[ NOUVELLES ] GUY TORRENS, Les dentelles du cygne.
Les dentelles du cygne (et autres nouvelles), recueil de nouvelles de Guy Torrens (Éditions Maïa).
La régularité de Guy Torrens nous laisse admirative. Aujourd’hui, nous vous parlons de son nouveau recueil de nouvelles, Les dentelles du cygne, paru aux Éditions Maïa. Dans quelques jours, nous vous reparlerons de lui, à travers, cette fois-ci, un recueil de poésie. Et nous savons que nous vous reparlerons de lui dans quelques mois car cet auteur que nous aimons beaucoup travaille actuellement sur d’autres nouvelles (mais chut ! On ne vous en dit pas plus pour le moment).
Les dentelles du cygne.
Les dentelles du cygne « constituent le plus spectaculaire rémanent de supernova observable depuis la Terre. Une supernova est une étoile très massive (plus de 8 masses solaires), qui termine sa vie de manière cataclysmique. Le noyau de l’étoile transforme l’ensemble des éléments à sa disposition (hydrogène, hélium, carbone, oxygène, silicium…) jusqu’à être exclusivement constitué de fer. Arrivé à ce stade d’extrême densité, le noyau s’effondre sur lui-même. Les couches externes font de même avant de “rebondir” sur le noyau et être expulsées violemment dans l’espace. » (sources)
Pourquoi donner un tel titre à un recueil ? Parce que, comme cette étoile s’effondrant sur elle-même, il est question, dans ces nouvelles, d’êtres dont le noyau semble instable. Perdus dans leur vie, l’âme en confetti, les hommes qui hantent les pages de ce recueil cherche un ailleurs ou disparaître. Ou renaître, sous une autre forme, peut-être.
Âmes en décomposition.
Nous ne savons rien de ces hommes, rien de leur passé, sinon qu’ils ont dû vivre leur lot de déconvenues, d’épreuves, de pertes, de deuils. Ils errent presque hagards dans un monde qui ne les voit plus, qui les régurgite comme quantité négligeable. Qu’ils soient paumés dans une rue de Berlin ou du Portugal, dans Paris même, ils sont fantômes d’eux-même, en quête d’un sens, d’un toucher, d’une âme sœur dans laquelle ils pourraient, sinon se consumer, au moins emmagasiner un peu de chaleur humaine.
Ils ont le regard vide, l’alcool facile, ont la mort sur les épaules, la négation de la vie, pourtant ils vivent. Ils scrutent le quotidien dans toutes ses variations, dans tous ses détails, ils en font partie, sans être vraiment là. Ces hommes, ils sont ceux que l’on ne remarque pas, du moins le croient-ils, là où ils doivent être, car ils y sont toujours reconnus par quelqu’un, par un être vigilant qui capte leur spleen et décide de le faire disparaître. Pas si simple néanmoins.
Êtres solitaire.
Les nouvelles ici présentes mettent en relief des êtres solitaires, des paumés, des accidentés de la vie. Pas des gars qui n’en ont rien à foutre, car ils s’accrochent invariablement à quelque chose, une idée de ce que la vie aurait dû être. Ils sont toujours debout, bien que chancelant dangereusement, même si l’autodestruction rôde aux alentours, hors cadre mais toujours palpable. Ces types tâtent du goulot, du bourdon (c’est une marque de fabrique de l’auteur), écoutent du punk, du Bowie, du Lou Reed, du Iggy pop (c’est une marque de fabrique de l’auteur également).
Ils sont plus désespérés que jamais, mais aussi, peut-être, plus vivants également.
Un peu comme Les dentelles du cygne autrement dit. On sent que ces hommes ont explosé un jour et que, petit à petit, ils essayent de recoller les fragments disparates de leur vie. Petit à petit, ils se reconstruisent à travers des rencontres d’autres fantômes. Mais ces autres fantômes sont revenus à la vie. Comme ce travelo, au Portugal, qui après avoir participé à la guerre, reconstruit une vie à des orphelins (de guerre, eux aussi, bien qu’il ne s’agisse pas de la même).
Ou comme ce type, dans un bar, qui raconte à qui veut l’entendre (ou à lui-même, c’est pareil) sa rencontre avec un hypothétique frère jumeau devenu moine. Ils ont des choses à dire, des stéréotypes à faire vaciller. Une vie à réinventer. Et Guy Torrens la réinvente nous pas poour eux, mais avec eux en nourrissant un brasier interne qui ne s’éteint pas quand bien même les différents protagonistes aimeraient le voir s’étouffer.
Désespoir clinique, réanimation.
Avec une plume toujours noire mais où perce toujours une espérance dingue, Guy Torrens plante des décors sombres, tourmentés. La lumière vient des rencontres, des échanges, des humanités qui, telles des pièces de puzzle, s’assemblent pour former un tout. C’est exactement cela. Les narrateurs se croient invisibles, pourtant ils sont vus, compris dans leur mal-être par la pièce voisine du même puzzle. Alors ils s’assemblent, pour un moment, bref ou plus long, pour reprendre une contenance, une dimension concrète. Pour reprendre un shoot de vie, quand bien même ils la fuient, pour une raison jamais éclaircie.
La pureté réside dans ce contact ténu. Il est le pouls de ces histoires, ce battement de cœur qui ne cesse de se répéter inlassablement, car plus fort que la mort. Avec Délicatesse, Les dentelles du cygne nous dresse des portraits plein de trous, de failles, mais qui pourtant restent fort, roseaux sous les assauts du vent, certes un peu hagard, un peu fantomatique, mais toujours (ou encore) vivant. La plume délivre sans cesse ce petit supplément de vie, d’âme, ce sursaut qui dit qu’il faut continuer le mouvement, ne pas s’arrêter en chemin car au bout, il peut y avoir de la lumière.
LA nouvelle de « Les dentelles du cygne ».
Il est toujours complexe d’extraire une nouvelle de son ensemble. Mais une d’entre elle nous plaît particulièrement car elle démontre la capacité qu’à Guy Torrens à magnifier le banal pour en faire quelque chose d’extraordinaire. Il s’agit de la nouvelle Le kimono mauve. C’est la période de Noël. Un homme cherche un cadeau à offrir et se rend dans un magasin de fringues d’occases et est scotché par un kimono mauve, inachevé. « Quel est l’origine de ce kimono ? C’est à vous de voir ». Alors l’homme verra.
Trois hypothèses se déroulent alors devant nous. Trois histoires ayant le même point de départ (le kimono inachevé) pour le même point final (le kimono inachevé). Trois histoires dans une seule nouvelle, trois visions d’un même acte en suspens. Et ce cadeau à offrir, et lui donner une aura de mystère par l’une des trois hypothèses choisie (à moins que le narrateur en est imaginé une quatrième, et nous avons un faible pour cette possibilité puisque, finalement, nous restons sans réponse à la fin de la nouvelle qui s’achève ainsi : « Vous remarquerez qu’il n’est pas fini, mais c’est à cause de sa destinée incroyable, imaginez… »).
Cette histoire démontre que d’un petit rien, ou peut faire un grand tout. Il suffit pour cela de posséder le talent de Guy Torrens pour embarquer le lecteur dans un improbable ailleurs. Mais peu possède un tel talent, nous l’avouons. Et nous sommes très heureux qu’il lui appartienne.
Relire la chronique de Les cendres muettes, du même auteur
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