CHRISTOPHE SIÉBERT, Valentina

Christophe Siébert, ValentinaRoman, disponible aux éditions Au Diable Vauvert.

Retrouver Mertevcgorod, c’est un peu comme retrouver son plaisir coupable. Car retourner dans cette république indépendante post soviétique, c’est retourner vers ce que l’âme humaine renferme de plus sale en elle, et paradoxalement aussi ce qu’elle cache de plus vrai (et forcément beau). Ce nouveau roman de Christophe Siébert, s’il se passe à Mertvecgorod, ne s’inscrit pas dans le cycle des chroniques du même nom, mais dans une sorte d’à côté à la fois dans la continuité et totalement à part. Avec crainte, une fois mis en garde par l’auteur himself dans les premières lignes du livre, on rejoint une bande d’ados désoeuvrés et laissés à eux-mêmes alors que Valentina n’en a plus que pour quelques heures à vivre.

En effet, celle-ci, ou celui-ci, puisque Valentina est un travesti, est sauvagement assassiné. Son assassinat n’est révélé qu’à mi-livre, tandis que dans la première partie la vie des ados est décrite avec précision et une certaine insouciance (alors qu’avec le recul il apparaît évident que pendant leurs pérégrinations, la fameuse Valentina en prend plein la tronche ce qui glace les sangs).

Une enfance sans lumière.

À Mertvecgorod, mis à part pour certains oligarques, c’est la misère qui règne. Celle-ci est financière, sociale. Elle l’est aussi de manière physique puisque les drogues et l’alcool sont monnaie courante, même pour les plus jeunes. Christophe Siébert nous décrit donc les aventures, qui n’ont rien d’exotiques puisque plongées les deux pieds dans la merde d’un quotidien gangréné de violence, d’errances et de solitudes, de Meksi, Laska, Sbrod, General et Kreditka, amis d’enfance, punks dans l’âme (faute de mieux et surtout d’une famille aimante et protectrice), sauvageons en puissance.

Leur vie se partage entre la Skola (l’école qui permet à leur(s) parent(s) de recevoir une allocation, laquelle sert donc indirectement aux gamins qui ne sont donc pas obligés de vivre totalement dans la rue), la plus ou moins petite délinquance et l’absorption de drogues et d’alcool. Mais quand Valentina est retrouvé.e mort.e, le destin de Kreditka va se trouver bouleversé. Elle devra accomplir un acte ultime qui la place face à une nouvelle responsabilité, et par voie de conséquence dans un état de profond bouleversement.

Du sang, de la merde.

Avec tout le brio qui le caractérise, Christophe Siébert nous plonge une fois encore dans les méandres de ce que l’humanité possède de plus sombre, de torturé. Sans jamais forcer le trait, il décrit la vie d’une jeunesse laissée à elle-même, une enfance en manque d’amour, de tendresse, pour qui la vie n’est qu’une merde qui ne vaut pas véritablement la peine d’être vécue, si ce n’est en se défonçant jusqu’à l’inconscience, parce que mieux vaut mourir jeune que vieux.

Orphelins, parents détruits par le(s) deuil(s) (réels ou métaphoriques) ou simplement écrasés de boulot pour subvenir, miraculeusement à leur besoin, les ados décrits ici s’éclatent comme ils peuvent, rackettent, tabassent fument, boivent, terrorisent les « honnêtes » gens, bref, n’en font qu’à leur tête, faute à un état et une structure familiale censés les cadrer. Pourtant, ils apparaissent sympathiques, animaux blessés en quête d’un peu plus d’attention, surtout à cet âge charnière où tout peut encore être sauvé.

Social et tireur d’alarme.

Siébert en dresse donc le portrait, violent, qui va simplement plus loin que les frontières de la RIM. En effet, il est dur de ne pas y voir un effondrement de l’éducation au sens le plus large qui soit (en France notamment où les résultats des élèves ne cessent de décliner, faute à une éducation nationale étranglée par le manque de moyens et l’incapacité de différents gouvernements à la réformer efficacement, et autrement que pour faire des élèves de bons petits soldats qui resteront, quoi qu’il arrive, toujours empêtrés dans leur appartenance sociale) et des sociétés occidentales qui ne voient plus d’avenir que dans les capitaux, détruisant tous les acquis sociaux avec une régularité métronomique.

À sa manière, en détournant le propos, Christophe Siébert parle plus de nos sociétés en plein effondrement que d’un univers post soviétique. Il pointe le laxisme général, le manque de courage, la corruption, les dérives liées aux plaisirs directs et facilement accessibles. Il parle également de la fin de l’enfance, de ce moment où l’on devient adulte, de façon naturelle ou, ici, forcée. Faire le deuil de l’enfance apparaît ici avec une force monumentale qui coupe le souffle, parce que sa description est d’une limpidité foudroyante et terrible au point qu’un malaise surgisse soudainement (lequel prouve une fois encore et pour toute que la littérature se doit d’émouvoir profondément tant cela est bénéfique).

En plus de cela, il parle de l’espoir, de celui qui continue, vaille que vaille à avancer. Car tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Cette vérité écrase le roman !

Une vérité.

À la place de ces ados, que ferions-nous ? Continuerions-nous à essayer d’exister ? Ferions-nous comme eux, suivrions-nous leur exemple ou, simplement, nous tirerions-nous une balle en pleine tête car l’avenir s’annoncerait aussi merdique que le présent? En un sens, l’auteur montre le courage, cette lueur vive qui illumine le roman, là où tout est sombre et poisseux.

Fluide et à l’écriture précise, dynamique, Valentina se lit d’une traite. Christophe Siébert n’a pas son pareil pour plonger le lecteur dans une violence banale, quotidienne, parfois d’apparence gratuite (mais qui ne l’est jamais puisque cela nourrit son propos), tout en rendant ses personnages attachants et plus vrais que nature. Si les aspects noirs de son livre sont bien présents, c’est surtout l’amour qui apparaît en sous-face, celle qu’il a pour ses personnages, mais également pour la vie qui cherche toujours à se frayer un chemin dans les ténèbres.

Si le livre s’achève abruptement, il nous laisse tout de même sur une infime marque d’espoir, celle qui nous laisse à croire que tous ces enfants s’en tireront, à leur manière. Et surtout nous donne encore plus envie de retourner à Mertvecgorod, cette ville qui expose le pire pour faire ressortir le meilleur de certains de ses personnages. Plus que jamais, Christophe Siébert nous marque au fer rouge et s’impose définitivement comme un auteur incontournable.

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Patrick Béguinel

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