MARIE-PHILIPPE JONCHERAY Un dernier mot rien que pour vous
Notre autrice du mois nous livre un dernier mot, pour la fin de son cycle sur Litzic.
Nous la remercions chaleureusement pour sa participation, son implication. Nous avons aimé vous faire découvrir son univers que vous pouvez retrouver aux liens suivants : son interview, le chapitre 38 de son roman La mécanique du désir, la chronique de ce roman, la chronique de sa nouvelle Dans la forêt profonde. Nous souhaitons une très belle suite de carrière à Marie-Philippe, suite que nous ne manquerons pas de partager avec vous. Nous vous laissons avec ce mot de la fin qui, nous n’en doutons pas, restera gravé quelque part dans votre mémoire.
Le mot de fin me rappelle la chanson de Léo Ferré « quand c’est fini N-I ni-ni ça recommence ».
Quand quelque chose se termine, que ce soit un texte, une histoire, une aventure, une œuvre, quelque chose commence, quelque chose s’ouvre qui est un prolongement de la précédente, en continuation ou en rupture, de façon plutôt dialectique et ainsi se tissent les fils de toutes les choses que je vis et que j’écris. Je vis dans la rémanence de choses apparemment évanouies, disparues. Comme lorsque je cesse de voir un ami, continue en moi en sourdine ma conversation avec lui, qui à un moment remonte à la surface et je reprends contact avec lui. Rien ne s’arrête, rien ne disparaît, tout se transforme et moi-même je suis en métamorphose permanente, devant faire de la vie avec tout ce qui s’éteint sans cesse.
Je sais que j’ai terminé un texte lorsqu’il ne me pose plus de question, lorsque le dialogue se tarit. Je n’ai plus envie de lui. Alors j’ai l’impression de l’oublier. Et un autre texte, une autre histoire a déjà commencé à pousser ses ramifications en moi qu’il devient urgent de considérer, de traiter, pour voir si ça peut constituer un nouveau projet à mener à bien, qui sera assez consistant pour me faire vivre quelques jours, semaines, années. Et si je relis un texte oublié depuis longtemps, je me rends compte que je ne l’ai pas oublié, qu’il a sédimenté, qu’il est toujours là vivace parmi mes obsessions, que j’en ai fait autre chose.
C’est un peu comme lorsque je finis de lire un roman que j’aime. Il y a d’abord un moment de silence où je reste dans son sillage, un silence extrêmement riche, je me sens habitée par le roman et puis je l’oublie, je n’y pense plus mais il est là, il fait partie de moi pour toujours. L’œuvre continue d’agir, de tisser ses fils en moi. Ces rémanences sont impossibles à cerner, à mesurer. Mais c’est ce qui me fait me sentir humaine, petit maillon de l’humanité.
Grâce aux œuvres d’art, ces fils se tissent en moi, se tissent chez les autres et nous relient les uns aux autres et j’aime savoir que ce que j’ai écrit y contribue, participe modestement de cette humanité en continuant d’exister quelque part. C’est mystérieux, silencieux et extrêmement puissant.