CHLOÉ MONS : “Je ne suis pas narcissique”
Chloé Mons est impressionnante de justesse dans son premier seule-en-scène, “Je ne suis pas narcissique”.
Chloé Mons a décidément de multiples cordes à son arc. Madame Bashung rayonne en chanteuse et liseuse, à la plume comme autrice et de nouveau comme actrice. Son premier seule-en-scène, joué durant plusieurs semaines au Lucernaire à Paris après avoir triomphé à Avignon en 2019, est un régal.
Ce long monologue de plus d’une heure écrit par Alain Klinger et Sophie Rockwell raconte des histoires d’actrices. Ou plutôt des brides d’histoires. Le texte est une compilation d’extraits d’interviews. Tous les mots ont vraiment été dits, puis retranscrits dans la presse. Dans Elle, dans Psychologie magazine, dans Les Cahiers du Cinéma, … avant d’être mis bout à bout pour donner corps au personnage joué à merveille par Chloé Mons.
Sur scène, l’actrice se donne à corps perdu et s’approprie avec envie ces paroles d’artistes forcément exubérantes.
D’entrée, elle le clame, « Je ne suis pas narcissique » puis se laisse porter par le texte. Dans la petite salle du Paradis, au troisième étage du théâtre du Lucernaire, dans le quartier de Montparnasse à Paris, Chloé Mons, très proche de son public, est bluffante. Tour à tour hystérique, pathétique, décomplexée, exubérante, dépressive ou encore, et c’est forcément ironique, narcissique, elle joue avec passion un personnage multiforme qui ne lui ressemble pas. D’où la performance : elle se drape d’un véritable rôle de composition et montre par là-même toute l’étendue d’un talent encore trop peu exploité même si elle a déjà tourné, il y a longtemps, dans une dizaine de films.
La représentation est ponctuée de véritables paroles d’actrices, diffusées en interlude. On entend notamment les voix de Karine Viard, de Béatrice Dalle, de Fanny Ardant ou même de Romy Schneider, icône parmi les icônes.
…elle trouve avec ce personnage fantasmé un véritable rôle à sa démesure…
Ces courts instants de répits permettent à Chloé Mons de se changer et de réinventer à chaque fois un nouveau personnage même si les mots tournent parfois en boucle.
La cinquantaine rayonnante, elle trouve avec ce personnage fantasmé un véritable rôle à sa démesure et se livre pour dévoiler des facettes peu reluisantes mais tellement vraies des comédiennes, femmes trop souvent déglinguées par la notoriété et l’exhibitionnisme. Elles ne sont décidément pas des êtres comme les autres.
A l’issue de la représentation, Chloé Mons et Alain Klingler sont disponibles, une fois n’est pas coutume, pour une rencontre avec les spectateurs. L’occasion d’un questions-réponses introspectif. Alain Klinger détaille son travail avec Sophie Rockwell. La pièce a été écrite à partir de centaines d’interviews. « Il ne s’agit que de phrases extraites et remontées. Très rarement, il y a trois phrases qui se suivent d’une même personne mis à part le passage sur la chirurgie esthétique, extrait d’une même interview ou encore le monologue des poules où c’est une seule et même personne. Autrement, c’est trois phrases ici, deux phrases, une phrase, une phrase, une phrase … » Le jeu consiste à deviner qui peut bien se cacher derrière ces citations choisies. L’exercice difficile ouvre la porte à l’imaginaire de chacun. Ni Chloé, ni Alain ne souhaitent dire qui prononce ces mots écrits, puis dits.
… répliques jubilatoires…
La pièce a très vite été montée. Cinq journée de résidence ont suffi. « Chloé connaissait tout son texte dès la première journée. Cela nous a permis d’aller très vite, » se réjouit Alain Klinger.
A chaque tableau, un nouveau personnage est dévoilé avec ses outrances. Cela ouvre la porte à des répliques jubilatoires dans leurs excès. Cinq ans de travail ont été nécessaires à la réalisation de ce patchwork littéraire. « Comme il y a des tableaux, il fallait attendre que de nouvelles interviews parlent du sujet abordé. C’est pour cela que cela a duré cinq ans. Si l’on voulait, par exemple, parler de la psychanalyse dans une scène de trois minutes, il fallait trouver des actrices qui parlent de cela et attendre que des articles sortent là-dessus. »
Toutes les paroles ainsi retranscrites ont pour seul point commun d’être celles d’actrices . « Je les aime toutes bien évidemment, s’emballe Alain Klinger. Nous avons choisi avec toutes ces phrases de dire quelque chose que chacun peut interpréter. Le spectateur fait l’œuvre. Tous les jours, on nous dit des choses. Je vois chaque soir des liens différents entre les répétitions et l’interprétation. Des choses émergent car nous sommes ensemble. Chaque représentation est unique. »
Depuis 2019, la spectacle a très peu évolué même si une scène a été rajoutée. Le plaisir est sans cesse renouvelé. « L’énergie change selon la salle et le public », confirme Chloé Mons.
Le spectacle se termine sur une image blanche, celle d’une Madone christique. Comme si la pièce, mise en abîme totale du personnage fantasmé de l’actrice, avait un effet psychanalytique.
A l’issue de la représentation, l’actrice sort comme lavée de toutes ses hystéries.
Chloé Mons aimerait prolonger le plaisir en tournant la pièce en province. En attendant, elle va se replonger dans la musique mais pas de nouvel album à l’horizon. « J’ai fait dix albums, je connais le bonheur de faire un disque, de fixer sur un objet les musiques qu’on aime avec les visuels que l’on aime mais plus personne n’achète ça, ne s’intéresse à ça, plus personne ne valorise ça. Avec Yan Péchin, nous allons faire des concerts dans les bars. L’industrialisation de la musique, c’est un clin d’œil dans l’histoire de la musique, cela n’a pas cent ans et c’est déjà fini. Donc OK, on arrête ça et on va refaire de la musique en live. Cela s’est transmis pendant des siècles d’une façon orale, on va y revenir. C’est un peu triste mais aussi extrêmement libérateur. »
A l’image des actrices qu’elle joue avec tant de brio dans “Je ne suis pas narcissique”, Chloé Mons n’en fini décidément pas de se réinventer.
Patrick Auffret (avec Lysianne Roche)
Il a rejoint l’équipe début 2022 et son corps de métier se tourne vers la scène où il photographie les musiciens en même temps qu’il s’imprègne de leur musique, qu’il restitue son forme de live report hyper pointus.
Ancien rédacteur en chef à Publihebdos, Pat Auffret a également collaboré durant 20 ans avec le magazine Longueur d’Ondes et Rock & Folk. Il travaille régulièrement avec l’agence photo Dalle et ses clichés ont été publiées dans divers journaux nationaux (Le Monde, Les Inrockuptibles, Rock&Folk, …) et internationaux.
Il est aujourd’hui président de l’association dédié au spectacle vivant Out of time.
Pour faire en sorte que litzic reste gratuit et puisse continuer à soutenir la culture
Nous retrouver sur FB, instagram, twitter
Un autre article : Moonya