EUGÉNIA JELTIKOVA, Liz (paru chez L’Orpailleur)

eugénia jeltikova lizDanse la vie.

Liz est gymnaste. Elle danse la vie. Mais le jour d’une compétition, elle chute. La fin d’un monde ? Peut-être un poids trop lourd à supporter ? Ce roman, à la langue qui se joue des schémas maintes et maintes fois répétées, nous entraîne dans la vie de cette collégienne comme tant d’autres, mais qu’un trop lourd secret dévore. Avec un sens inné du rythme et des images poétiques, Eugénia Jeltikova déroute, surprend, et surtout donne corps, par les mots, à une discipline physique qui y trouve des lettres de noblesse. Entre douceur, rêverie, et sordide réalité, le livre ne manque pas d’ébranler toutes nos certitudes.

Premières impressions sur Liz.

Tout de suite les mots volent comme des pollens de pissenlit dans le vent. La langue chante, ose l’étourdissement, la perte de repères. Comme une prise d’élan, avant d’effectuer une figure acrobatique, les mots enchainent leur propre automatisme, celui dicté par aucune école, mais par un style affirmé. Là où la langue coule d’ordinaire de l’amont vers l’aval, elle suit un chemin différent ici, se heurte à des récifs nécessitant à l’autrice une inventivité pour les contourner et faire naître l’idée au plus près du corps.

Pourtant tout cela reste fluide, comme si tout état normalement acquis depuis toujours. Les mots dispensent alors une musique et un rythme rien qu’à eux. Comme pour un disque, nous pourrions relire le premier chapitre en boucle, sans qu’aucune forme de lassitude ne s’empare de nous, et ceci afin de déceler dans chaque intention de l’autrice tous les secrets de ce livre.

Cette mise en route de lecture électrise, crée un feu d’artifice, de saveurs épicées qui donnent envie de dévorer ce met sans perdre la moindre seconde, de peur que la magie de ces deux pages s’égare dans le vent.

Une fillette, des amitiés, l’amour des mots.

Ce roman est une déclaration d’amour multiple. Déclaration d’amour à cet âge-charnière entre enfance et âge adulte, déclaration d’amour à l’amitié, déclaration d’amour aux mots, ceux qui sont parfois dits, ceux qui sont parfois imaginés, ce qui parfois délivrent. Enfin, c’est tout simplement une déclaration à la vie, même si, tout au long du livre, nous sentons une horreur latente sur le point d’éclore.

Mais le but de l’autrice n’est pas là, semble-t-il. Il est plus dans l’expression la plus honnête de situations qui, parfois, retiennent captifs les mots. Alors il y a des symboles : février, le jaune, le ruban. Chacun est lourd de sens, porte son propre poids, son propre univers, comme pour permettre à Liz de ne pas s’effondrer totalement, fait qui arrive pourtant lors d’une compétition.

Une chute, une fuite, puis la délivrance, dans les dernières pages, ou du moins l’imagine-t-on car l’histoire, on veut le croire, s’achève sur un presque happy end.

Une plume ruban qui tournoie.

La plume d’Eugénia Jeltikova est d’une profonde inventivité. Elle use du champ lexical de la gymnastique et de la danse, mais elle cabriole et danse elle-même. Des trouvailles folles jalonnent le texte, comme, et c’est tout bête, l’emplacement d’un mot qui change tout de l’image qu’il renvoie justement. La lecture peut parfois être un peu délicate, car nous ne sommes pas habitués à de telles facéties (ce qui est bien dommage), mais en prenant vraiment le temps de lire, la récompense est au bout du chemin. En effet, la poésie jaillit par faisceaux complets, une poésie millimétrée par la cadence d’une course, par un pied d’appui qui se pose avec force sur le praticable, par le jet d’un ruban qui tournoie dans les airs avant de retrouver les doigts de la gymnaste.

Au bout de quelques pages, nous nous y habituons, et nous succombons à cette fantaisie stylistique maîtrisée de bout en bout. Il ne s’agit pas d’une coquetterie d’autrice puisque ce choix colle à la peau et au contexte du texte, des tourments intérieurs à ceux de l’athlète qui ne vit (ou vivait) que pour son art. Même l’indicible y est dit en filigrane, par ces mots couperets nous mettant rapidement sur la piste, même si, jusqu’à la toute fin demeure le doute.

Avec un art magistral de la tournure de phrases, avec une science du rythme et de la respiration, Eugénia Jeltikova, qui signait là son deuxième roman (seulement) avait déjà tout d’une grande. Son premier et son troisième roman, tout deux publiés aux éditions Cent Mille milliard datent de 2016 et 2019 et répondent respectivement aux noms de Par un jour de thé gris et Les cieux de pluviolie. Liz date quant à lui de 2017. Elle n’a pas publié de livre depuis semble-t-il.  A noter qu’elle a publié en 2016 son livre Un bras pour marcher, conte illustré par Béatrice Valimard.

Extrait de Liz :

Sur fond de février étale, comme délavé et pâli à larges coups d’aube, derrière le trait droit et long du grand boulevard, les vitres du gymnase échancrent en trapèze ce qu’il reste de nuit. C’est une toile jaune – au milieu, l’ombre de Magda comme une bourrasque…

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Comments (1)

  • JEAN M.MATHOUL, La saison des épeires - LITZIC

    […] Publié chez L’Orpailleur. […]

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