ALYS H.WOOD Le ruban rose deuxième partie et fin

Retrouvez la première partie du texte Le ruban rose ICI.

11h20 :

Il écarte violemment les cuisses de sa victime avant de brutalement s’introduire. Elle réagit faiblement, encore sous l’effet de l’anesthésiant. Il la tient avec force, son désir décuplé par l’affolement qu’il devine graduel en elle. Il ne dit pas un mot. Elle gémit de sons inaudibles mais que Goulven sait opposants. Il sabreuve, avec une délectation sadique, de la panique, de la terreur, des moues contractées d’horreur qu’il lit, toujours plus satire et pervers, sur le beau visage de sa martyre. Il oscille, sentant la jouissance poindre jusqu’à saillir d’un jet, se retenant d’un cri, et se laissant sursauter des spasmes interdits, se retirant brusquement, son gland trempé, suintant d’un antre chaud et doux. À aucun moment, il ne relâche sa chose.

11h30 :

La victime, plus éveillée, tente de le frapper de ses pieds mais il se jette avec adresse sur le côté écrasant de son lourd derrière la casquette. Il fait tomber ses lunettes qu’il remet précipitamment et empoigne aussitôt les cheveux courts et blonds, faisant glisser le bandeau fuchsia sur le front.

11h31 :

Il frappe avec précision, d’un coup sec et juste, le crâne de la jeune femme contre la même

pierre que celle utilisée pour briser le téléphone. Il écoute, satisfait, le «floc» de la boîte crânienne contre le caillou. Du sang frais coule rapidement sur les aspérités du minéral, colorant ses sillons et ses creux, relayant d’étranges dessins que Goulven découvre, tel un enfant, émerveillé. La victime ne bouge plus. Son teint est pâle. Ses cheveux sont zébrés de rouge, le bandeau est imprégné du liquide visqueux.

11h35 :

Goulven déplace le corps inanimé dans la partie la plus sombre, au plus profond de l’interstice rocheux, avec une délicatesse inattendue. Il s’assoit et détache, avec application, les poignets, dénoue le bâillon, libère les paupières fermées encore teintées d’un fard léger. Il prend la main de Camille, encore tiède, dans sa main gantée et souillée. Il reste ainsi.

15h15 :

Goulven marche en se dandinant, tête baissée. En relevant sa bicyclette, il remarque le sol piétiné du chemin. Il sourit et chantonne alors l’ancien couplet : « Vraiment, vraiment, vraiment/ Le travail est nécessaire/ Mais s’il faut rester/ Des semaines sans rien faire/ Eh bien…On s’y fait»

15h17 :

Il dévisse avec allégresse le bouchon de sa gourde et mouille sa bouche d’une pleine gorgée du liquide alcoolisé. Enhardi, il garde la bouteille au-dessus de son visage jusqu’à la dernière goutte échappée.

15h20 :

Goulven se remet en selle et dépasse, sur un chemin parallèle, des coureurs retardataires. Il n’a plus rien à boire, il faut qu’il rentre.

15h40 :

Les derniers joggeurs franchissent la ligne d’arrivée et prennent le temps, reprenant leur souffle, de se mêler aux autres participants, invités à se restaurer d’une collation offerte par un traiteur partenaire. Les uns et les autres s’attardent, échangent leurs impressions, retournent à leurs véhicules, partent sans prêter attention à lunique voiture maintenant visible sur le parking.

20h00 :

Comme chaque soir depuis qu’il s’en souvient, sa mère, sans mot dire, lui servait une louche de soupe. Et comme chaque soir depuis qu’il avait compris qu’elle ne disait rien mais qu’elle était profondément irritée de ce comportement, il aspirait intentionnellement de manière bruyante chaque cuillerée.

20h25 :

Comme chaque soir après le dîner, sa mère posait un disque sur leur vieux pick-up. En silence, habitué au rite journalier de cet instant, Goulven se lève. Il actionne le bras du tourne-disque sur un vinyle fatigué. Quand le son s’échappe, grésillant, Goulven sort de la maison.

20h30 :

C’est l’heure.

Goulven s’assoit en tailleur, indifférent à l’herbe humide, devant le camélia qu’il a planté au fond du jardin. Il chantonne avec une voix rocailleuse aux intonations désaccordées, le même refrain : « Vraiment, vraiment, vraiment/ Le travail est nécessaire/ Mais s’il faut rester/ Des semaines sans rien faire/ Eh bien…On s’y fait»

Goulven s’y est fait. Il a attendu des années sans rien faire, mais le travail, pour lui, était nécessaire, voire vital.

20h40 :

Il entend sa mère qui lui reproche de son regard morbide, noyé d’un effroi glacé, de lui avoir coupé la respiration avec ses grosses paluches poilues serrées autour de son cou. Il jouit de manière malsaine au souvenir de l’épouvante du visage haï.

20h43 :

Goulven se redresse après avoir tapoté la terre autour du camélia, symbole rattaché cyniquement à sa mère : il avait gardé en mémoire son unique préférence, un film qu’il avait trouvé gnangnan : «La Dame aux Camélias». Alors, à la jardinerie, qui faisait une opération «coup de poing» et distribuait des tee-shirts à leurs clients ce jour-là, il avait acheté un pied de camélia puis l’avait planté, en guise de croix du diable, à cet endroit même, dorénavant devenu le lit de sa mère.

21h00 :

Goulven se couche.

22 octobre. 08H30:

Dimitri, cinq ans, perd l’équilibre et s’étale de tout son long dans le chemin caillouteux où il

se promène avec son père. Il se retrouve nez à nez avec un bout de ruban rose semi-enterré et en oublie de pleurer. Il se relève vaillamment, aidé par son père, tout en serrant fortement dans sa menotte le bout de tissu rose qu’il n’a pas manqué de récupérer. Son père le remarque mais ne dit rien.

09h00 :

Camille reprend vaguement conscience, elle a très mal. Elle remue difficilement, courbaturée. Elle ressent des douleurs diffuses dans tout son corps. Elle touche ses cheveux collés de sang séché. Elle distingue, les yeux blessés, la vue floutée, le jour qui bouscule l’entrée de l’endroit où elle est allongée. Elle ne sait pas où elle est, qui elle est, pourquoi elle est dans un tel lieu. Elle ne se rappelle de rien. Elle pleure.

09h30 :

Après plusieurs tentatives, infructueuses, Camille tente un ultime effort. Elle souffre terriblement de la tête, ne sent pas ses jambes. Elle a très soif, très faim. Elle est souillée de ses excréments. Une lame violente lui traverse le crâne, elle s’évanouit, de nouveau drapée d’un manteau de silence.

17h00 :

Le père de Dimitri allume la radio au moment où se relaie un appel à témoins concernant la disparition d’une jeune femme, la veille, lors d’une course associative, quand son fils surgit inopinément, le ruban rose noué sur son poignet.

17h30 :

Alors qu’il s’amuse à grimper aux arbres avec des copains, un jeune adolescent, à mi-parcours du tronc qu’il gravit, distingue au loin, dans un espace rocheux, un objet rouge. Sa curiosité aiguisée, il redescend illico, faisant part à ses camarades de sa découverte.

17h32 :

En leur compagnie, il se rend sur le lieu présumé. Sur le chemin, survoltés, les jeunes garçons parlent, extrapolent ensemble sur la supposée nature de l’objet, débridant leur imagination : « Et si c’était l’emplacement d’un trésor?». Ils rient.

17h33 :

Arrivés, tandis que ses copains ramassent avec déception le fameux trésor, une casquette au rouge fané, un des garçons s’enfonce dans l’interstice rocheux et revient aussitôt, affolé, bégayant, finissant par désigner d’un doigt tremblant sa macabre trouvaille. Un des jeunes garçons sort son portable pour appeler les autorités. Un autre l’en empêche :

«Tu t’imagines, dit-il soudain, vrillant sans le vouloir le poignet de son camarade. Et si on nous accusait ? Un silence pesant tombe sur eux, rompu par l’un des leurs qui souligne :

– Après tout, nous ne sommes pas obligés de dire que nous l’avons trouvée, nous pouvons très bien mentir et faire comme si rien n’était !

– Parle pour toi ! s’insurge un autre. Il faut signaler sa présence! Sinon nous serons complices du salaud qui a fait ça !

– Ta gueule ! s’énerve l’un de ses camarades. Il faut qu’on cogite.

S’ensuit un échange houleux, empli d’émotions contradictoires et trituré d’avis partagés, chacun couvrant la voix de l’autre.

17h35 :

Le groupe de jeunes quitte l’endroit et se sépare. Chacun porte en lui le mal-être, l’esprit tourmenté, la peur installée comme un ver dans le fruit.

17h40 :

Une fois seul, le jeune ayant découvert la jeune femme, sa main devant la bouche, appelle en communication masquée les autorités. Frissonnant malgré lui, il donne, d’une voix cassée et maladroitement déguisée, l’emplacement du corps. Il raccroche brutalement, le palpitant à la limite de l’apoplexie. Il se met à courir, convaincu d’avoir le diable derrière lui.

18h30 :

L’appel ayant été pris en considération, les autorités trouvent Camille.

20h00 :

Une louche de soupe vient remplir l’assiette de Goulven, il aspire une cuillerée avec grand bruit, le regard noirci de défi.

20h25 :

Il se lève et pose le bras du pick-up sur le vieux vinyle. La voix de Bourvil crachote sa fichue tendresse. Goulven, impatient, laissant le chanteur dans le vide d’un public, sort de la maison.

20h30 :

C’est l’heure. Goulven s’assoit en tailleur face au camélia, indifférent à l’herbe humide. Il reste silencieux, de nouveau sous la salve de reproches formulés par la voix gutturale de sa mère.

20h45 :

Il se tient la tête, la résonnance des mots frappant comme des poignards. Il se met debout brusquement et donne un grand coup de pied dans l’arbuste.

21h00 :

Goulven se couche.

02 novembre. 08H00 :

Aujourd’hui, c’est la fête des morts. Sans un regard vers le camélia, Goulven traverse le jardin jusqu’à l’appentis où il range sa bicyclette. Il s’arrête tandis qu’il tend une main vers la targette et fixe, dénué d’émotion, le ruban rose enroulé autour du bouton. Dans sa tête, une voix : « Vraiment, vraiment, vraiment/ Le travail est nécessaire/ Mais s’il faut rester/ Des semaines sans rien faire/ Eh bien…On s’y fait» (1)

(1) La tendresse, Bourvil, 1963.

Ce texte est publié avec l’aimable autorisation d’ Alys H. Wood.

© Alys H.Wood – tous droits réservés, reproduction interdite.

Comments (2)

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    Cirozat Patrick

    Super. Je suis surpris. Agréablement

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      admin6895

      En effet, cette auteure est surprenante et nous sa plume nous confond souvent.

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