[EP + INTERVIEW ] PHAON, L’Albatros (et Esbrouffe, nouvelle vidéo)

L’Albatros, nouvel EP de Phaon.

L’albatros, cet oiseau marin à l’envergure impressionnante qui, pour décoller, doit courir afin de prendre le vent, a servi de totem pour Phaon. Il donne également son nom au nouvel EP du quatuor. C’est aisément compréhensible tant le groupe semble prendre le risque à chaque nouveau morceau, de creuser son sillon pop, en français dans le texte, là où la facilité aurait été de dériver vers l’anglais. Mais en plus de cela, Phaon effleure, presque inconsciemment, des rivages peu balisés en nos contrés,c’est-à-dire ceux où la musicalité de la langue induit des émotions plus qu’elle ne les décrit. L’albatros et ses 5 titres provoquent en nous un brasier permanent.

Les nuances sont claires obscures. Elles imposent des émotions vibrantes, reposant presque sur des collages phonétiques, qui induisent elles-mêmes des sensations diffusent. Plutôt que de nommer un albatros comme il se doit, le groupe ose la formule poétique, dérive au gré des courants ascendants, là où parfois décline la lune, pour nous emporter dans un tourbillon de sensations. Si des flèches noires tracent leur sillon dans un ciel à priori sans nuages, les émotions qui naissent nous happent, sans nous ménager. Magie d’un assemblage de tessitures et de mots, sobriété d’une mise en scène aux contours rock, le quatuor séduit.

Collage émotionnel.

Il est dur d’analyser les paroles, pourtant elles nous parlent. Il est compliqué d’appréhender un propos, comme de saisir une idée au vol, pourtant, nous captons l’essence même des morceaux, en fonction aussi, peut-être, de nos propres ressentis. Organique comme cette voix au léger trémolo, distanciée par quelques touches électro, comme pour nous maintenir à distance d’un foyer trop ardent sur lequel nous pourrions nous brûler les ailes, la musique de Phaon s’incruste en nous, délivre ses secrets à chaque écoute.

Si ce nouvel EP est légèrement plus sombre que le précédent triptyque, l’évolution de Phaon reste dans la même voie. Celle d’une esthétique, d’une cohésion sonore, dont seules changent quelques couleurs, en fonctions des aléas de la vie. En ce sens, la musique du groupe suit un peu nos propres cahots, comme pour mieux nous accompagner, et toujours nous rassurer sur ce que peut délivrer l’avenir.

Le nouveau clip.

Jeux de lumières, effets stroboscopiques, apparitions/disparitions, légère appréhension, ou plutôt sentiment d’oppression, l’atmosphère frôle du bout des doigts celle de certains groupes anglais estampillés cold wave. Pourtant, optant pour le français, Phaon coupe les ponts et largue les amarres conduisant vers sa propre personnalité. Nous sentons qu’une maturité toute nouvelle s’est installé sur ce titre (mais c’est le cas sur l’ensemble de L’Albatros), une maturité de creuser peut-être plus profondément, comme pour aller à l’os des choses.

Pour nous il est question de recherche d’identité dans ce titre. Est-ce si évident ? Non, car le choix des mots propose des images, des couleurs, ne nous mâche pas le travail, et c’est très bien ainsi. Nous nous retrouvons non pas à nous creuser le sens caché des paroles, mais à nous laisser guider par nos sensations. S’il nous est aisé de le faire sur la musique, ou sur un chant dans une langue étrangère, en général, nous nous rattachons au sens des mots de celle qui est la nôtre. Mais ici, Phaon détourne notre attention pour exciter notre myocarde, faire monter notre tension, comme devant la toile d’un maître (tendance abstraite). Le pari fonctionne, car nous oublions nos repères et découvrons, au final, un nouveau langage.

L’interview !

Comme le groupe est plutôt cool, nous nous sommes dit que de proposer une petite interview pour effectuer un topo complet sur cette sortie s’imposait. Et comme Phaon est cool, il nous a accordé un peu de son temps malgré les obligations de promo. C’est Matthieu (Chant lead, synthé, Glockenspiel) qui s’y est collé (avec la bénédiction de Clément (synthés/basses), Alexis (guitare) et Thomas (batterie). On vous laisse découvrir tout cela dès à présent !

Litzic : Première question, d’usage, comment vas-tu ?

Matthieu : Salut Patrick, ça va bien, merci. Le temps se rafraîchit, ça me plait.

L : Peux-tu m’en dire un plus sur Phaon ? Qui êtes-vous ? Depuis quand existez-vous ? Quelles sont vos influences ?

Matthieu : Phaon est une aventure qui a débuté fin 2017. On a commencé à deux, Alexis (guitare) et moi-même (synthés / glockenspiel / chant lead), puis sont très vites arrivés Clément (basse et synthés) et enfin Thomas (batterie). Chacun de nous se connaissait de manière plus ou moins éloignée. On a tous les quatre des influences assez différentes, mais on arrive à se retrouver autour de groupes tels que BRNS, Vox Low, Vulfpeck ou encore MGMT.

Cela, je pense, se ressent dans l’univers de Phaon : une pop mystique, aventureuse dans ses structures, autant au niveau rythmique que mélodique.

L : Pourquoi avoir choisi ce nom de groupe ?

Matthieu : Le nom est arrivé après les premiers morceaux. On cherchait une sonorité, une ambivalence dans la prononciation. Phaon a été adopté directement. Son côté mythologique était d’autant plus dans la direction que l’on envisageait pour le projet.

« Chacun de nous a eu des projets musicaux très différents avant celui-ci, mais c’est vraiment la première fois, pour nous quatre, qu’un projet apparaît aussi abouti sur la scène « musique actuelle ». »

L : Vous avez sorti Triptyque, 3 titres fin 2018, avez été dans la sélection régionale des Inouïs du Printemps de Bourges. et enfin vous venez de sortir L’Albatros. Les choses semblent aller relativement vite et dans le bon sens pour vous, non ?

Matthieu : C’est encore un début mais c’est déjà hyper agréable de se sentir soutenu par les acteurs de notre région au départ, et maintenant plus nationalement, voir internationalement. On ne cherche pas à faire accélérer les choses, au contraire. Chacun de nous a eu des projets musicaux très différents avant celui-ci, mais c’est vraiment la première fois, pour nous quatre, qu’un projet apparaît aussi abouti sur la scène « musique actuelle ». On prend le temps d’apprendre, d’appréhender l’environnement tout en se faisant plaisir musicalement.

L : Comment définirais-tu la musique de Phaon ?

Matthieu : Une pop aventureuse, mystique aux accents rock. Un espace où la nature reprend ses droits.

L : Comment procédez-vous pour la composition ? Y a-t-il un dictateur qui impose sa vision ou est-ce plus collégial ?

Matthieu : La composition est complètement collégiale. Chacun de nous a ses débuts de morceaux, ou bien suite à un moment de travail ensemble, une mélodie, une sonorité. Quelque chose d’instinctif qui nous dit : ça c’est à garder. Ensuite chacun propose, fait évoluer ou donne un grand coup de Karcher dans ce qui a déjà été fait. C’est tout un processus plein d’excitation. On reste toujours sur des bouts de morceaux au départ pour pouvoir laisser place à l’énergie de groupe au fur et à mesure de la construction d’un morceau.

L : De la même façon, qui écrit les paroles ? Y a-t-il une consultation pour celles-ci ?

Matthieu : Pour les paroles, c’est principalement moi qui m’y colle, de manière assez naturelle. On en discute parfois et de toute façon chacun doit y trouver son compte à la fin. Pour revenir sur les paroles, notamment sur L’Albatros, elles dégagent des sentiments diffus, des interprétations libres du fait de leur forme relativement abstraite et poétique.

L : Mais au fond, elles racontent quoi ? Pour ma part, j’aurai tendance à dire qu’elle parle d’identité, de sens (mais j’ai peut-être tort).

Matthieu : La première question que je me suis posée c’est : « Pourquoi la musique anglaise, le chant anglais, attire tant mon attention et se mémorise si facilement alors que je suis une bille en anglais». Et, au-delà de l’aspect construction de morceau, j’en ai conclu que c’est la mélodie qu’elle apporte, ses attaques, ses souffles qui m’intéressent.

J’ai voulu intégrer ça dans l’écriture en français. Rajouté à ça des influences à la Boby Lapointe, Camille ou la chanson « populaire » des années parentales (Michèle Torr, Alain Chamfort, Joe Dassin…) et je suppose que cela donne une macédoine telle que l’on peut entendre dans les morceaux de Phaon.

Pour répondre finalement à la question,  je pense que les paroles racontent, par l’image, des émotions pour qui veut bien y prêter attention. Cela peut apparaître à première vue abstrait, confus, comme un tableau de Pollock. Mais finalement, j’espère que pour tout un chacun, une fois appréciées, les sensations se dessinent et s’en dégagent d’elles-mêmes.

« Tout ce que l’on cherche à réaliser en proposant de la musique, des festivals, des événements qui génèrent de l’émotion commune semble s’épuiser contre notre gré. »

L : Que ce soit sur vos morceaux précédents ou sur L’albatros, vous avez une forte identité, mélangeant pop et chanson française. Si je trouve L’albatros un peu plus sombre, sa production renforce justement votre empreinte sonore déjà présente auparavant. Est-ce important pour vous de garder celle-ci tout en évoluant musicalement sur des couleurs différentes ?

Matthieu : Je ne pense pas que ce soit aussi réfléchi que ça. Il est vrai que les morceaux choisis pour L’Albatros donnent quelque chose d’assez sombre. Une obscurité qui s’apparente à notre évolution, nos recherches. Il a dans ses chansons une épice qui a ouvert beaucoup de choses dans les compositions qui ont suivi; une compréhension.

L’album porte le nom d’Albatros pour cela. Comme un totem, un guide durant la composition de l’Ep qui nous a conduit à l’après.

L : Tu me disais être en pleine diffusion de votre musique et que cela s’apparente à un travail d’artisan (ce que je comprends parfaitement). Comment ressens-tu tout cet après confinement ? Qu’est-ce qu’il implique pour vous, notamment concernant les dates qui sont très difficiles à dénicher ? Comment défendrez-vous l’album autrement que par le travail des journalistes et autres collègues blogueurs ?

Matthieu : C’est personnellement difficile. Tout ce que l’on cherche à réaliser en proposant de la musique, des festivals, des événements qui génèrent de l’émotion commune semble s’épuiser contre notre gré.

J’ai peur que le monde se renferme encore un peu plus sur sa personne. De notre côté on continuera à proposer des chansons, des images, des mots. C’est trop important dans notre équilibre mental pour tout laisser tomber malgré le manque de concerts.

En tout cas cela renforce le fait que, sans internet, il me parait difficile pour un groupe d’éclore désormais. C’est grâce à des médias tels que le tien que la musique n’est pas totalement bridée par les circuits qu’imposent les majors. En espérant que cela reste et soit valorisé encore et encore.

De mon point de vue, c’est à l’artiste de faire de nouvelles propositions.

L : Avez-vous pu profiter du confinement pour écrire, approfondir des idées déjà présentes, peut-être même poser les jalons d’un futur disque (EP ou album) ?

Matthieu : Le confinement nous a permis de prendre du recul sur le projet, faire un point, ce qui a finalement donné « l’Epopée », début mai, que tu as relayé. Comme je le disais, on continue à écrire, réfléchir, construire, déconstruire, décloisonner. Tout ce que je peux dire c’est qu’on a hâte de revenir en studio !

L : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter de bon pour les jours, semaines, mois à venir ?

Matthieu : Des bars, des concerts, des festivals, de la culture pour tous ! Mais je crois qu’on peut le souhaiter à la plupart d’entre nous…

Merci d’avoir pris du temps pour répondre à ces quelques questions. Je rappelle que L’Albatros est disponible sur toutes les plateformes.

phaon l'albatros

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