FLORENT LUCÉA « La Cérémonie » quatrième partie (fin)
Retrouvez la première partie de La Cérémonie ICI, la deuxième ICI et la troisième ICI
Découvrez la quatrième partie et fin de la nouvelle La cérémonie, avec une fin couperet telle que nous les aimons.
Elle se délecte d’un sandwich à haute source de protéines, conforme à la législation draconienne de la Francemagne. Elle s’octroie un petit tour dans le bureau de son paternel pour l’embrasser, vérifier si le tailleur fait du bon travail sur le costume neuf orné de miroirs. Ils améliorent ensemble son discours. Il en a rédigé plusieurs, mais doit se renouveler chaque année, et ce n’est pas chose aisée.
Il se désaltère avec un thé au citron et au miel. Il a en effet mal à la gorge. Sa progéniture n’est pas inquiète, et le laisse entre les mains expertes de l’artiste du ciseau, et du tissu.
Elle passe une heure au salon esthétique de l’étage deux cent vingt pour une manucure des plus poussées, et une épilation laser, elle demande un carré plongeant avec incrustation de diamants à sa coiffeuse, elle récupère sa nouvelle robe chez le concierge de l’immeuble. La créatrice de mode la plus en vogue a fait livrer cet écrin voilà moins d’une heure.
Elle se prépare dans son bureau modulable, adaptable en salle de bain, en chambre, en discothèque avec boule à facettes qui descend du plafond.
Une fois pomponnée, une des nacelles téléguidées, amarrées sur le toit de la tour Archange, l’emmène sur la Place du Souvenir, dont le sol miroitant accueille des millions d’aficionados de la fête qui attendent avec impatience le début de la cérémonie. Ils portent tous des vêtements scintillants, comme c’est la tradition dans leur communauté.
Les invités prestigieux se bousculent pour avoir un point de vue parfait dans la loge présidentielle.
Le véhicule de l’assistante, fin et léger, la transporte sur l’estrade centrale. Le jeu des spots sur sa robe en tissu-miroir est de toute beauté. Elle est agrémentée de zones transparentes qui laissent deviner ses épaules, son ventre et ses genoux, et elle se termine par une longue traîne de papillons lumineux, resplendissant sous la lueur de la lune.
Quand elle s’avance près du microphone, les lépidoptères s’envolent en clignotant. Ce prodige provoque l’exultation du public. Des admirateurs crient même son prénom, comme si elle était une célébrité de la chanson.
Son père la rejoint. Il secoue la tête. Il est visiblement ennuyé. Elle regarde partout pour déterminer le souci.
Les projecteurs fonctionnent. Les feux d’artifice explosent dans toutes les directions dans un déluge de couleurs et de formes diverses. Les spectateurs sont en sécurité, aucun mouvement de panique. Le service d’ordre veille à leur confort et leur fournit les boissons et la restauration afin d’éviter les malaises.
Le Patriarche tend à sa fille le papier sur lequel s’affichent des informations en temps réel, susceptibles de modifier la teneur de son discours. Alizée le dévisage sans comprendre. Il lui montre une note en bas de la page qui dit : « je suis aphone, interviens à ma place, s’il te plaît ». Elle est un peu déstabilisée.
Après quelques minutes de flottement, Alizée prend son courage à deux mains.
— Voilà près de neuf siècles que l’Homme a embrassé son destin à l’instant du Jour Dernier, instant fatidique, où le monde, tel que nous le connaissions, a cessé d’exister. Des ruines nauséabondes a émergé un nouvel ordre. Tous les êtres naissent désormais égaux et libres, peu importe leur couleur, leur religion, leur orientation sexuelle, ou leur opinion politique. C’était l’aspiration des philosophes d’autrefois. Nous tentons d’éviter de réitérer les erreurs du passé. Nous célébrons les personnes décédées durant ce funeste moment qui a vu des gens craintifs à l’égard d’une espèce différente sans intention belliqueuse, ont condamné la Terre en lançant toutes leurs bombes nucléaires en même temps. Heureusement, les visiteurs galactiques réussirent à protéger une partie de leur peuple. Honorons nos ancêtres en reprenant en chœur l’hymne vaillant, et n’oublions jamais que l’ego, l’intolérance, et l’ignorance sont les pires fléaux du cosmos.
Des larmes cristallines roulent sur les joues de l’oratrice. Le silence mortifère au cours de sa courte allocution est rompu par une clameur bienveillante de l’audience.
Un orchestre symphonique attend le signal de son chef pour jouer une musique fantastique, et irréelle. Les notes emplissent l’espace, et se mêlent avec harmonie au chant entonné par chaque citoyen.
Les convives lâchent des lampions luminescents qui montent vers le ciel parsemé d’étoiles. Ces lucioles magnifiques se heurteront au sommet du dôme, et seront collectées par des Aérobots afin de ne pas retomber sur les habitants.
Cet hommage aux victimes du Jour Dernier émeut le Patriarche, qui pleure, comme à chaque fois. Sa fille le prend par le bras, et ils rejoignent la mélopée étreignant les cœurs des pères, des mères, des époux, des femmes, des enfants, des séniors, réunis dans un même élan de communion.
À la fin de cette démonstration vocale, toutes les créatures rassemblées sur la place applaudissent de leurs quatre mains. Leur peau écailleuse capte les rayons lunaires pour s’en nourrir.
Ils auraient bien aimé connaître les humains.
Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Florent Lucéa.
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