JIMMY TRAPON, Le silence des mouches

Jimmy Trapon, le silence des mouche, journal d'un cas social, mvo editionsJournal d’un cas social (paru chez MVO éditions)

Il est des sous-titres qui nous placent d’emblée dans le contexte. Journal d’un cas social. Il ne ment pas, mais il est tellement réducteur de ce Silence des mouches, nouveau roman de Jimmy Trapon, qui fut il y a peu notre auteur du mois. Ce roman nous propulse dans la vie du narrateur, au plus près de son histoire intime et sensible, et par voie de ricochet dans la nôtre.

Nous retrouvons la patte de Jimmy Trapon, mélange de parlé direct, parfois familier, et de phrases à la musicalité folle, au rythme insatiable qui jamais ne retombe. Nous y retrouvons aussi ces vices, celui de l’alcool, celui de l’hypocondrie, celui du mal-être. Et surtout, nous y retrouvons une sensibilité exacerbée, folle, seul espoir d’une vie qui finalement vaut la peine d’être vécue.

L’histoire.

Embarquement dans un train reliant la gare de Montparnasse et la ville de Nantes. Un homme, quarantenaire, part y retrouver quelqu’un. Dans le balancement du train, entre les canettes qu’il écluse avec sa voisine, Ana, comme par hasard une nana borderline, il se remémore sa vie, de son premier souvenir au pourquoi de ce voyage. Entre son dialogue avec Ana, les effets de l’alcool et la mélancolie sauvage qui l’habite, c’est aux tréfonds de son âme que nous avons accès.

Sans mensonge, avec une vérité nue et parfois poétique, il nous déballe son vécu, son enfance privée de l’affection d’une mère souvent absente (et carrément limites sur pas mal de points), d’un père destitué de la garde de lui et de ses frères, son premier amour (celui qui est pur), ses galères. En creux, nous y voyons aussi ce bilan sur les années écoulées à cette époque souvent charnière qu’est la quarantaine. Nous entrons dans le tambour d’une machine à laver en mode essorage. On en ressort K.O.

Plume affutée.

Elle est nerveuse, tendue, jamais apaisée (ou presque) cette plume. Phrases courtes, souvent incisives, comme pour marquer le coup des émotions, alternant avec d’autres plus développées, plus posées, comme pour évoquer la souvenance d’un moment passé qui doit être conté par le menu. L’alternance se fait de manière totalement équilibrée, toujours avec ce souci du détail qui passe inaperçu. Celui-ci, on ne le remarque pas, pourtant, une fois le livre terminé, il apparaît clairement. Ce détail, c’est ce rythme indolent mais progressif, comme celui du dur qui accélère entre les deux rails le conduisant à destination.

Ce rythme, il repose sur le choix des mots. Familiers, voire vulgaires, ils côtoient avec la noblesse de l’idée développée. Ils en paraissent, dès lors, presque soutenus. Nous sommes en présence d’un cassos, un pur et dur, alors le langage ne peut être celui des nantis. Pourtant, par exemple, quand dans une forme de coma éthylique qui le surprend vers la fin du bouquin, la beauté de sa pensée, sa sensibilité, sa subtilité ressort avec une force éblouissante, montrant ce que l’âme, même celle de cas jugés désespérés, possède de plus beau.

Ce contraste beauté/laideur ne sert qu’un propos, celui d’un narrateur qui vit un moment doublement charnière, celui de la quarantaine et celui qui le conduit à Nantes. Bilan de vie, bilan d’un naufrage qui n’aurait pas pu ou pas dû avoir lieu. Mais la vie est une connasse, ça tout le monde le sait. Le narrateur n’y fait pas abstraction. Pourtant, il vit, encore et toujours, maintenu sous perf’ par… Par quoi d’ailleurs ? Sa seule peur de passer l’arme à gauche ? Pas si sûr… Simplement, peut-être, le fait de trouver des réponses à ses interrogations profondes.

Les ponts.

Nous retrouvons dans ce roman un peu des personnages des autres livres de Jimmy Trapon. Comme un développement. Comme une continuité dans ce qu’il cherche à exprimer. Nous y voyons presque les mêmes protagonistes à savoir le narrateur, jamais nommé, MJ, la seule femme qui compte, l’alcool, absorbé en trop grande quantité, l’écrivain, ou celui qui écrit car écrivain c’est vulgaire, un peu, surtout ceux qui s’y croient trop).

Nous ne perdons donc pas nos repères avec ce roman. Mais, comme par maturité, il dévoile plus en substance la pensée de son auteur. Le combat pour s’extirper de sa fange, la question de l’amour, autant celui de sa première chérie que celui pour ses parents, sa mère en l’occurrence. Implacablement lucide, malgré la quantité d’alcool circulant dans ses veines, ce narrateur philosophe pointe des vérités qui sont siennes, évidemment, mais qui dépassent de loin le cadre de sa petite personne.

Une simple question de pudeur

Récit presque social, Le silence des mouches, journal d’un cas social, met l’accent sur les tourments internes qui tous peuvent se saisir de nous, à ce fameux moment de bascule. Que l’on soit bien né, ou mal né, peu importe, du moment qu’on a le courage de se regarder bien en face. Et en ce sens, avec cette folle clairvoyance, Jimmy Trapon se dévoile entièrement, avec une pudeur aussi farouche qu’est la volonté de son narrateur de continuer à vivre, contre toute attente.

C’est là où le roman devient un grand livre, du genre de ceux qui font grandir, un peu, beaucoup, en osant avancer un peu plus sur le chemin cabossé, escarpé, mais toujours stimulant de l’existence. Si on en ressort essoré, on en ressort aussi plus conscient. Marquant. Et majeur.

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