[ALBUM] AURIS, L’abîme colombe // un goût de Bashung.
L’abîme Colombe, premier album d’Auris, autoproduction.
Il pourrait sembler difficile d’entrer dans la poésie un peu obscure d’Auris. Parce qu’il aime à brouiller les pistes dans son écriture, comme pour mieux faire naître les images et les saveurs qui en rejaillissent. Avec L’abîme colombe, premier album prometteur, c’est un voyage sensoriel que propose le jeune artiste.
Nous l’avions rencontré il y a quelque temps de cela. Un nom apparaissait spontanément dans la conversation, celui de Bashung, référence ultime pour Auris. Bien évidemment, Auris n’est pas Bashung, et le contraire est juste également. Mais avec le génial musicien, il partage cet amour de la phrase qui ne délivre pas toutes ses significations en un claquement de doigt. En effet, il est plus question, dans L’abîme colombe, d’une impression naissant de compositions d’obédience rock à la personnalité déjà bien tranchée.
À l’ancienne.
Malgré ses tout juste 18 ans, Auris se la joue à l’ancienne. Ce n’est pas que le jeune homme soit conservateur, c’est juste qu’il fait partie de ses amoureux de l’album, dans sa globalité, plutôt que dans une succession de titres se suivant sans qu’il n’existe réellement de fil conducteur entre eux. Dans ce premier album, il en existe plusieurs, de fil conducteurs. Le premier réside dans le choix pour le français. Là où de nombreux jeunes font leurs gammes sur un chant en anglais mélangé yop fraise, il fait le choix, ardu, de s’exprimer dans notre langue, de manière poétique qui plus est. La surprise est des plus agréables puisque ces textes dégagent une atmosphère très particulière.
La poésie parfois absconse d’Auris trouble dans un premier temps, force à l’abandon, c’est-à-dire que si vous vous focalisez sur le sens, vous perdrez toutes les nuances qui se dégagent des textes. Laissez-vous porter, dans un premier temps, par la musicalité de la langue, par son rythme. Le sens, vous aurez le temps d’y revenir plus tard. Pour autant, ces textes ne sont pas pour autant un frein au plaisir, de même qu’ils ne sont nullement prétentieux. Si la poésie est difficilement compréhensible dans un premier temps, elle n’est en revanche pas inaccessible au tout-venant. Ainsi, le « profane » verra les couleurs qui s’en échappent, sentira son corps sous ses doigts, entendra chaque variation de langage retentir dans son être.
Si Bashung apparaît, nous voyons aussi Thiéfaine pointer le bout de son nez, ainsi qu’un certain Gainsbourg, au détour d’un titre ou deux. Cela nous ravit-il ? À votre avis ?
Rock ?
Question musique, nous avons du mal à trancher. S’agit-il de rock, de pop, ou d’un univers variété haut de gamme ? Rock parce que les guitares sont électrisées. Avec une petite tendance hard par moments. Et c’est une demi-surprise seulement, Auris nous ayant averti que les gros solos de guitare des virtuoses du genre l’avaient un temps accompagné (et forgé son amour pour la six cordes). Du coup, de grosses distorsions bienvenues surgissent ici et là, avec un sens du bon goût indéniable. Parce qu’il n’y en a jamais trop, ni jamais trop peu. Le dosage est parfait, n’habille pas un titre dans sa globalité mais par touches. Ces apports peuvent donc dynamiter une composition de façon pertinente, au moment le plus opportun.
Pop parce que les lignes de chant empruntent pour beaucoup à la légèreté du genre. Nous parlons évidemment des morceaux chantés, car Auris ose aussi le spoken word, avec une même réussite (mais moins pop pour le coup, quoique…). Donc ces lignes de chant se retiennent aisément, nous reviennent en tête quand nous nous y attendons le moins, ce qui prouve leur efficacité. Le mélange entre celles-ci et les paroles des textes donnent un environnement parfois étrange, parfois un peu angoissant, voir presque pieux, mais rapidement il nous devient familier. Enfin, même si nous sentons des références se télescoper, nous réalisons bien vite avoir à du Auris, rien d’autre.
Une production soignée mais…
Il s’agit d’un premier album, autoproduit, donc la production pâti légèrement de la chose. Mais, car il y en a un de taille, tout est très bien foutu. On s’explique : ce qui nous paraît un peu moins bien, c’est le son peut-être légèrement hors des standards actuels en la matière. Un peu mat, avec des effets nous paraissant un peu datés, mais pour autant cela ne plombe pas le disque. La première écoute est certes un peu déstabilisante, mais nous nous y habituons très vite pour au final en faire totalement abstraction.
Le travail de studio est hyper soigné, tout comme les arrangements. Le tout donne un résultat saisissant et équivalent, sans prétention, certaines productions bénéficiant de plus de moyens. Évidemment, comme il s’agit d’une autoproduction, l’album n’a pas été enregistré dans un prestigieux studio, mais pourtant nous sentons une véritable alchimie dans la conception du disque ce qui efface très vite les petites imperfections liées à ce manque de moyens. Qui plus est, cela confère au disque une âme véritable et une saveur particulière.
Au final, L’abîme colombe place la première pierre de l’édifice de la carrière d’Auris. Nous pressentons que celle-ci ne sera pas la dernière tant le potentiel énorme qui s’en dégage place déjà l’artiste sur un chemin évitant les facilités et le déjà entendu. Il nous paraît évident que s’il a des références, Auris a déjà su les digérer pour créer son propre univers. Celui-ci se veut plutôt progressif, sait laisser la place à la fois aux textes et aux instrumentaux. Le travail de composition est abouti, ne laissant aucune idée inachevée ce qui nous place en attente pour découvrir la suite de l’aventure artistique d’Auris!
LE titre de L’abîme Colombe.
Nous aimons bien pointer, dans ce petit chapitre consacré au titre de l’album dont nous parlons, ce morceau qui se démarque. Ici, il s’agit du morceau Renoncement. Parce qu’il est finalement le plus pop de l’album, avec ces carillons évoquant une Big Ben fanstamée qui sonnerait du côté de Carnaby street. Ce titre possède un côté très British, et aussi très Gainsbourg (dans le chant, dans les inflexions de voix) et nous paraît, musicalement, le plus léger.
Cette apparente légèreté tranche avec des paroles un peu plus sombres. C’est aussi un morceau qui ose plus avant les expérimentations, ce qui laissent entrevoir un peu plus de la personnalité artistique d’Auris. Pour autant, Renoncement, titre le plus excentrique de l’album à notre avis, ne dépareille pas de l’ensemble du disque. Nous présumons donc qu’Auris en a sous la semelle pour nous proposer, dans son prochain album, un univers toujours plus riche.