Suite de l’interview Le silence de Manon par son géniteur
Deuxième partie de l’interview consacrée à Benjamin Fogel.
Dans la première partie que vous pouvez retrouver ici, nous évoquions principalement ce qui a conduit Benjamin Fogel à se tourner vers l’écriture. Dans la suite de L’interview Le silence selon Manon, on revient un peu plus en détail sur différents aspects de ce roman, préquel à La transparence selon Irina. Découvrez les réponses de Benjamin Fogel sans plus attendre.
L’interview
Litzic : Depuis quand travailles-tu sur ce roman ?
Benjamin Fogel : J’ai commencé à structurer l’histoire au moment où j’ai pensé ma trilogie de la transparence, en 2016. Dès le départ, je savais que ce serait le second livre que j’écrirais.
L : Tu l’as écrit après La transparence selon Irina (sorti le même jour que Le silence selon Manon, en format poche), pourtant les intrigues sont liées. Le silence selon Manon est en quelque sorte le préquel de La transparence selon Irina. Pourquoi ce choix de « remonter » le temps ? Pas trop compliqué de prendre l’histoire dans ce sens ?
Benjamin Fogel : Après avoir lu La Transparence selon Irina, je voulais que les lecteurs et lectrices puissent découvrir comment on en était arrivé là, via le même processus qui existe entre la trilogie Star Wars originelle et la prélogie. Mais rétrospectivement, je me demande si ça ne fonctionne pas mieux en commençant par Le Silence selon Manon, et en découvrant ensuite avec, je l’espère sidération, ce qu’est devenu le monde.
« …j’essaye de mettre beaucoup de moi dans mes personnages. »
L : Ton nouveau roman nous plonge dans le monde du masculiniste et dans le mouvement demandant la fin de l’anonymat sur internet. Qu’est-ce qui t’a inspiré l’histoire ?
Benjamin Fogel : La question de l’anonymat – faut-il le préserver ou faut-il le réguler ? – fait partie de mes préoccupations d’auteur. Cette thématique sert aussi de fil conducteur entre Manon et Irina. Concernant les masculinistes, c’est un sujet qui me paraît central. Chaque jour, on voit sur Internet des hommes s’en prendre à des femmes, les insulter, essayer de les intimider. À des niveaux de gravités diverses, on sent bien qu’il se joue là quelque chose d’essentiel d’un point de vue socio-politique.
L : Tu évoques également la violence du harcèlement en ligne. Des événements réels t’ont particulièrement marqué en la matière pour que tu l’évoques si justement ?
Benjamin Fogel : Je suis sur Twitter depuis 14 ans. J’y ai passé des milliers d’heures. J’ai vu des proches subir le harcèlement, et des connaissances en être la source, par désir de vengeance, parce qu’ils ne se rendaient pas compte, pensaient faire de l’humour. Twitter a été un incubateur. À la fin des années 2000, c’était vraiment le western, une guerre permanente. Ça a donné notamment le scandale de la ligue du lol, qui n’était qu’une illustration de la réalité quotidienne du réseau. Aujourd’hui, si la situation sur Twitter s’est partiellement apaisée, les faits divers impliquant du harcèlement en ligne sont toujours légion.
L : On suit toute une batterie de personnages. Lequel a ta préférence ?
Benjamin Fogel : Ma préférence va à Kahina, qui prend ses distances avec les événements et décide de vivre sa vie dans son coin, ainsi qu’à Manon évidemment, qui s’impose dans le monde, se bat pour trouver sa place. Elle est habitée simultanément par l’ambition et un désir profond d’aider les gens à aller mieux.
L : Tu as mis de toi dans chacun d’entre eux. On ne peut que faire le lien entre Simon et toi (il subit un acouphène qui le rend fou, phénomène que tu as toi-même vécu). Est-il important pour toi de te projeter dans tes personnages pour leur donner véritablement corps ?
Benjamin Fogel : C’était déjà le cas dans La Transparence selon Irina : j’essaye de mettre beaucoup de moi dans mes personnages. Les acouphènes de Simon, la rupture d’Yvan, l’isolement de Tristan au lycée : il y a beaucoup de vécu dans le livre. Sans parler du lien avec la musique, qui occupe une place très importante dans ma vie. Cela contribue à l’équilibre du roman, à ce que j’appelle les « quatre P » de l’écriture : le Personnel, le Politique, le Philosophique et le Poétique. J’ai toujours en tête quand j’écris de ne pas oublier une de ces sphères, même s’il s’avère que je suis moins à l’aise sur la partie poétique.
« J’avais pour ambition que tous mes personnages soient humains… »
L : Aucun d’entre eux n’est manichéen. Comment rendre humain un masculiniste harceleur touchant ? (Je pense notamment à KenKiller qui finalement n’est qu’un homme blessé, certes radical, mais touchant néanmoins).
Benjamin Fogel : Je n’avais aucune intention de rendre les masculinistes touchants en écrivant, mais il me semblait essentiel de déconstruire les mécanismes qui poussent une personne à embrasser tel mouvement plutôt qu’un autre. Je ne pouvais pas faire des masculinistes des méchants sans foi ni loi. Ça aurait été passer à côté du sujet.
L : Les deux frères De Christo sont très différents. Etait-il justement important qu’ils soient frères, du même sang, pour marquer leur antagonisme ?
Benjamin Fogel : Pour moi, ce sont les deux facettes d’une même pièce. Ils ont la même éducation, le même désir d’agir sur la société, mais aussi la même difficulté à accorder leurs actes et leurs idées. Ils ont un lien très fort. Simon devient neo straight edge avant tout par souci de proximité avec son frère. Ils sont tous les deux guidés aussi par une forme d’ego et d’égoïsme. Mais au final, ils prennent des voix très différentes. Chez l’un le désir d’être au monde l’emporte sur le désir d’être à soi. Chez l’autre, c’est l’inverse.
L : En parallèle de l’hyper communicabilité via les réseaux, tu évoques aussi cette difficulté, notamment celle des frères, à communiquer simplement sur leur ressenti. Penses-tu que c’est là aussi le prix à payer des réseaux sur lequel on ne montre justement que les beaux aspects de nos personnalités, mais pas nos faces ombrageuses ?
Benjamin Fogel : Pour moi, le problème est surtout celui du masque et du mensonge. Sur les réseaux, certains présentent la meilleure facette de leur personnalité, sont en permanence dans la représentation. Mais le même phénomène existe avec les faces ombrageuses : des personnes qui utilisent les réseaux pour devenir dégueulasses, pour sortir des saloperies sans limites. Au fur et à mesure, tout cela impacte le monde réel. C’est un glissement. Peu à peu, la polarité s’inverse. Ce n’est plus le monde réel qui sert de référentiel, mais le monde virtuel.
« Les femmes ne sont responsables de rien. »
L : Tes personnages féminins sont les plus humains finalement. Je me trompe ?
Benjamin Fogel : J’avais pour ambition que tous mes personnages soient humains, plein de qualités et de défauts, mais ce sont les femmes qui sont les plus justes, qui se laissent le moins consumées par la haine.
Pourtant, c’est en partie à cause d’elle que les masculinistes sont mis à la marge…
Benjamin Fogel :Les femmes ne sont responsables de rien. Elles n’ont pas d’obligation envers les hommes. Si on doit accuser quelqu’un, c’est le modèle patriarcal qui laisse croire à des jeunes hommes que l’amour et le sexe sont un droit.
L : Nous ne savons, en tant que lecteur, quelle faction choisir (si toutefois il fallait en choisir une). Tu places le contexte, évoques des pistes mais laisses le lecteur choisir. Comment parviens-tu à mettre cela en exergue ? Qu’est-ce que cela nécessite techniquement ? As-tu eu des coups de main de l’extérieur pour valider certains passages du livre, en amoindrir certains aspects ou en renforcer d’autres ?
Benjamin Fogel : J’essaye, malgré le propos politique du livre, de ne pas donner de leçon, de laisser chaque lecteur et lectrice, libre de faire ses choix. Je m’implique le plus possible dans la personnalité de chaque personnage. Je fais ça seul, dans le cadre de la relation qui unit l’auteur et son personnage. En revanche, dans un second temps, mon éditrice, ma compagne et mon frère challengent mes idées, me poussent dans mes retranchements. Je ne saurais pas écrire un livre sans eux.
Relire le portrait subjectif de Benjamin Fogel
Relire quelques lignes de Le silence selon Manon
Relire la chronique de Le silence selon Manon
Relire la première partie de l’interview.
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