EP VRAC 3, Luufa, David Chalmin, Basile3 & Deena Abdelwahed
Sélection de 3 mini-albums étonnants.
Cet EP en vrac 3 met en présence trois groupes ou artistes ayant des univers très forts, très différents, mais tous très stimulants. On vous parle donc de Luufa et de son univers électro déjanté, de David Chalmin et sa pop raffinée, et de Basile3 et Deena Abdelwahed et leurs expérimentations planantes et dansantes.
LUUFA, Honey ( 5 titres, Egoist records)
Il est rare d’être surpris à ce point par un univers qui paraît à ce point éloigné de nos goûts habituels. Pourtant, avec une bonne dose d’énergie déjantée (ce que l’on croit en visionnant le clip de Honey, mais qui s’avère un leurre), Luufa nous rallie à la cause de son électro, avec de la pop dedans. Mais ce qui nous surprend le plus, c’est la bonne d’inventivité qu’il glisse dans ce disque très riche. Si l’on met un peu à part Boolala, seul titre en français, et peut-être le titre le plus faible de l’EP, ce Honey s’avère un petit bijou décalé.
Décalé par ses sonorités pour commencer. Elles se rapprochent fortement des codes techno, proposent des tessitures savamment étudiées, dégageant un côté organique presque viscéral, elles n’en demeurent pas moins « pop ». Si les voix sont trafiquées, on échappe au piège ultra-tendance de l’autothune déversé bêtement, et sans mesure. Dans Honey, tout est dosé avec soin, qu’il s’agisse d’énergie pure, d’instrumentaux inspirés ou d’un fond moins léger qu’il y paraît (bon, si on excepte l’ode au boule de Luufa).
Légère amertume.
Malgré le côté dansant, que l’on pourrait même qualifier de festif, nous ressentons malgré tout une pointe d’amertume, de légère mélancolie, de celle de celui qui se pose des questions là où il devrait au contraire profiter pleinement de ce que la vie lui offre. Car, derrière ce qui saute aux oreilles se cache un sens plus profond que prévu.
En effet, dans cet EP foisonnant, Luufa évoque l’amour, ardent, sous ces multiples formes. Il y évoque « les jeux, les confusions, en passant par l’affirmation de soi, l’être soi coûte que coûte dans le tourbillon des sentiments » . En optant pour une musique libératoire, exutoire, pour contrebalancer cette réflexion pour le moins importante (car qui n’a jamais été profondément chamboulé par l’amour ?), Luufa amène du fun dans l’existentiel, sans choisir un angle maintes fois ressassé.
Excellent surprise, cet EP au goût de miel ne manque ni de piquant, ni de glucose. Bref, un excellent disque pour un début d’été qui, on le sait, déclenche pas mal de relations amoureuses, mêmes éphémères.
DAVID CHALMIN, Innocence (5 titres, Yotanka)
Se laisser envahir par un sentiment dans lequel la beauté irradie. Pas par la force d’une explosion nucléaire, mais par celle d’une intimité dévoilée, mature. Innocence porte drôlement son nom, à la vérité. Car, l’auteur de ce délicat opus n’est pas un nouveau venu dans l’univers de la musique. En effet, producteur, arrangeur, ingénieur du son, il est également compositeur de musique contemporaine ou encore chercheur en electronica (en tout cas, son album La terre invisible, paru en 2019, creusait la veine entêtante et dense de la musique électronique).
C’est donc plus ou moins une surprise de le voir proposer Innocence, EP 5 titres entre folk, pop et arrangements électro, Ep d’une infinie douceur, mais porteur aussi d’une mélancolie pudique. Car, nous sentons, à travers les mélodies, une fragilité, une âme sensible, qui donne beaucoup et qui, peut-être, a un jour été déçu de ne par recevoir autant en retour. Pour nous, cette musique s’approche celle d’un groupe comme Radiohead (la voix parfois fait allusion à celle d’un Thom Yorke), de celle de Syd Matters par son côté doux, aérien et mélodique/mélancolique/empathique.
Nous y retrouvons également cet élément mythique qui auréole aujourd’hui Nick Drake, celui d’une sensibilité mise à mal par la vie, mais d’une incroyable force, celle qui permet aux autres d’effectuer, contre toute attente, un pas de plus face à l’adversité.
Voyage au long cours.
Dès les premiers instants, nous nous laissons happer par la musique de David Chalmin. L’entrée en matière se fait presque sur la pointe des pieds, mais délivre très vite des notes accueillantes, chaudes, et des mélodies aisément assimilables. Petit à petit, elle nous enrobe, cette musique, elle nous berce en son sein, comme la voix qui en amplifie les nuances. Nous lâchons progressivement pied, nous nous laissons envahir par un sentiment rassurant, celui de cet inconnu qui semble parler directement à notre âme.
Peu à peu, nous nous dépouillons des références qui sont les nôtres, comme David Chalmin a réussi à le faire lui-même. En effet, souvent les auteurs compositeurs gardent en un coin de leur tête des guides spirituels artistiques, or il apparaît qu’ici, ils ont totalement disparu des pensées de l’artiste. Ainsi, Innocence porte bien son nom, celui de celle que l’on retrouve à un moment donné, quand on a décidé de franchir un pas supplémentaire et de nous exposer. Cet Ep s’avère donc une exploration intime qui s’affranchit des codes, d’un espace temps, d’une enveloppe charnelle, pour nous mener au plus près du cœur de toutes choses.
BASILE3 et DEENA ABDELWAHED, Free radicals (3 titre, InFiné)
Univers électronique, mais à mille lieues de celui de Luufa. En effet, il est ici instrumental à 100 % et dévoile des expérimentations plus minimalistes. La musique des 2 artistes se veut un vivier infernal d’idées, menées de main de maître à leur terme et combinant plaisir de la danse avec celui d’une écoute plus posée. Les mélodies existent dans cet enchevêtrement labyrinthique de tessitures, de textures également, des percussions, de synthétiseurs, d’arrangements créatifs et un peu fous aussi, il faut l’admettre. Mais justement, cette folie contenue dans des compositions qui évitent toujours la redite s’avère pertinente, comme elle peut devenir très vite obsédante.
Il s’avère par exemple que le titre Niacinamide se rapproche étrangement du sentiment suscité par l’ambient, à savoir un état de lâcher prise total, hypnotique, mais qui parvient à activer des zones de notre cerveau habituellement délaissées par les musiques actuelles. Stimulante, la musique de Basile3 et Deena Abdelwahed s’avère contre toute attente planante, tripante, deux mots qui d’ordinaire s’accordent de façon aléatoire avec intelligente. Ici, ils se marient avec précision et force et proposent un EP incroyablement vivant.
La vie en mouvement
Les 2 producteurs s’en donnent à cœur joie pour nous faire perdre nos repères sensoriels, maniant le chaud et le froid avec dextérité, complexifiant leurs rythmiques pour au final approcher un rendu presque tribal, comme si, paradoxalement, ils simplifiaient la complexité. La boucle se boucle d’elle-même, mais en n’ayant jamais cessé d’évoluer, jusqu’à son terme. Et comme leur approche méthodique est sans faille, elle s’avère presque médicale et clinique. Pourtant, elle ne l’est assurément pas, car elle est sanguine, elle est pulsation, battement de cœur, vent dans les cheveux, sentiment de liberté. Comme si les antagonismes, au lieu de se repousser, fusionnaient et nous embarquaient au plus proche d’une expression sans cesse réinventer.
Free Radicals s’avère donc d’une incroyable richesse, à la fois mélodique et rythmique, qui n’oublie jamais d’être accessible, même si ces contours peuvent paraître un peu escarpés au néophyte. Mais au bout d’une trentaine de secondes, ce même néophyte se trouvera convaincu. Un peu comme nous l’avons été.
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