[NOUVELLE] THIERRY GIRANDON, Les pluies partie 3
Découvrez Les pluies (partie 3-fin), dernière partie de la nouvelle que Thierry Girandon nous a gracieusement permise de publier. Retrouvez la première partie ICI et la deuxième ICI.
A la surface de l’eau, encore, tout ce qui ordinairement traînaient sur les trottoirs, canettes vides, mégots, emballages ; et tout le menu fretin des tiroirs et des rayonnages. Des plantes en pot vite submergées par une vague. Les visages se collaient aux fenêtres les plus hautes. Les plus téméraires se tenaient aux antennes râteau et pour la première fois ricanaient avec les corbeaux. Ils balançaient des messages de détresse enfermés dans des bouteilles de soda. Les habitants des rez-de-chaussée sortaient de chez eux en scaphandre. Même les tramways n’allaient pas aussi vite que les voitures qui en marche arrière arrêtaient leur course dans le monument aux morts. Jean avait trouvé la bouée idéale. D’un coup de pied, elle repoussait la lame d’une tôle ondulée ou des chaises renversées, pieds en avant. Une vague sous-marine dévêtit Jean de son velours trop large. Il se retrouva en string. Des vêtements défaits, des animaux morts qui remuaient encore la queue, lui passaient entre les jambes, le titillaient telles des algues. Des poissons rouges hors de leur bocal s’étonnaient de la taille de ce soudain aquarium. Un castor frappait l’eau de sa queue plate. Il applaudissait encouragé par une cane et ses canetons. Les smartphones ressemblaient à des gants de toilette et sonnaient Mozart ou la musique du Parrain. Ils ne géolocalisaient plus qu’aux Açores, essorés. Un pompier terrorisé se faisait héliporter, embarquant un meuble en noyer. Jean et la jambe quittèrent la ville accompagnés d’une flopée de livres ouverts au dernier chapitre. C’était l’eau du Furan qui retrouvait son ancestral lit. Les crocodiles, enfin à l’air libre, croquaient des enfants ceux adoucis par les contes de fée, les plus tendres. Un bout de carton simulait l’aileron d’un requin. Jean sauva une poupée par les cheveux qui hors de l’eau hurla qu’elle avait faim. Il la noya.
C’était la cambrousse mêmement désolée que la ville. Des caravanes devenaient des cartes à jouer sur la table de jeu étale du fleuve Loire enfin Amazone. On ne voyait des pavillons que les vieux sur le toit en train de prier en pyjama. Ils brandissaient des chiffons blancs, rendus. Des propriétaires mouraient dans leur voiture ou entraînés par leur dernière acquisition. Un camion-citerne sur le flanc se baladait sur un tronçon de route. L’eau avait délivré du sous-sol d’antiques statues et d’antiques pavés qui roulaient comme les pierres d’un torrent. La jambe faisait la bouillotte. Jean la remerciait par de petits baisers amoureux. Il aidait la jambe fatiguée en remuant les siennes à la manière d’une grenouille ou d’un petit chien. Ses couilles se rétractaient pour trouver une place au chaud sous le string. Des mouettes piquaient dans l’eau des poulets rôtis ou des animaux de compagnie. Des drones ou des ovnis filmaient les sinistrés. La girouette sur le clocher des églises ressemblait à la cheminée la plus haute d’un paquebot échoué. Jean descendait le fleuve avec paisible, à l’allure d’une péniche. Il s’endormit longtemps et se réveilla dans les brumes de l’océan. Il s’assit sur la jambe recroquevillée, s’arrimant de la main à la cheville. De l’autre main en visière, il scrutait les lointains. S’il tendait la main, il la perdait dans un épais crachin. Il entendait des cris, des cris d’enfants, de femmes épouvantées. Il écarta deux nuages et aperçut une frêle embarcation débordant de miséreux luttant contre l’assaut de requins affamés. Après avoir bouffé le boudin du zodiac, les requins s’en prirent aux plus faibles, les enfants dénutris et les femmes enceintes. Plusieurs migrants s’agrippèrent à la jambe de Jean, sa bouée. Déséquilibré, il tomba dans l’eau. Fichtre. Il sombrait. Un requin le regarda en ricanant. Jean ne comprit qu’un peu tard qu’il ne lui servait à rien de remuer les bras pour remonter. Le requin les emportait. J’ai toujours mes jambes. Riant, il avala un paquet de mer. Il s’affala parallèlement à la colonne d’un temple, vestige antédiluvien d’une Atlantide oubliée.
Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Thierry Girandon.
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