Chronique livre essais/biographies/témoignages
B.DURAND, N.PRAT, Oasis ou la revanche des ploucs.
Le conte de fées (?) des frères Gallagher.
Il était une fois une ville, Manchester, ville du nord de l’Angleterre, où vivaient deux frères, Noel et Liam Gallagher. À la fin de l’ère Tatcher, qui a laissé un goût amer à toute une population prolétaire, de guitares ils s ’emparèrent. Et, en un rien de temps, ils furent projetés stars planétaires. Si tout cela ressemble à un conte de fées, la réalité décrite par Benjamin Durand et Nico Prat nous montre que tout cela tient plus à l’alignement des planètes, presque d’un concours de circonstances, qu’à la magie féérique. Oasis ou la revanche des ploucs, paru aux éditions Playlist society revient sur le parcours (presque) exemplaire des deux frères avec une explication de texte limpide.
Que vous soyez fan d’Oasis ou pas, ce livre s’avère indispensable. Pourquoi ? Parce qu’il revient en 130 pages sur une histoire, celle de l’Angleterre, celle des années 90, dont une partie de la population se relève comme elle peut de l’ère Tatcher. La Dame de Fer a tenu d’une poigne solide les rênes du pays, rendant exsangue une partie de sa classe ouvrière en prônant un ultra libéralisme dévastateur. C’est dans ce contexte que grandissent les frères Gallagher, dans une misère dont l’horizon semble dépourvu de lumière.
Des prolos du nord.
Père ouvrier, mère femme de ménage, chômage, difficulté à subvenir à leurs besoins, les portes de sortie ne sont pas légion. Si Noel, l’aîné, travaille sur les chantiers, puis en tant que roadie pour Inspiral Carpets, Liam n’est encore qu’un enfant, relativement protégé. La musique ne l’intéresse pas plus que cela jusqu’au déclic le poussant à former un groupe dans lequel le grand frère le rejoint. Noel impose ses règles ; il écrira les paroles, les musiques, et Liam les chantera. Les débuts d’Oasis ressemblent (presque) à tous les débuts de groupe. Mais le timing, élément crucial dans leur histoire, est parfait.
L’Angleterre n’est plus le pays du rock, son aura s’est éclipsée pendant les années Tatcher au profit des États-Unis qui explosent avec la vague Grunge. Il faut une réponse de la part de la perfide Albion qui tarde à se réveiller. Londres n’est plus une place forte depuis l’avènement de Manchester et de sa vague post punk. Mais les guitares ne sont plus à la mode, les synthés dominent. Jouant de pas mal d’éléments en sa faveur, Oasis se retrouve néanmoins propulsé au sommet des charts, en première ligne, avec Blur (de Londres, eux), de la Britpop, courant émergent qui bientôt tient tête aux émules de Cobain.
La britpop.
Si le pays n’était pas en feu, c’est bien de ses cendres que naquit la britpop. Le pays avait besoin d’un « retour » à l’optimisme après la fin du règne Tatchérien. Les frères Gallagher, par bonheur, chantent leur vie, leurs ressentis face à un monde qui les a laissé sur le bas-côté de la route. Ils déballent leurs états d’âme, brandissent leurs origines populaires comme un doigt d’honneur à la culture « élitiste » londonienne, et ça marche ! Pourquoi ? Parce qu’Oasis y intègre une dimension universelle dans laquelle le public se retrouve. Manque de perspectives, appartenance revendiquée à une ville, à un milieu sociale, à leurs origines (à la fois irlandaises et prolétaires), ils ne sont pas là pour séduire, mais plutôt pour imposer par la force de la voix caractéristique (et charismatique) de Liam leur point de vue.
Les textes de Noel ne sont pas forcément les meilleurs qui soient, mais ils ont le mérite de viser juste, entre des refrains capables de retourner un stade, c’est-à-dire d’être ultra populaire, tout en étant suffisamment évasifs, ce qui leur donne un côté arty. Il faut dire qu’ils s’inspirent à la fois des Beatles (qui n’étaient plus « à la mode » mais dont les anthologies paraissant dans le cours des années 90 re-propulsent sur le devant de la scène) et des slogans publicitaires puisqu’ils « empruntent » ouvertement un générique de pub pour coca (ce qui leur vaudra un procès au terme duquel Oasis dira ne plus boire désormais que du pepsi).
Charismatique.
Le groupe jouit également d’une aura démentielle, faite de provocations, celles des gars qui n’ont rien à perdre. Alors, quitte à ne rien perdre, autant y aller à fond. Arrogants, provocateurs, ils font vite parler d’eux. Qui plus est, ils bataillent ferment contre Blur, combat fomenté par les journaux en mal de sensations depuis la fameuse guéguerre Beatles/Rolling stones. Si les Oasis prennent sa à la déconne, Blur est plus sérieux. Pourtant Oasis s’en tire mieux. Pendant un temps. Car, au final, la britpop arrive à son déclin, Tatcher est oubliée depuis que les travaillistes ont repris la tête du pouvoir politique. La musique anglaise suit elle aussi une évolution, les textes deviennent plus profonds, désenchantés. Fin de la légèreté britpop, l’avènement de groupes comme Radiohead et son OK computer changent la donne. Oasis perd en aura (et les concurrents Blur, plus instruits, ayant probablement senti le coup venir, évoluent dans leur musique).
C’est le début de la fin du groupe qui n’arrive plus à vendre autant de disques, d’autant plus que Noel, grisé par le succès, ne pond plus de textes suffisamment percutants, pertinents. Et la guerre entre les deux frères devient de plus en plus insoutenable. Il faut dire que leurs inspirations ne sont pas les mêmes, depuis le début, et, en une quinzaine d’années, ça creuse un sillon qui débouchera sur la séparation fracassante du groupe.
Le livre.
Oasis ou la revanche des ploucs est, une nouvelle fois chez Playlist society, une pure réussite du genre. Les deux auteurs maitrisent leur sujet, mais loin de faire une biographie banale, loin d’en faire un livre de fan, ils démontrent à quel point l’environnement social dans lequel à grandi le groupe aura servi de terreau à leur musique. En mêlant éléments biographiques et étude « sociologique »(très bien vulgarisée et passionnante), ils montrent qu’Oasis était le groupe dont l’Angleterre avait besoin pour sortir du marasme qui était le sien.
En ressortant les guitares du placard, en mobilisant les foules, en écrivant des putains de chansons, ils conquirent le monde avec leur accent comme étendard de leur appartenance aux classes laborieuses. Le seul moyen de s’échapper de la grisaille de Manchester, comme certains de leurs aînés, était de faire de la musique (ou de jouer au foot). Les outsiders Oasis sont bels et biens devenus les leaders de la scène musicale non pas seulement anglaise, mais mondiale. Leur conte de fées aura eu lieu. Il se termine en revanche, mais qu’importe puisque, tels des Phoenix, les deux frangins renaissent de leur cendre en solo. Sans jamais avoir oublié d’où ils venaient et ce qui faisait leur particularité.
L’ouvrage est passionnant, documenté, fouillé, nuancé et nous porte au plus près d’un groupe qui restera, qu’on aime ou pas, dans l’histoire de la musique. Indispensable.