BERTRAND BELIN à L’Antipode (Rennes)
La Classe et les explications de textes.
Une salle de spectacle, c’est comme une femme ! elle a un cœur, elle respire, elle accueille la vie. Il y en a de toutes formes. Certaines sont élancées, d’autres toutes en rondeurs. D’autres sont ou semblent provenir d’un autre siècle. Certaines ont un premier contact froid, on les sent distantes bétonnées, tandis que d’autres, au contraire, sont tout de suite chaleureuses, accueillantes, souvent habillées de bois. La salle de l’Antipode où se produit ce soir Bertrand Belin, dont nous avions adoré l’album Persona, salle que je découvre pour l’occasion, est tout en angle.
Elle a plusieurs façades, et l’approche scolaire que j’en fais s’explique par le chemin que j’emprunte et qui me fait passer par la médiathèque qui jouxte celle-ci. Inaugurée il y a un peu plus d’un an, le centre culturel l’Antipode est issu du regroupement de l’Antipode MJC Rennes et de la Bibli Cleunay, deux entités complémentaires dans un même équipement : « bibliothèque et maison des jeunes et des cultures ». L’Antipode vous invite dans ses deux salles de spectacle, sa bibliothèque et son espace musique, son espace jeunesse. Son slogan du moment : « Chez Antipode, tu peux voir des concerts, des expos, participer à des ateliers et puis jouer, créer, lire, répéter, ou juste chiller sur le canapé. Bienvenue ! »
Merci pour l’accueil.
Une longue file d’attente s’étire le long d’un mur extérieur, un couloir puis une salle, sur 2 niveaux. Le décor de la salle est sobre et lorsque vous levez les yeux au ciel vous découvrez ses murs ornés de boiseries carrées, myriades de post-it acoustiques au format A4 d’une page de texte. Cela inspire à l’écriture et aux bons mots ce qui tombe plutôt bien car ce soir elle accueille en son sein, un maître en la matière.
Je suis venu pour une explication de texte par le professeur Belin. Je veux comprendre la signification des paroles de son dernier album « Tambour Vision ». Je veux une master classe de la chanson française avec sur scène ce soir un des pontes de l’ABC chantée, cavalier du trio de tête composé, à mon goût de Dominique A, Bertrand Belin et Philippe Catherine.
On s’installe au premier rang et nous assistons tout d’abord à la prestation de la jeune chanteuse nantaise Coline Rio (26 ans) qui présente les titres de son 1er EP « Lourd et délicat » sortit cette année. Sur scène, elle est accompagnée par la violoncelliste Cécile Lacharme pour une prestation tout en douceur, apaisante comme une séance de Sophrologie. Sa voix posée et le carillon façon « Petit bambou » nous préparant à une soirée de méditation en pleine conscience.
Apaisés.
Révélée par Didier Varrod, sur les antennes de Radio France, Coline Rio est lauréate du concours « Avoir 20 ans en 2021 ». Elle compose en plein confinement, la chanson « Horizon» qui la fait connaître. Elle exprime alors un sentiment « commun » d’abandon, du manque de contact humain, du manque de rire et la nécessité de puiser en ses propres ressources intérieures.
Ce soir, baignée par un jeu de lumière magnifique, elle nous confie en chanson les sujets qui la touchent. Tout se déroule dans une ambiance bienveillante. Elle nous parle de l’humain, de la nature, d’amour. Elle exprime ses doutes mais surtout se félicite d’être là, invitée de Bertrand Belin.
Du haut de ses 26 ans, elle chambre un peu le public Rennais nous expliquant peu connaître cette ville pourtant proche de Nantes, mais se réjouit de la sortie de son futur album en Mars 2023.
Nous voilà apaisés après ces 30 minutes de préparation et surtout très bien placés, puisqu’au premier rang pour contempler le 2nd acte de cette pièce de théâtre « Antigone » à l’Antipode !
Petite plaisanterie, histoire de planter le décor « théâtral » de ce soir. Une estrade, un décor minimaliste composé de draps blancs, une façade de château sur lequel une porte imaginaire est découpée. Bien sûr ! On retrouve le visuel de la pochette de l’album, ou Bertrand est en équilibre précaire sur une corniche, penché contemplant le vide.
Mise en scène théâtrale.
Sur l’estrade, en partie centrale, la batterie électronique et acoustique sera tenue ce soir par Sylvain Joasson (connu pour jouer avec Chevalrex, Mendelson,Thomas Fersen). Deux claviéristes aux synthétiseurs Jean-Baptiste Julien et Thibault Frisoni, qui prend parfois la basse, une joueuse de marimba et percussions, Lara Oyedepo, et enfin Julien « King » Omé, guitariste, complète le groupe.
Bertrand Belin entre en scène, tout sourire et débute la soirée par « Carnaval » le 1er titre de son 7ème album (déjà ! rappelons qu’il a commencé sa carrière solo en 2005).
Il chante déjà sa vision et ses troubles : « Carnaval, J’ai vu l’envers, l’envers de l’homme. Carnaval, J’ai vu le cul, de ma tête, J’ai crié victoire, J’ai crié défaite »
Nous, tout ce qu’on voit, ce n’est pas son cul, mais bien sa tête. Il y en a dedans c’est sur! mais aussi en façade, quelle gueule ! L’homme est élégant, classe ! Smoking noir sur chemise blanche. Le charisme est déjà au rendez-vous et cette mèche blonde va enflammer l’antipode bondé en ce 24 Novembre.
« Bonsoir cher.e.s camarades de Rennes et de ses environs proches ! Félicitations vous avez une salle magnifique, les Antipodes de l’antipode » s’écrie Bertrand. « C’est toi qui es magnifique » lui répond un spectateur, en admiration, comme moi. « Oh ! on l’est tous ce soir » répond Bertrand modestement. « Allez un petit souvenir des périodes qu’on aime beaucoup, les périodes électorales ». Le concert démarre sur le titre « Tambour ».
Dans la place.
Nous voilà partie pour les ballades et un déroulé de morceaux issus en grande partie de ce dernier album. Le tempo est lent, la batterie électronique assène le rythme des compositions et les claviers distillent des sons piano jazz complétés par un saxophone virtuel. On vit un concert où, dès le début, la guitare reste en retrait, régulièrement effacée par le son caractéristique du xylophone africain « Marimba ».
Cela laisse encore plus de place à la prestation du beau chanteur déjà plein d’assurance « Lavé de ses doutes » et « jamais perdu dans ses cheveux » dès le 3é titre. Puis Bertrand nous annonce « une petite ballade généalogique, accrochez vos ceintures ! »
On s’accroche en effet devant ce fil conducteur qui nous explique son pédigrée « Je viens d’une longue lignée d’ivrognes, troubles fêtes, gâcheurs de noces, épouvantails d’abribus, maîtres de chiens, desquels j’ai hérité, De tout et de rien, Tout, tout…» prémices au fil conducteur « canin » « toutou » de la soirée ( je vous expliquerai un peu plus tard).
Pendant ce temps la gestuelle de Bertrand nous révèle une personnalité riche, originale parfois complexe en son approche mais surtout généreuse. Des postures glissées, redressées, saccadées, décomposées, révélatrices d’un univers artistique complet et unique. « Madame Monsieur je me suis redressé »
Et que dire de la suite !
« Vous êtes au courant? Tout le monde est au courant ? » « Oui » clame la foule. « J’ai pas compris la réponse, bon il y a environ la moitié de la salle qui le sait ! mais ceux qui sont au courant, figurez-vous, ça à changé. Donc ceux qui ne sont pas au courant, vous allez avoir les dernières nouvelles » avant d’entamer le titre dansant « la Nouvelle » avec une voix en écho « t’as eu vent , t’as eu vent ? »
On assiste à un spectacle complet. Après l’analyse des mots, riches comme ceux de Dominique (A), on entre dans un univers tout en dérision et absurdité façon Philippe Catherine (C) et nous découvrons un humour ciselé à la Raymond Devos.
En effet le marrant Bertrand épelle la liste des courses et nous donne les explications de textes qui éclairent ou perdent l’auditeur « Il me faudrait, une boîte d’allumette, des boîtes de sardines, un oreiller pour la tête, pour les pieds il parait que cela se fait, un tournevis cruciforme, un autre plat car on ne sait jamais qui nous emboîte, il me faudrait… » et d’ajouter « je trouve que je ne demande pas grand-chose par rapport à ce qui se faisait dans l’Egypte antique ou quand quelqu’un mourrait il se faisait enterrer avec toute sa suite, moi je demande pas tout ça, je demande une douzaine d’huitres dans un torchon, la télé, pour les documentaires, pour Arte, on a la zapette c’est nous qui sommes aux commandes, une bougie, non j’ai déjà les allumettes. A ce propos, Non ! ca ne va pas durer longtemps Camarade, est-ce qu’il vaut mieux s’enterrer avec une boîte d’allumettes pleine ou avec une seule allumette?, réfléchissez bien car une seule allumette n’a rien à voir avec une dernière allumette » concept ?
Rire de la mort.
« Je ne connais pas vos prédictions mais pour moi si je devais casser ma pipe, car ceci est une pipe il faut penser à faire ces petites courses ce ne sera pas la peine de réclamer plus tard ».
La salle rit sur ce sujet grave qu’est la mort.
Joli tour de passe-passe pour ce magicien des mots et ne l’oublions pas parfois comédien à l’humour complice. Les paroles de cette chanson à mi-parcours du concert nous rappelle ce physique « Il me faudra deux doigts pour ma sèche, une main pour ma mèche » et le fil conducteur canin à venir « Qu’on ne tue pas mon chien, pour le mettre avec moi, dans les planches. Ainsi soit-il ! »
Il rajoutera aux paroles originales de la chanson, tout en mimant le meilleur ami de l’homme : son fidèle chien : « qu’on le laisse aller sentir le long des trottoirs, griffer la route, capter des molécules odorantes ». Puis de nous expliquer que « la vie des chiens, le mode canin, est un monde, juste là, auquel on ne comprend rien ! Le chien ne comprenant pas non plus notre mode de vie. Même si je me prétends le chanteur préféré des chiens et d’ailleurs quand j’en croise un dans la rue, il hallucine carrément, car il y a toujours eu des chiens dans mes disques, ce sont des chiens de chanson ! mais ça les chiens ils l’ont bien compris ; Le chien est là avec son maître, il me voit et il hallucine et son maître de lui dire « mais qu’est-ce que tu fais mon bichon ?».
On s’éloigne de la chanson avec cette presque imitation « à la de Funès » se terminant par un clin d’oeil complice et la nécessité d’arrêter ce délire.
Second acte.
Il est temps d’attaquer la seconde partie du concert, plus musclé par des titres marquants des précédents albums, lesquels nous laissent « sur le cul ».
La belle guitare orange de Bertrand, reconquise, nous confirme les talents de musicien de l’artiste et les titres accrochent immédiatement. On parcourt une route « Nationale », on y croise « Peggy » qui nous file la chair de poule, le temps de mimer un roulé de cigarette et de jouer un solo de guitare magnifique tout en « Surfaces ». Puis il parle en latin complice d’un effet de l’ingénieur son et nous explique avec une voix papale son regret d’avoir fait pipi sur une chapelle étant enfant (le délire !), puis nous propose le choix entre 2 menus « Alleluia » ou « Be-Bop-A-Lula ». Oui ça nous plait ! Le public passe commande.
« La messe n’est pas dite, le sort n’est pas jeté, prière de prévoir.. . »
Non la messe n’est pas dite. Il reste un titre avant rappel ou la voix de Bertrand se rapproche au plus près de celle d’Alain Bashung. Non ce n’est pas une imitation c’est bien la sienne, pleine d’émotion, précise et si justement placée sur le titre « Au début c’était le début » qu’il chante généralement avec les Limiñanas.
Suite et fin.
A moi d’écrire à ses détracteurs qu’il convient d’assister à ce type de prestation pour vraiment rentrer dans l’univers « Belin ». Qu’on aime ou pas, on ne peut que constater que son talent est chanté, joué et certainement pas surjoué. Cette voix si singulière est un cadeau des dieux « en tout cas ceux de la musique ». Elle me parle et j’en redemande en cette fin de setlist.
Chouette, un long et double rappel conclura cette très belle soirée vertigineuse et pleine d’espoir. Explosion de lumière et d’empathie sur « de corps et d’esprit », optimisme salutaire sur « Marguerite », magistrale « Comédie » et gracieux « Oiseau ». Chanson qui conclut ce concert Rennais, 10é étape du tour de France de Bertrand Belin. Gageons qu’il garde cette énergie poétique pour les 53 dates restantes. Ne le ratez pas c’est trop bien de voir son professeur en présentiel.
« Encore une nuit noire, mais ce sera le dernier jour, la dernière nuit noire, au matin les rues seront pleines, de verbes et de larmes. Pleines de muscles, pleines de prières, d’oriflammes. Allons au jardin public, main dans la main, cueillir la marguerite qui nous revient … »
Fabrice et l’Oreille Classée
Depuis mon adolescence j’écoute de la musique. Mes gouts ont évolué au gré de mon acné mais se sont très rapidement orientés vers un Rock plutôt sombre, au premier abord, mais toujours lumineux une fois qu’on a parcouru le chemin de la mélodie. Des CURE aux SMITHS en passant par NEW ORDER, cela vous donne un indice sur mon âge et de mon terrain de jeu de prédilection. Derrière cette coquetterie, se cache une vraie passion.
Depuis toujours : j’ai l’oreille curieuse et tendance à classer les choses. Un TOC ? Non ! une exigence vis-à-vis d’un art majeur et ce d’autant quand il s’exprime en Live.
Fabrice et l’oreille classée est une page musicale que j’ai créé il y a 2 ans. A travers mes chroniques je cherche à faire connaître à un maximum de personnes cette musique, qui me remplit l’esprit et me fortifie le cœur. Je ne suis pas nostalgique d’un passé révolu mais tourné vers le moment présent, avec un œil dans le rétroviseur de temps en temps, tout de même.
Le live est un moment intemporel, il révèle (ou pas) l’artiste.
Je vis l’expérience de la scène généralement après une écoute approfondie des albums du groupe. Maîtriser son sujet, en restant d’abord dans le contrôle et se laisser ensuite balayer par l’émotion individuelle puis collective. De vrais moments de communion que j’aime ressentir et retranscrire en toute humilité dans les live report. Une petite histoire, à l’écoute des spectateurs et au service de la musique. Sérieux le garçon !
Concentré, certes, mais toujours disponible pour parler musique autour d’une bonne bière entre 2 concerts.
Rejoindre la page Facebook de Fabrice et L’Oreille Classée.
Lire un autre live report de Fabrice : Laura Wild, au Barbe
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