BENJAMIN FOGEL, L’absence selon Camille

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paru aux éditions Rivages.

Troisième et dernier volume consacré au triptyque sur la transparence, L’absence selon Camille nous projette dans un futur pas si lointain où plus que jamais la question de l’anonymat fait rage.

Après La transparence selon Irina, Le silence selon Manon, voici L’absence selon Camille. D’un côté, les pros transparence, de l’autre, les anti. Au milieu, tout un panel de plus ou moins modérés. Nous retrouvons dans ce roman tout ce qui fait le sel de l’écriture de Benjamin Fogel, à savoir des descriptions chirurgicales (en quelques phrases, il décrit un environnement, une situation, qui a eux seuls mériteraient déjà un volume), une vision du futur et une emprise totale avec le présent que nous vivons.

Pour résumer simplement le roman, disons que les Obscuranets, qui prônent un retour à une certaine forme d’anonymat, balancent une « bombe » sur les réseaux : le gouvernement, qui prône une transparence sans failles, possèderait l’outil de nous localiser en permanence (ce qui est antinomique avec leur idée de transparence puisque des accords interdisent cela). Bien sûr, cet élément reste caché, notamment parce qu’une partie du gouvernement n’a aucune idée qu’il existe. Une hérésie aux yeux des Obscuranets qui espèrent ainsi avoir gain de cause en mobilisant la population et alléger les protocoles de transparence ( et potentiellement renverser le gouvernement).

A la fois thriller et fable visionnaire, voire quasiment dystopique, L’absence selon Camille se nourrit de questions éthiques actuelles pour les pousser dans un retranchement qui nous pousse à nous interroger, mais également à nous positionner sur la question des libertés individuelles.

Un triptyque perturbant.

Contrairement aux deux premiers tomes qui peuvent se lire séparément, ce troisième s’avère plus compréhensible en ayant lu les deux autres puisque les histoires s’y recoupent et que les personnages les habitant s’y retrouvent, certes vieillis, mais toujours convaincus du bien fondé de leurs actions (passées et/ou présentes). Bien que les personnages principaux soient nouveaux, ils interagissent avec ceux des précédents tomes et tissent une toile complexe d’enjeux et de convictions.

Rien n’est laissé au hasard par Benjamin Fogel qui bâtit, avec ce livre aussi bien qu’avec sa trilogie, un édifice véritablement solide. Il nous apparaît clairement qu’avec cette œuvre d’anticipation l’auteur rentre dans la cour des grands. En effet, ceux-ci nous amènent à voir le jour sous un autre œil, même dans des futurs très éloignés qui prennent tout leur sens bien des années plus tard. En choisissant un futur proche (2060), en y intégrant des notions importantes de démocratie, d’écologie, mais également de justice sociale, Fogel tisse un futur plausible de nos sociétés qui ne manque pas sa cible.

Une sensation amère.

Nous ressortons du livre avec une sensation amère. Celle-ci n’est en aucun cas lié à la chute ou à une quelconque maladresse de l’auteur. Elle est bel et bien due à la projection que nous nous faisons de ce monde contrôlé, régenté, pour le bien de tous, mais qui enlève à l’espèce humaine presque toute forme de liberté.

Avons cependant d’autres choix ? Car en effet, dans ce roman, l’Homme reste l’Homme, autocentré et égoïste, voyant dans les grands combats uniquement son profit personnel. Derrière les beaux discours, les belles idées résident le fait que rien n’est établi par pur altruisme, que tout est calculé. Le regard de Benjamin Fogel est implacable. Il est surtout détaché de toute considération « intime », car il reste neutre, nous laissant une fois de plus les clés pour répondre nous-même aux questions qui se posent.

Pour nous, cette trilogie place Benjamin Fogel en haut de la pyramide des auteurs majeurs à la fois de science-fiction mais aussi de littérature plus sociale. La seule crainte que nous ayons, c’est que, comme certains ouvrages majeurs inspirent le présent, c’est qu’il en soit de même avec cette trilogie et que certains politiques sentent en son portrait de ce monde de contrôle total une porte d’entrée vers des politiques à mener. Ce qui ferait froid dans le dos, mais confirmerait paradoxalement nos dires que Benjamin Fogel est un grand.

Patrick Béguinel

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