LUNA BERETTA En vie (première partie)

Je me suis levée et l’ai pris par la main pour l’entraîner dans l’obscurité. Les autres nous ont regardés mais n’ont pas fait de remarques. L’abandon de la chaleur du feu de camp était brutal. Je frissonnais et me suis blottie un peu plus contre lui. Sa main serrait ma hanche, je n’arrêtais pas de cligner des yeux comme à chaque fois que je mouille beaucoup. Il ne parlait pas. Depuis qu’on était arrivés ici, il n’avait quasiment pas sorti un mot et c’est ce qui m’avait excitée chez lui. J’ai toujours préféré penser que les gens qui n’en racontent pas grand cachent en eux de vastes mystères. C’est plus arrangeant que de se dire qu’ils sont vides. On marchait au hasard, prudemment. Il a trébuché une ou deux fois mais sa bouche ne s’est pas ouverte pour autant. J’ai reconnu l’étable, où j’étais venue me balader la veille. L’allumage automatique s’est déclenché et on a poussé la lourde porte pour entrer. Il y avait deux vaches à l’intérieur, à la robe noire et blanche ; elles n’ont pas paru se perturber de notre venue. De lourdes bottes de foin jonchaient le sol et je me suis assise sur l’une d’entre elles. La lumière était crue, fantomatique. Il s’est rapproché et mes doigts ont parcouru sa nuque. Droite, large. Il m’a lancé un regard, puis s’est retourné pour examiner les bovins. Entre ses dents il a murmuré Ce sont sûrement des Prim’Holstein ; je me demandais ce qu’il voulait et j’ai commencé à jouer avec des brins de paille. Je n’étais pas pressée. J’attendais quelque chose de lui, c’était certain, peut-être mon salut, quelque chose qui me surprendrait un peu, me ramènerait à la vie. Sans le savoir, il avait entre les mains mon existence toute entière, à savoir si oui ou non j’allais me foutre en l’air pour mes vingt cinq ans, treize jours plus tard. J’étais curieuse ; plus : il me semble que j’espérais secrètement. Son visage s’est crispé, comme dévoré par des tics, au niveau de la bouche et des yeux. Il serrait ses poings et mes yeux se sont posés sur ses mollets. Ils étaient rouge sang, des traînées de boutons lui bourrelaient la peau. Je n’ai rien dit et il s’est levé, je l’ai suivi dans le même mouvement, jusqu’au box où les deux vaches ruminaient tranquillement. Je me suis adossée à l’une d’elles et l’ai attiré vers moi. Son baiser était froid. Il s’est collé à moi et je ne sentais pas sa queue gonflée. Sa main gauche me pétrissait le cul. Ses yeux étaient fermés, de sa bouche sortaient de faibles gémissements et sa main droite fouillait son blouson. J’ai pensé qu’il cherchait une capote et ça m’a attristée car je me foutais bien qu’il me refile une maladie.

Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Luna Beretta.

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