LUNA BERETTA Càllate y come
Reflet étincelant, bord d’assiette qui brille ; l’éclat transperce ma rétine et l’air soudain se met à vibrer – trop fort. Les yeux se remplissent, submergés par la peur. Suantes, sous la table mes paumes grattent. Canines ferrées dans la joue, émiettent la chair humide, couvrir l’angoisse par la souffrance, le goût du sang se répand, reconnaissance de soi, les dents se drapent de rouge. Comprimer l’œsophage, ne rien laisser passer – RIEN.
Deuxième rafale hurlante ; derrière moi l’ombre bondit. Ne me laisse pas le temps d’ouvrir la bouche pour objecter, ma nuque est pliée sous sa force, angle cassé qui me fauche, me fait basculer, face précipitée dans l’abjecte bouillie qui se faufile immédiatement dans mes narines bouche pour accéder au cerveau, me pulvériser, réduire en charpie, chyme acide inondant mes muscles pour les immobiliser paralyser, rien que la toucher est dangereux – RIEN QUE LA TOUCHER. Tout mon visage barbouillé d’elle, mes pores-absorption, s’infiltre sous la peau, et déjà les vaisseaux saturent de sa graisse et déjà affaiblit mes cellules, fait gonfler le ventre, et les fesses et les jambes, progression du volume, j’enfle un peu plus, me fais supplanter remplacer par la pitance, rapt d’anatomie.
Tête bloquée, champ de vision plafond – immobilisation totale – l’ombre est devenue kraken. Ma mâchoire écartelée, disloquée par ses doigts, qui s’allongent, se multiplient, s’exercent sur tout ce qui l’entoure pour le rendre broyé comestible et me le faire absorber, brandit une louche monstrueuse au-dessus de ma tête, de grosses gouttes dégoulinent sur mes yeux sur mes joues, réceptacle renversé me brûle le pharynx, estomac rongé boucané, je manque de m’étouffer quand elle m’en incorpore une autre. Corps-entonnoir qui me trahit, qui accepte d’avaler pour ne pas crever. Attaque généralisée, plus rien ne me répond – PLUS RIEN. Dixième louche peut-être, sur le point d’éclater ouragan mille morceaux, je ne veux pas ce poids – lourdeur inhumaine : la chaise se fissure sous mon cul qui dégouline jusqu’au sol, se répand, flaque adipeuse, propagation margarine et je coule de partout, un big-bang de lard, mon corps s’enfuit de moi, explosion déchirement mais l’ombre continue comme si elle ne voyait rien et m’en remet une louche, ambition vorace qui m’asphyxie m’étouffe, heureusement je me vide, m’expulse ; je mourrai étripée décousue, mais pas le ventre plein.
Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Luna Beretta.
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