[INTERVIEW] HEPTANES FRAXION, Conscience poético éclectiques.
Suite de notre conversation avec Heptanes Fraxion.
Découvrez la suite de notre interview avec Heptanes Fraxion. Il nous explique d’où vient sa poésie, ses goûts, les engrenages internes qui sont les siens, la conscience du monde qui l’entoure et qui le nourrit. Ses réponses vous permettront d’entrer plus avant dans l’univers du poète, d’en connaître certaines aspérités. Nous vous laissons découvrir cela sans plus tarder.
Les questions.
L :Comment écris-tu tes poèmes ? Sortent-ils spontanément ou sont-ils fruits de plusieurs recherches ? Quand tu proposes une somme de textes, tu les vois dans une globalité ou bien tu pioches dans ton stock pour obtenir une cohérence ?
Heptanes Fraxion : Pour l’écriture des poèmes, je donne beaucoup dans la banale prise de notes, que ce soit sur des calepins papier ou mon bloc-notes téléphonique. Ça peut être un bout de dialogue, un monologue, un croquis mental, un rêve dont je vais me servir pour ébaucher un scénario, démarrer une digression, une litanie ou créer un personnage ou évoquer une personne. D’ailleurs, c’est un souci permanent pour moi que de ne jamais oublier la personne dans le personnage.
Il y a ce travail de moine chroniqueur que j’aime dans la poésie que je propose et de détective également même si finalement l’enquête me concerne… Je trouve qu’en écrivant, je suis également écrit.
Je ne crois pas tellement au premier jet ni au double orgasme synchrone, d’ailleurs. (rires) .
Bien sûr, j’essaie de capturer une essence initiale , une voix qui me dépasse mais il y a tout un processus de décantage, de lecture à voix haute, c’est ma petite baston métaphysique et ridicule. La recherche du souffle à travers les mots me passionne assez sans tomber dans la fumisterie sonore ou le chamanisme de pacotille. Je possède également un mini synthétiseur Korg dont je me sers parfois pour finaliser, épurer un texte. C’est un détecteur à conneries impitoyable.
J’écris depuis une vingtaine d’années et lors des douze premières je n’ai quasiment, rien fait lire à personne.
J’écris depuis une vingtaine d’années et lors des douze premières je n’ai quasiment, rien fait lire à personne. J’écrivais une cinquantaine de poèmes par an, j’en gardais la moitié pour un recueil que je tapais à la machine à écrire et que je gardais pour moi.
C’est en 2010,à la création de mon premier blog, que je me suis aperçu que j’étais lu et apprécié et que j’ai commencé à participer et à envoyer des poèmes à des revues papier ou numériques avec des retours très encourageants.
En 2018, un jeune éditeur belge, Gaël Pietquin a créé sa maison Cormor en Nuptial dans laquelle, j’ai publié deux recueils à savoir Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas ainsi que C’est la viande qui fait ça.
Il y a deux sortes de recueils chez moi. D’un côté, ceux que j’appelle les juke-box de moi-même dont fait partie Errer me muscle (voire chronique dans Litzic) recueils où tout en veillant à une narration interne, je me contrefous du geste littéraire clair si cher à certains directeurs de collection de poésie , de l’autre côté, des recueils de textes sériels comme Et les gens continuent de tomber avec la nuit (Éd Aérolithe, 2019) ou bien Toujours pas de nouvelles de mon frère (Éd Ni fait ni à faire, 2020) où je tente modestement de faire mouiller les amatrices de liens et de récurrences.
L :Tu es plutôt très prolifique. Le monde qui est le nôtre t’inspire beaucoup ?
Heptanes Fraxion : Arf, le monde… il y en a tellement. J’aime bien ce proverbe polonais mais qui est peut-être aussi chinois, L’homme apprend toute sa vie et meurt idiot. Ça résume assez bien ce que je pense.
Sinon, oui je fais flèche de tout bois, tout fait source pour la poésie telle que je la conçois : le sport, le porno, les merveilleux faits divers, la philosophie, l’astronomie, la spiritualité sans l’administration qui va avec.
Je ne sais pas si c’est vital d’écrire pour moi. Je ne sais pas non plus si j’ai vraiment le choix.
L :Je qualifie un peu systématiquement ta plume d’urbaine, mais ai-je raison ?
Heptanes Fraxion : Urbaine ma poésie oui bien sûr. J’ai créé mon mini Gotham où je télescope des chronologies et théâtralise des fantasmes vrais…
Il y a aussi la présence d’une certaine nature. Je barbouille mes textes de phénomènes météorologiques et sème plein d’arbres et d’oiseaux en prenant soin d’en livrer ma vision personnelle… D’essayer du moins… Il y a aussi tout un bestiaire qui traverse mes poèmes… Des pandas, des requins… Après tout, les animaux sont les vrais dieux.
L :Ton écriture est incisive, mordante, sans concession. On dirait que, véritablement tu la cries. Est-ce vital pour toi d’écrire ? Trouves tu la même force dans la photographie ou la musique par exemple ?
Heptanes Fraxion : Je ne sais pas si c’est vital d’écrire pour moi. Je ne sais pas non plus si j’ai vraiment le choix. J’ai l’impression que ça me rend moins mort et ça me permet des rencontres passionnantes . Y a-t-il d’autres finalités ?
Ça me surprend toujours qu’on me parle de mes photographies… Faudrait peut-être que je creuse le sujet.
La musique m’est vitale par contre, il me faut ma dose quotidienne en tant qu’auditeur. Et en tant que poète, j’y trouve un exutoire, un exorcisme hallucinant. Avec mes potes Thomas le lycan et Arnaud le braquo, nous avons monté le projet Budynek, trio de basse parlée. Nous ne sommes que lacunes mais nous nous éclatons comme des bêtes. On espère enregistrer un cinq titres l’an prochain.
J’ai l’impression que ça me rend moins mort…
L : Je sais que tu aimes la bd et que tu dis, je te paraphrase « que le cinéma est loin derrière ». Quel cinéma aimes tu ? Et de la même façon en BD, qu’est-ce qui te parle ? Es tu plus « dessin » ou « scénario » ou bien les deux revêtent de la même importance à tes yeux?
Heptanes Fraxion : Aaah, le cinéma. J’y ai fui ma vie pendant des décennies… Les films des années 70 par exemple dans leur relecture des genres m’ont marqué à jamais . Le film noir, le road movie, la science-fiction humaniste.
En bd, s’il faut choisir je suis plutôt romans graphiques quoi que veuille dire ce terme. L’épopée de l’intime, l’aventure du grand que dalle Double fond de Jason Lutes ou Alex de Kalesniko sont des œuvres inépuisables pour moi.
Mais je kiffe également les comics déviants qui jouent brillamment avec les genres. La trilogie post apocalyptique Sweet tooth de Jeff Lemire par exemple ou bien Starve scénarisé par Brian Wood.Leur poésie est dingue, satirique, noble.
L : Si tu ne devais en citer dans chaque catégorie :
Heptanes Fraxion :
musique : les deux albums d’Arnaud Michniak au sein de Programme sortis dans les années 2000 et qui en ont traumatisé plus d’un .
ciné : The Rider sorti en 2017. Une espèce de grâce documentaire, une justesse bouleversante.
livre :Le repas des morts de Dimitri Bortnikov. Attention ce livre est inconseillable. Merveilleuse prosodie réaliste et lysergique.
bd : l’accident de chasse sorti cette année chez Sonatine… J’ai longtemps résisté à l’idée que ce soit un chef-d’œuvre… J’avais tort.