Madcalais, cynique et lucide
Deuxième album de Baasta ! Déjà disponible
C’est avec un plaisir non feint que nous retrouvons le duo Bassta ! Avec son nouvel album Madcalais. Une nouvelle fois, François-Xavier et Yoann passent à la loupe notre époque avec leur punk electro rock. Cynique et lucide, le disque nous met une bonne mandale en travers de la tronche, tout en sachant rester élégant (même si c’est le dernier).
« Désolé j’ai pas de monnaie/tu devrais faire la manche en sans contact/ce s’rait un peu plus start-up nation tu crois pas ? » Cette phrase, tirée de Tout va bien merci, résume presque à elle seule tout ce qui cloche dans notre pays et notre époque actuelle. Monde d’apparences et de frivolité, où les enfants et les parents forment une « super team », Bassta ! le décrit avec une langue simple, fluide et habile.
Ici, rien n’est dans le pompeux ou dans le « m’as-tu vu », mais évoque un constat tout aussi simple et sans appel. L’élégance s’éteint, la décence et l’humanité tout autant, mais ce n’est pas si grave puisque l’on montre de nous une image augmentée, certes fausse, mais qui nous fait nous sentir plus beaux que nous ne le sommes en réalité.
A boulets incandescents.
Si l’écriture est simple, elle n’en est pas moins précise, ardente et utilisée avec précaution. On pourrait dire que sous ses allures keupons, Baasta ! est en réalité un groupe philosophe (et nous sommes sérieux en le disant). Si les cadences frénétiques de la rythmique et les déferlantes de guitares/claviers/machines peuvent s’avérer nerveuses et revêches, elles démontrent aussi une mélancolie à fleur de peau, qui ressort à merveille dès que les tempos perdent (momentanément) un peu en mordant.
Les mélodies resplendissent alors en plein jour. Oui, on peut aimer mettre des coups de boule et aimer une accroche catchy qui montre paradoxalement un caractère plus intimiste. Car finalement, c’est bien de cela dont il est question, exprimer un dégout, une vision du monde à travers les sentiments qui nous habitent. Le duo, mieux que quiconque, démontre que les deux sont liés et qu’ils coexistent de façon lumineuse, même dans un monde de ténèbres.
Dans Fiction vérité, les deux musiciens détournent les fakes news pour mieux les démonter « la lune est plate et on n’a jamais marché sur la terre ». Si l’on peut y lire un certain simplisme, l’effet obtenu s’avère pourtant dévastateur car il prouve par l’inverse la débilité de tous les conspirationnistes en herbe qui veulent se faire mousser en trouvant la pire connerie à dire. Lucide, toujours, donc.
Coup de poing.
Avec ses injonctions à une certaine forme de perfection, Tu veux le meilleur reflète lui aussi le mal de notre époque, souvent véhiculé par ces putains de réseaux sociaux, mais aussi face à celles qui émanent de l’état, premier responsable des errances de ses populations. J’ai pas compris montre la servilité de chacun de nous, une nouvelle fois dictée par de nouvelles (ou pas) normes sociales, lesquelles entravent la liberté, les aspirations profondes de chacun. Avec des petits tacles comme « j’crache en l’air et j’m’étonne de la pluie », Baasta ! réimplante une part de vérité. « Le miroir fait c’qu’on attend de lui, il réfléchit » sous-entend clairement que nous nous contentons d’être le reflet qu’on attend que nous soyons, et non pas que nous réfléchissions à qui nous sommes et voulons être.
Faites ce que je dis (pas ce que je fais) appuie le propos et montre le mouton qui sommeille en chacun de nous. Tout glisse sur moi évoque un ego trip pur et dur et symbolise un peu ce mal qui plane sur nous, à savoir la haute opinion que nous avons de nous-mêmes. Gardons l’élégance est une injonction à sortir des clichés et à nous dire que si tout le monde est con, rien ne nous empêche de réfléchir et d’être, au moins, un peu élégant et décent. « Pourquoi vouloir être maître du monde s’il est peuplé que de blaireaux ? » Très bonne question. Alors gardons l’élégance, même si on est les derniers.
Des textes et du son.
Si les textes nous amènent à nous interroger sur nous et à observer le monde qui nous entoure, la musique n’est pas en reste. Le son, plus massif que sur Paanic, s’avère aussi plus dense, avec une part plus importante laissée aux claviers. Pourtant, le groupe ne manque pas de hargne et, si son punk reste rock, l’electro s’y taille une part de lion non négligeable et donne à la musique du groupe des aspects post punk attrayants. Les choeurs, mixés un peu en retrait, amplifient de manière intelligente le chant lead et lui donnent un écho pertinent.
Ce disque renforce tout le bien que nous pensions du duo. Il lui donne une dimension plus universelle encore, le place en observateur direct des années 2020. Et surtout, en optant pour un côté rentre dedans direct mais nuancé, il évite de prémâcher tout le travail d’interprétation. Baasta ! reste cynique et lucide, mais surtout il montre toute l’étendue de sa maturité artistique. Et ça, on valide trois fois !
Si vous ne l’avez pas encore faits, nous vous invitons à lire l’interview que le duo a accordée à notre chroniqueur Patrick Auffret. c’est juste ici !
Patrick Béguinel