons, nous les retrouvons à travers une partie consacrée aux animaux, qui eux aussi préparent leur habitat, leurs réserves de nourriture, conscients que le jour viendra ou, le temps ayant passé, l’hiver reprendra ces droits.
Devenir vieux n’empêche pas, bien au contraire, d’être vivant, à l’affût de ces nouvelles découvertes qui se proposent à nous. Avec un œil à la fois amusé, presque taquin, toujours plein de tendresse, Adonis Brunet nous dépeint les scènes d’un quotidien qui n’a de magique que le fait d’être justement si banal.
Voir, en la banalité des jours qui s’écoulent, la poésie du monde révèle d’une forme de sagesse que possède l’auteur de ce mois de novembre.
Entre spleen et désinvolture.
Nous avons retenu cette image, entre spleen et désinvolture, qui figure dans ce recueil. Elle nous semble convenir à merveille à ce que nous ressentons à la lecture de cet ouvrage. Spleen car il marque une certaine nostalgie, une mélancolique, mais aussi une joie presque enfantine de voir ressurgir, jour après jour, la routine du temps, sous des éclairages nouveaux. La désinvolture est, elle, présente par cette notion presque joyeuse qui apparaît par l’enchaînement des actions/confessions, comme si, finalement, tout n’était pas si grave que cela.
Même quand nous ressentons de la peine, cet état n’est que passager. Même à l’inverse comme nous sommes heureux. Il n’y a rien de figé, et c’est peut-être ce qu’a voulu exprimer ici Adonis Brunet. Le fait que tout bouge, tout le temps, fait que nous restons à la fois mobiles et capables de saisir en toute chose la beauté. Ainsi l’itinérance se fait, car nous créons nous-mêmes nos propres émetteurs et récepteurs, mais toujours basés sur une observation que le poète retranscrit à merveille.
La délicatesse, le tact, la précision dans le mouvement qui s’opère devant les yeux, la force de restitution par des mots imagés, ou des images mots fonctionne parfaitement et Adonis Brunet nous donne à voir le monde un peu autrement. Ce qui n’est jamais anodin.
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