ERWAN BARGAIN / Parolier chanteur, Le verbe du début
1er album d’E.Sens (sorti en 2009, autoproduction), Le verbe du début.
Notre auteur du mois Erwan Bargain est un homme inspiré. Complet pourrions-nous même dire. Si nous connaissons sa plume d’auteur jeunesse, d’auteur tout court d’ailleurs, nous découvrons également celle de parolier/chanteur. Celle-ci se traduit notamment au sein d’e.Sens, au travers de deux albums dont Le verbe du début est le premier, Derrière la musique de l’album, osant le métissage jazz/trip-ho/electro, Erwan Bargain pose des textes poétiques donnant au tout des lettres de noblesses.
Loin d’être absconse, la poésie d’Erwan Bargain s’avère explicite, évite l’écueil du faux intello torturé (et incompréhensible, et bien souvent très chiant) pour nous proposer des textes clairs, taillés dans la veine d’un intime universel, et ne débordant jamais des cadres fixés. Ici, tout reste dans un cercle d’évolution, tout sauf nombriliste, qui parle d’évolution et de sens (celui de l’existence). Ainsi, si nous voyions dans le nom du groupe, au premier abord, le « e » d’électronique et le « sens » de sensualité, nous y voyons aussi le « e » d’évolution, d’existence, et le « sens » de celui que nous propose la vie. Double connotation donc, pour un disque n’ayant rien à envier à des groupes bien connus (on pense notamment à Massive attack).
Jazz.
La musique, ici, possède des charmes totalement vénéneux, le tout enrobé dans une production sans effets ostentatoires, clinquants, ou, pire, pédants. On approche en effet d’une certaine esthétique jazz, avec piano, flûte, basse, batterie, mais également avec une guitare qui parfois sort les grosses distorsions. Nous y retrouvons aussi du saxo, des percussions, bref, l’attirail jazz, couplé à ceux de la musique électronique.
Et puis il y a la voix, celle d’Erwan Bargain donc, nous rappelant par instants celle d’Oxmo Puccino, avec ses graves expressifs, avec certaines inflexions sensiblement tranchantes, ou plus exactement claquantes, comme un coup de fouet, pour marquer les propos et les esprits. Il faut préciser que si la musique est jazz, le chant est lui parlé. Rien à voir avec du chant jazz, souvent lisse et hyper esthétisé, mais justement, c’est ce qui rend le disque absolument parfait et moderne.
Les thèmes musicaux sont inspirés, évoquant un jazz d’apparence classique. Mais très vite, de très légers effets électros se font entendre, réduisant l’aspect classique à une relique du passé. Nous sommes en 2009, le jazz à évolué, et cela s’entend. Chaque composition dégage un groove, parfois sombre, mais également des mélodies que nous avons l’impression d’avoir déjà entendu (un aspect émanant de l’inconscient collectif, probablement) qui nous surprend néanmoins à chaque écoute. Les arrangements sont fins, aucune grosse ficelle n’est tirée, c’est du beau travail.
Les textes.
Ce n’est pas la même chose d’écrire de la poésie et de la poser sur de la musique. Il faut y mettre de la vie, du sens. Si Erwan Bargain possédait des textes en réserve, il a su piocher parmi ceux-ci pour que Le verbe du début se tienne plus que convenablement. En effet, la cohérence est totale sur les 7 titres (pour presque 40 minutes), délivre un parfum de vécu, de rêve, de critique de la société et des évolutions de l’homme dans celle-ci. Si nous sommes dans un environnement littéraire contemporain, couplé à la musique, nous avons l’impression d’écouter un disque servant de bande originale à un film de science-fiction, tendance dystopie.
Parce que le contraste entre poésie et jazz/trip-hop s’avère générateur de sensations qui se décuplent de façon presque exponentielle. Le titre L’enfant en étant un parfait exemple avec sa ligne évolutive, relativement nerveuse, avec toujours cette part « traditionnelle » jazz accentuée par l’énergie très « trip-hopesque » de l’ensemble. Très rock aussi. Parce que finalement, les thèmes le sont, toujours, puisque Erwan Bargain évite les poncifs d’une pensée normative.
Liberté, encore, toujours. Celle-ci s’avère aussi totalement en phase avec celle de ses acolytes musiciens*. Passages arabisants, percus africaines, sensualité latine, légers aspects froids « bristolien », l’ensemble délivre un feu passionné et passionnant. Et surtout ne lasse pas, jamais.
Être (le verbe du début).
Ainsi, ce disque s’avère autant un voyage musical que lexical (ou littéraire). Ceux qui écrivent des romans savent qu’écrire des chansons est un exercice complétement différent. Ceux qui écrivent des chansons savent qu’écrire un roman est quelque chose de totalement autre. Les uns comme les autres se sentent souvent incapables de franchir les lignes. Ici, Erwan Bargain réussi la prouesse/promesse de réussir à produire une poésie musicale, ayant du sens mais également une rythmique se calant à merveille sur les instrumentations des musiciens.
L’alchimie est donc totale, dégage des ambiances crépusculaires, urbaines, mais également oniriques. Preuve que l’on peut exceller dans le verbe et dans le son. Pari réussi, haut la main.
*Christophe Couchouron (batterie et machines), Florent Jacques (Basse), Steven Prigent (clavier et Rhodes), Lilan Moureau (flûte, guitare et machines), Nicolas Morvan (saxophones et guitare) et Stéphane Galès (à la sonorisation).
Relire la chroniques de ses trois ouvrages jeunesses
Chronique de Zombies, des visages des figures.
Relire les chroniques de Lettres à rêver et Dans de beaux draps
Redécouvrir la chronique d’Old School.