[AUTEUR] THIERRY GIRANDON, interview (presque) exhaustive (ou pas)
Il nous semble important, alors que le mois de septembre s’apprête à laisser place à celui d’octobre, de vous livrer l’interview que nous avons mené avec Thierry Girandon.
Litzic : Bonjour Thierry. Tout d’abord comment vas-tu ?
Thierry Girandon : Généralement, à cette question, je réponds que si que je ne pendouille pas au bout d’une corde, c’est que ça va. Je pourrais rajouter qu’il n’y a pas de sang dans mes selles et que ma prostate n’atteint pas encore la taille d’un pamplemousse.
« J’ai toujours voulu être écrivain même avant d’écrire la moindre phrase. »
L : Nous avons eu l’occasion d’échanger plusieurs fois, sur plusieurs sujets, par mail ou lors de notre rencontre. Nous allons essayer de mettre un peu d’ordre dans tout cela. La première question qui me vient en tête, et que je crois ne t’avoir pas encore posé est : depuis quand écris-tu ?
Thierry Girandon : J’ai toujours voulu être écrivain même avant d’écrire la moindre phrase. Adolescent, j’écrivais des poèmes merdeux, me croyant l’être le plus malheureux de la planète. J’en voulais à la Terre entière, à Dieu, à tous les Dieux. Puis j’ai commencé à harceler de lettres d’amour mes premiers flirts. Un écrivain a dit que l’amour ce n’est pas la femme que tu aimes mais les lettres que tu lui écris. Pendant les vacances, j’écrivais d’avance les lettres que j’envoyais. J’inventais mes vacances. J’inventais mes sentiments. Je devenais écrivain. Au lycée, j’improvisais des histoires scatologiques sur des petits cahiers de 48 pages qui se terminaient toutes miraculeusement à la page 48. Pour faire rire mes camarades. Pour que les filles m’admirent. Pour provoquer mes aînés. J’écrivais comme d’autres montrent leur derrière. Je n’étais pas un écrivain, j’étais un clown. Le clown est devenu triste. Et ce moment arriva où l’on écrit dans la solitude, pour soi, et où on commence à avoir peur.
L : Tu te définis comme un lecteur compulsif, qui enchaine les lectures depuis qu’un livre a croisé ton chemin. Peux-tu m’en citer un qui t’a marqué plus durablement que les autres, et pour quelle raison ?
Thierry Girandon : Au début, je lisais n’importe quoi, les livres qui traînaient autour de moi. Ici, je voudrais rendre hommage à tous ces écrivains aujourd’hui oubliés, ces livres que l’on trouve dans les bacs des bouquinistes, à quinze centimes, dans les cabanes à livres, abandonnés, dans les greniers, poussiéreux et jaunis et cassants. Je remercie Pearl Buck, Gilbert Cesbron, A.J. Cronin, Alexandre Arnoux, Guy des Cars, Sven Hassel, etc. Leurs livres m’ont procuré mes premiers émois de lecteur. Au collège, j’étais toujours fourré au CDI. La profusion de livres me donnait le tournis. Je piochais au hasard. La bibliothécaire me faisait couvrir les livres. Je suis tombé sur « L’Adieu aux armes » d’Hemingway. On peut dire que ç’a longtemps été mon livre préféré. Me plut cette histoire d’amour pendant la guerre, douce et mélancolique. J’avais l’impression de découvrir un monde secret, celui des adultes, leur intimité, l’intimité des hommes entre eux, l’intimité entre un homme et une femme, la complicité d’un père avec son fils. Hemingway reste pour moi un immense écrivain dans sa manière simple et presque biblique de décrire la nature et dans la simplicité de ces dialogues, réalistes et profondément poétiques. Il faisait de la littérature avec des personnages fragiles, blessés. Ses héros pleuraient comme pleure Jean Gabin dans beaucoup de films des années 30. Dans mes rédactions, j’imitais sa répétition des « dit-il » dans mes dialogues et je ne comprenais pas pourquoi les profs les entouraient de rouge et marquaient « répétition » dans la marge ! J’avais hâte de passer de longues soirées à boire avec mes amis. Je voulais absolument tomber amoureux d’une fille et qu’elle meurt et me laisse seul et triste « et je rentrai à l’hôtel sous la pluie. »
« Ici, je voudrais rendre hommage à tous ces écrivains aujourd’hui oubliés, ces livres que l’on trouve dans les bacs des bouquinistes, à quinze centimes, dans les cabanes à livres, abandonnés, dans les greniers, poussiéreux et jaunis et cassants. »
L : Peux-tu également revenir sur tes auteurs fétiches afin que les lecteurs de Litzic en sache un peu plus sur toi ?
Thierry Girandon : Mes auteurs fétiches ? Ceux qu’invariablement je relis et ils sont nombreux, depuis le temps. Stendhal, le premier, dont les héroïnes furent mes premières amoureuses, toutes, même la maternelle Mme de Rénal, jusqu’à la sublime Clélia, au point d’en perdre la tête ! Quand je le relis, je m’attache plus à son génial talent de chroniqueur, et à sa prose d’une rageante fluidité. Les grands livres ne changent pas mais cruellement nous font sentir que nous, lecteurs, nous vieillissons. Il suffit de relire l’Éducation Sentimentale pour comprendre combien le présent peut nous échapper et le temps qui passe, irrémédiablement perdu. Jusqu’à ce que Proust parte à sa recherche. Je n’oublierais pas de citer Huysmans qui de Des Esseintes à Durtal décrit, de livre en livre, sa propre trajectoire, du décadent à l’oblat, de la détestation de son siècle au retrait. Et je finirai avec Faulkner : Et oui, pensa-t-il, entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin. Parce que les grands livres nous sauvent du néant.
L : Malgré cette passion pour les auteurs dits classiques, ta plume est étonnamment moderne. Parmi les auteurs contemporains, en est-ils certains qui te parlent ?
Thierry Girandon : Je lis très peu d’auteurs contemporains parce que, comme dirait Huysmans, ils aiment leur siècle et cela les juge. J’ai aussi envie de citer Kafka : Si le peuple dans sa sagesse a placé si haut le chant de Joséphine, n’était-ce pas précisément pour ne rien perdre en le perdant ? Il suffit de remplacer « le chant de Joséphine » par un nom de son choix. Moi-même, je ne suis pas un contemporain. Mes contemporains sont Thucydide, Rabelais, Honoré d’Urfé, etc. Parce que toutes les guerres sont des guerres du Péloponnèse, parce que l’os qui renferme la substantifique moelle n’a pas encore été rompu, parce que toutes les rivières sont Lignon et tous les fleuves serpentent jusqu’à Feurs où Loire les recevant et leur faisant perdre leur nom propre les emporte pour tribut à l’océan.
Le paradoxe de l’écrivain c’est que, s’il écrit, il s’isole du dehors où puiser son inspiration.
L : Quels sont tes thèmes de prédilection ? Je pense à l’échec, à la justice sociale (ou une certaine idée de celle-ci), à la solitude…
Thierry Girandon : Le paradoxe de l’écrivain c’est que, s’il écrit, il s’isole du dehors où puiser son inspiration. Ou alors de narrer son enfance béate ou calamiteuse, son père incestueux, son coming-out, ses deuils, son cancer, son régime végétarien, sa rencontre avec le bibendum Bouddha. Allah Akbar ! Gamin, j’étais seul à me toucher les couilles et je n’ai mis le doigt dans aucune de mes nombreuses cousines. Alors, à défaut de voyager autour de ma chambre, Xavier de Maistre l’a déjà fait, je m’inspire de faits divers, le mec qui décapite son voisin, par exemple. Je suis obsédé par les décapitations, et les poils pubiens. Ou alors je m’inspire des tronches que je vois de ma fenêtre qui surplombe la ville, des destins, des solitudes, des dérives inspirées par la folie ou la dépression, seules remèdes au désespoir. Les bars me sont des lieux privilégiés. J’ai commencé nombre de mes nouvelles sur le zinc et que j’ai terminées avec la gueule de bois. Mon style n’est peut-être que ça, en somme, l’alliage du zinc et du bois.
L : Ta plume est très imagée, poétique, cinématographique également (ton roman Quand fleurissaient les cow-boys en est un parfait exemple). Quelles sont tes inspirations ?
Thierry Girandon : Quant à mon style imagé, poétique, ou cinématographique, d’où me vient-il ? J’ai commencé par écrire de la poésie. Je voulais être poète et maudit de surcroît. J’en avais la dégaine et mes fringues trouées au niveau des coudes, à force de me prendre la tête entre les mains. D’ailleurs, le seul prix littéraire que j’ai obtenu, c’est lors d’un concours de poésie organisé à la fac. Concours organisé par Monsieur Crispation édition que je ne connaissais pas alors et qui depuis est devenu un ami. Il m’avoua qu’il n’avait reçu qu’un manuscrit, le mien. Ces poèmes ont disparu mais me reste le titre : Couleur de Sienne le ciel. Tout un programme. A l’origine, mon livre de cow-boys je l’ai écrit pour un copain qui voulait tourner un western dans la plaine du Forez, mon cher pays, le pays d’Astrée et de Céladon, heureux bergers, cow-boys avant l’heure. Avant d’écrire un livre, il est vrai que je relis toujours un auteur dont j’aimerais singer le style. Jean-Patrick Manchette ou Dashiell Hammett, peut-être les deux plus grands écrivains du XXème siècle, pour leur ancrage dans la réalité la plus dure de leur époque et surtout pour leur refus de toute psychologie ou alors une psychologie qui se lit dans les postures, les gestes, les actes. J’aimerais me décrire comme un écrivain behavioriste. Mais il ne suffit pas de lire un auteur pour adopter son style. Reste le plaisir de la relecture. La clé de verre est un des grands romans du XXème siècle.
« Je voulais être poète et maudit de surcroît »
L : De même que tu es un lecteur insatiable, tu es également cinéphile. Quels sont les points communs entre ses deux univers qui te parlent particulièrement ?
Thierry Girandon : Le cinéma ne peut que m’inspirer dans la mesure où c’est une grande passion. Ce que j’aime dans le cinéma, c’est que souvent c’est les genres dits mineurs qui font les grands films : le western, le film fantastique, le film noir, le mélo, etc. Les grands chefs d’œuvre du passé étaient des films populaires qui enchantaient et les enfants et les adultes. Prenons l’Albatros de Jean-Pierre Mocky. C’est une merveille de film qui parle de la France post-soixante-huitarde, un brûlot contre une certaine bourgeoisie, une histoire d’amour tragique, le tout dans un polar, un divertissement populaire. Je veux ce mélange dans mes livres !
Quand j’écris, je m’inspire toujours de lieux réels ou de visages aperçus dans la rue. J’ai donné à Dardini, le méchant de mon premier livre, le visage d’un patron de bar. Parfois, il me demande pourquoi je le regarde, ainsi. Je le revois tuer, dans ce premier livre, et mourir à la fin. Une de mes voisines ne sait pas qu’elle apparaît nue dans une nouvelle et que je décris sa soyeuse intimité. J’ai transféré le deux-pièces-cuisine d’un pote directement de sa rue dans un bouquin. Un jour, à l’usine, un mec me dit en se serrant le cou d’une main : Si ça continue comme ça, pour moi, c’est la corde ou la cagoule. J’ai trouvé cette formule géniale. Elle a donné naissance à mon deuxième roman. Alors, quand j’écris j’ai toutes ces images de visages, de lieux, de paroles, qui peuvent expliquer mon style cinématographique.
L : Ton écriture est-elle un reflet de ce que tu peux voir ou est-elle plus un reflet de ce que tu ressens ?
Thierry Girandon : Je pense que quand on pose sa plume sur le papier velouté de son cahier, avant d’écrire quoi que ce soit, c’est comme si on posait une étincelle et que le papier s’embrasait, qu’il suffisait ensuite de regarder le feu prendre, sans savoir où les flammes vont se propager, avec la jubilation d’un enfant, d’un vaurien, d’un saboteur, d’un nihiliste, d’un pervers, fasciné par le plaisir spectaculaire que donne n’importe quelle destruction. L’écriture m’a sauvé de la pyromanie. Et je ne sais pas pourquoi j’ai répondu ainsi à cette question.
« Alors que mes cendres seront dispersées à la déchetterie la plus proche, mes proches diront que je me suis enfin mis à trier… »
L : Si tu ne devais en citer qu’un ?
Thierry Girandon :
Si je ne devais citer qu’un livre : un livre que je n’ai pas encore lu, alors.
Le film :
-Combien d’hommes as-tu oubliés ?
-Et toi, de combien de femmes te souviens-tu ?
Le disque : First Meditations de John Coltrane, 1965. On devrait entendre la plage trois « Joy » lors de mon enterrement.
Œuvre d’art ou artiste : Les dessins de ma fille Lise quand elle était enfant.
L : Quelle option choisis-tu ? Ecriture au stylo, à la plume, ou au clavier ?
Thierry Girandon : Depuis toujours, j’écris sur des cahiers 21X29.7, petits carreaux, papier velouté 90g /m2, à l’aide d’un stylo plume d’écolier, toujours le même Parker, que je nourris d’encre noire. Je ne conçois aucune autre façon d’écrire et d’ailleurs c’est ainsi que j’ai appris à écrire, à l’école. Après une page d’écriture, sans me relire, mais en jetant un œil sur mes hiéroglyphes, à la façon dont les lettres sont formées, liées, dont les mots se suivent, dont les phrases s’enchaînent, je sais si c’est une page potable ou pas. Jadis, je tapais ce premier jet à la machine, ma vieille Olivetti, que j’aime. My old piano, chantait Diana Ross. Ma vieille machine que j’ai abandonnée. Mais elle est toujours là, cette miraculeuse mécanique et certainement me survivra. Alors que mes cendres seront dispersées à la déchetterie la plus proche, mes proches diront que je me suis enfin mis à trier, mais sur le tard, elle finira brocantée ou à la cave, près d’un carton renfermant les vieilles fringues de ma compagne : les jupes qu’elle portait à vingt ans, les sous-vêtements que je lui interdisais d’ôter tant que les poils ne poussaient pas à travers, les jouets de mes enfants, encore neufs, etc. Aujourd’hui, je me sers d’un computeur et puis de l’imprimante. Je ne peux que raturer du papier. Mais je m’éclaire au pétrole et me lave à l’eau froide (sauf les couilles).
L : Quelles sont tes actualités à venir ?
Thierry Girandon : J’ai bientôt cinquante balais et je commence à me dire qu’il faudrait peut-être que je trouve un métier. Je demande à mes proches s’ils n’ont pas une idée. Ils me regardent en se malaxant le menton d’une main et en hochant la tête. Ou alors, à la place de worst-sellers, écrire un best-seller.
L / Que peut-on te souhaiter de beau dans les jours/mois/années à venir ?
Thierry Girandon : Une courte agonie
Thierry Girandon
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