MARIE-PHILIPPE JONCHERAY La mécanique du désir (extrait) première partie.

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Découvrez la première partie de l’extrait du roman de notre autrice du mois de mars

Un appartement. Un homme assis dans un fauteuil, devant une fenêtre ouverte sur une cour ceinte d’immeubles et de fenêtres. Il a une jambe immobilisée par un plâtre depuis le pied jusqu’à la hanche. Cela fait des semaines qu’il est ainsi paralysé, il n’en peut plus. C’est un homme d’action, un grand reporter aventurier habitué à courir le monde, des photos en témoignent. À présent tout ce qu’il sait faire est d’observer ses voisins par-delà la cour, à travers les fenêtres béantes. C’est l’été, la chaleur est écrasante. Nuit et jour il regarde et se repaît du spectacle de la vie des autres.

Il en parcourt les scènes tout au long de sa journée et se fait un film.

Il y a toutes sortes de personnages différents, des hommes et des femmes, seuls ou en couples, jeunes ou âgés, heureux ou malheureux, qui s’aiment ou se détestent. Ces femmes et ces hommes se cherchent, se fuient, les couples se font, se défont…

Lui vit seul mais il a une amante. La femme avec qui il ne vit pas voudrait se marier mais lui n’est pas décidé. Elle est trop parfaite, ils sont trop différents. Il regarde les autres et cherche sa voie, cherche sa femme, une femme qui lui corresponde.

C’est le matin.

Il y a d’abord la jeune femme qui se lève en dansant, son corps est svelte, élastique et pulpeux. On la voit de dos. Elle ne porte qu’une culotte et les fenêtres grandes ouvertes ne la dérangent pas, au contraire. A pas glissés, elle gagne la cuisine. Elle se penche vers le réfrigérateur en une arabesque pour attraper le beurre. Puis de dos, son soutien-gorge lui ayant échappé, elle se penche en se pliant en deux pour le ramasser, et voilà son fessier arrondi qui s’érige en statue éphémère. Elle se redresse en un balancé et la voilà en grand écart facial sur la table du petit-déjeuner, pour verser de l’eau dans la bouilloire. Elle est amusante, attirante, la joie de vivre même.

À côté, une autre jeune femme entre dans un appartement vide. Mais un homme est avec elle qui l’embrasse déjà avidement. Puis il s’arrête et fait sortir la jeune femme de l’appartement. Il repasse le seuil en portant dans ses bras la jeune mariée. Ils se sourient béatement et s’embrassent à nouveau… comme au cinéma… Puis l’homme baisse le store. Fin du spectacle. Jeff n’a plus grand chose à espérer de cette fenêtre.

Ailleurs, une femme alitée fait des reproches à son mari, un homme grand et fort, qui part en colère. Cette femme n’est que récriminations.

Au rez-de-chaussée, une femme d’âge mûr entre dans la cour. Elle aperçoit son voisin, l’homme grand et fort, le mari insulté, qui soigne ses rosiers. Elle lui fait un reproche. L’homme lui répond vertement. Vexée, elle s’éloigne. Celle-ci est trop âgée, trop revêche.

Tout en haut, dans un loft avec une grande verrière, un homme vit seul, avec son piano à queue. Musicien mélancolique.

La journée passe et le soir offre un spectacle nouveau.

La pièce est plongée dans l’obscurité. Seule la fenêtre, grande ouverte sur la chaleur de la nuit, émet une lumière pâle comme un écran en train de s’éteindre. Devant cet écran, l’homme dans son fauteuil dort. Mais devant cette fenêtre-écran, même dans son sommeil, il reste spectateur, veilleur susceptible de réagir à n’importe quel changement de rythme, de lumière, de son.

Découvrez les deuxièmes et troisièmes parties très prochainement.

Ce texte, extrait du roman La mécanique du désir, est publié avec l’aimable autorisation de Marie-Philippe Joncheray.

© Marie-Philippe Joncheray – tous droits réservés, reproduction interdite.

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