STEVEN PRIGENT, Le départ (en douceur)

Steven Prigent Le départAlbum déjà disponible.

L’illustration de la pochette donne le ton. Une feuille ressemblant à une espèce de fougère, à moins qu’il ne s’agisse d’un arbre stylisé, sert de racine à une fleur faite à l’encre, nous semble-t-il. En caractères discrets sont écrits steven Prigent, et encore plus discrets, Le départ. Le tout sur un fond crème occupant le 9/10é de l’espace. Avant de plonger dans ce disque, nous nous disons qu’il y a déjà de l’élégance, un certain minimalisme, une épure et nous pressentons un disque d’une grande beauté.

Alors, comme pour un départ, qui demande parfois que nous prenions une grande inspiration pour nous lancer dans l’inconnu, nous prenons le temps de contempler l’objet. Avec une délicatesse rare, nous le glissons dans la platine et les premières notes se déversent comme une pluie d’été dans la pièce. Tout se suspend.

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Des références ?

Nous pensons immédiatement, sur le titre qui ouvre l’album et lui donne son nom, à Yann Tiersen. Celui d’Améllie Poulain. Avec son piano, ses cordes, la comparaison est facile (mais pas totalement juste). Sur Demain, nous pensons plus à un groupe comme Sigur Rós, ou à l’univers de Robin Foster (ce qui n’est pas un hasard puisque ce musicien qu’on aime beaucoup y participe, à la guitare, et qu’il compose en outre le titre Kerloc’h). Et puis tout s’entremêle. Quelques accents world s’ajoutent, des chants immémoriaux nous entourent, sans agressivité, mais avec une force tellurique, sur Petits pas. On pense à un chant d’hommes devenus libres suite à un combat qui paraissait sans fin. Ensemble lui donne la répartie, d’un point de vue féminin, tout aussi somptueux, tribal là aussi, mais aussi nomade. Nous ressentons un je-ne-sais-quoi de dramatique dans ce chant séculaire.

Le retour est du même ordre, mais évoque l’idée de fuite (que l’on ressent contrainte): c’est le seul morceau avec des apports électroniques sur la rythmique pure, ce qui lui donne une couleur particulière. Enfin, sur L’autre départ, qui clôt l’album sur le même thème que celui qui l’ouvre, la voix d’Erwan Bargain et sa poésie nous font franchir le premier pas d’une nouvelle route, d’un renouveau.

Tout se déroule ici comme le font certains films contemplatifs. Mais loin de se faire d’une manière passive, Steven Prigent parvient à nous tenir éveillés d’un bout à l’autre par son art de la mélodie qui touche à quelque chose de précieux, de pur, d’enfantin, tout en étant d’une incroyable maturité. Il faut dire que tout est ici mis de la plus belle des façons en avant, grâce à une production très haut de gamme.

Minimalisme enveloppant.

Cette production est chaude, ample, porte en avant des instruments acoustiques comme le piano, les cordes, une clarinette (somptueuse), un saxophone. Le mix est irréprochable, tout se passe comme dans un souffle. Il est impossible de reste l’oreille inattentive puisque les détails, minimalistes eux aussi, pleuvent. Les ponctuations au piano, les suites d’accords, nous captivent. Parce qu’il n’y a là aucune facilité, mais au contraire un art maîtrisé du trois rien qui occupe tout l’espace.

Un titre comme Latente, par exemple, un piano « solo » sur lequel une percussion apparaît à quelques reprises, comme un pouls, le démontre aisément. Il est possible de mettre du rythme avec trois coups de grosse caisse, le piano se suffisant presque à lui-même (ce que confirme totalement Kerloc’h, morceau enchanteur d’une force émotionnelle incroyable)

L’émotion à fleur de cils.

La musique de Steven Prigent nous déstabilise. Parce qu’elle est quasiment tout instrumentale (les voix sur les titres Petits pas, Ensemble et Le retour sont utilisées véritablement comme des instruments, sans doute parce que leur langue nous est étrangère, orientale), c’est la musique qui s’adresse à nous. En teintes mineures, nous ressentons une mélancolie hors d’âge. Parfois amplifiée par des mouvements de cordes, ou par cette clarinette grave, cette mélancolie devient dramatique, mais jamais de façon outrancière, jamais dans le but de nous émouvoir pour les mauvaises raisons. Sans doute parce que chaque morceau est un écrin de pudeur, Steven Prigent parvient à toucher à l’essence de toute chose.

Mais nous ressentons aussi un sentiment d’exaltation incomparable. Une force se meut en nous, nous guide, nous indique que si le départ demande de lâcher certains de nos bagages affectifs, qu’il fait peur, il est aussi, parfois, l’occasion de grandir, d’apprendre à mieux nous connaître, à combattre des schémas sclérosés.

Enfin, il y a de l’amour dans cette musique. Ça paraît toujours très bête à dire (à lire aussi), mais pourtant, il irradie véritablement de chaque titre. Il dégage aussi cette impression d’un regard porté sur le monde, bien plus loin que nous avons le bout du nez. Et surtout, cette musique peut parler à tout le monde, esthètes ou pas, enfants ou adultes, amoureux de la danse ou des ambiances feutrées, européens comme africains ou asiatiques. Il n’y a pas de frontière, ni terrestre, ni maritime, encore moins céleste, qui ne pourrait entraver la diffusion de ces notes et de leur message (que chacun fera sien en fonction de son vécu).

Le départ est une pure réussite, un disque précieux, rare, un bijou sans âge, sans nationalité, simplement humain.

LE titre de Le départ.

Nous ne trancherons pas sur un titre plus qu’un autre. Nous dirons simplement qu’écouter Le départ, le morceau qui ouvre l’album, devrait vous convaincre d’écouter la suite du disque. Et qu’une fois arrivé à L’autre départ, une fois celui-ci terminé, vous remettrez le disque en lecture ; et ainsi de suite. Tous les titres se valent, pourtant, loin d’affaiblir l’ensemble, qui pourrait paraître sans relief du fait de la haute qualité de chaque titre, ils le magnifient. Somptueux.

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